Enfant venu d’hier et du froid – d’un embryon conservé dans l’azote, au temps suspendu.
Enfant venu du rêve qui s’obstine, du désir qui insiste ou du corps qui résiste – d’un quotidien bouleversé, dans la douleur parfois, la contrainte toujours…
Enfant venu d’un inconnu : d’un ovule, d’un spermatozoïde ou d’un embryon surnuméraire offert…
Enfant sur-connu aussi, en son génome scruté, ses failles débusquées – pour le meilleur (contre la pathologie destructrice, contre le temps de vie dérobé, contre la mort : contre un cortège funèbre de souffrances et de douleurs) ou pour le pire (de fantasmes prométhéens, d’uniformité ou de spécificités optionnelles) ?
Enfant venu de la patience et de l’attente. De la science. De la vie qui fait la nique à la mort.
Enfant sorti du tombeau, ou presque – sperme conservé à cette fin (au moins porté par un désir de vie celui-là) ou, plus problématiquement encore, récolté post mortem, par électro-éjaculation.
Enfant, parfois, multi parentaux – su ce n’est multi-géniteurs…
Enfant miracle, enfant prothèse. Enfant de l’amour ou du narcissisme…
Cela dit, vouloir un enfant, c’est toujours et nécessairement le vouloir pour soi : dans les profondeurs de l’instinct, dans les pulsions de vie - d’Eros. Le vouloir donc contre l’anéantissement de soi, en projet existentiel, transgénérationnel et «contre-temporel» (ouvrant cependant le temps de l’avenir pour densifier le présent). Mais c’est également et le plus souvent, le vouloir pour l’autre : que l’on aime ; comme preuve, condensation, signe et incarnation de cet amour. C’est en outre, et c’est vital !, le vouloir pour lui – enfant, personne, singularité et liberté.
Trois composantes donc, qui varient en leurs intensité ou proportion respectives en fonction des vécus et des circonstances – des traits «personnaux» (de la «personna»). Telle variation est propre à la condition humaine et au fonds affectif. Nonobstant, au-delà de valeurs ou proportions par ailleurs inobjectivables, la pathologie s’immisce ou s’installe : narcissisme exacerbé, pulsion génésiaque effrénée, tendance prométhéenne… En ces matières, qui sont matières humaines, qui sont «de chair et d’âme» -de pulsions, affects, sentiments/sentimentalisations et projets-, la technique apporte des réponses… … la technique génère les problèmes. Ambiguïté des savoirs et pouvoirs, ambiguïté des êtres, ambiguïté des désirs Et de bien ou du mal. De la condition humaine et de ses conditions de possibilités qui sans doute tiennent aux liens multiple et aux réseaux divers : à la possibilité d’en créer, soutenir et investir. Tels liens et réseaux relèvent des généalogies et de leur histoire (réelle, construite ou reconstruite), tiennent des liens de chair, d’affects ou de vécus (partagés). Tiennent aux continuités diverses : familiales, généalogiques, communautaires, biographiques, existentielles, historiques, humaines (dans la communauté symbolico-organique d’un ensemble «vivant», pris en autoconstruction - par action, réaction, rétroaction).
A savoir ce qu’il en est de l’enfant…
Choisi ou survivant… Pour lui, pour soi, pour l’autre… Offert à une légitimité dans un «toujours déjà» inconditionnel qui l’inscrira dans sa réalité ou soumis à conditions (d’être, de ressemblance, de rôle ou de fonction..).
Bébé miraculeux porté par une femme ménopausée arc-boutée contre le temps. Ou peut-être, bébé né d’un mort, loin du désir qui l’initialisa… ?
Bambin issu d’une génitrice esseulée ou d’une électro-éjaculation (post mortem) : frustré alors en matière d’altérité (ou de propositions d’altérité)…
Ou encore, poupon sorti du miroir et produit par réplication : enfant-clone ou clone d’enfant - assigné à résidence corporelle, à étance existentielle, à soutenance altérée…
Et les techniques s’entêtent. Des gènes décryptés seront élus ou exclus, appariés ou modifiés…Un noyau extrait d’un gamète de l’une sera transféré dans l’ovocyte énucléé de l’autre pour être fécondé par le sperme d’un ami du mari d’une voisine qui portera le conceptus pour l’offrir à une quatrième dont le compagnon épisodique à charge de famille ailleurs…
Enfant de tous, enfant de personne…
«Enfant des scientifiques, des manipulateurs ovocytaires, des récolteurs et donneurs de sperme et des transplanteurs d’embryons dûment vérifiés. A souhaiter cependant qu’il soit parfait - sous peine de voir se disperser cette famille polynucléaire et se rétracter les différents intervenants. A souhaiter surtout que subsiste le rapport fondateur à l’altérité et au devenir : car différences et différenciations inscrites dans la durée d’un temps fléché sont nécessaires au «devenir-moi» du sujet (individualisation /personnification /densification). Car donc la filiation sous-entend et sous-tend l’histoire et l’historialité, l’évolution et la conservation : contre l’immobilisme, contre la rupture. La mettre à mal reviendrait à bouleverser, puis à abstraire, l’histoire individuelle. Mais aussi, à refuser toute limite ou toute sacralité lors même que le sacral permet un mouvement évolutif : induisant une cohésion des individus, suscitant des règles et obligeant à une distanciation (...) », In "Du désir d’enfant au désir de soi", p. 29-31
Au bout du compte, le risque fondamental des techniques nouvelles, complexes comme la fivete ou simple comme l’insémination (que la semence soit ou non post mortem), tient à un glissement allant du désir d’enfant au désir de «soi»… Mais un «soi» désinvesti ou investi en extériorité : manipulé ou préformé, soumis ou anesthésié, prothétisé ou transmuté. C’est là le «soi» des élans immobiles animant les scènes diverses de violences irraisonnées. Celui des solitudes désespérées noyant dans les masses fiévreuses la froideur de ses errances. Celui du sujet fragmenté se distançant crescendo d’un «moi» référentiel : aspirant à imprégner la matière compacte de l’univers ou à ingresser la chair vive d’autrui– par la voie d’insertions, assignations ou déterminations.
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Jacqueline Wautier
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