Reg'liss continuait de hurler le nom de son amie, mais seuls les lopvents lui répondaient de leurs glapissements. Hank était remonté sur la mère et tenait le petit par les rênes.
- Reg'liss viens, il est trop tard pour elle.
Mais Reg'liss ne l'écoutait pas. Il s'entêtait à appeler Sin fo.
Hank éperonna son lopvent et se dirigea vers l'île, tirant derrière lui la monture désormais inutile de Sin fo. Reg'liss fut contraint de le suivre, car son lopvent refusait de laisser partir sa mère sans lui. Dès que l'animal eut atterri, Reg'liss mit pied à terre et agrippa Hank par le col.
- Qu'est-ce que tu fais, il faut retourner la chercher !
- Ça ne servirait à rien, elle est morte, admets le.
- Elle est juste tombée. On peut la rejoindre en volant !
- Elle est tombée sous les nuages. Nul n'en reviens jamais et tu le sais.
La voix de Reg'liss fut secouée d'un sanglot.
- Mais Sin fo ne peut... Elle n'est pas... Je ne la reverrai jamais. Sans cette bête, elle serait encore avec nous.
- N'accuse pas l'animal, tout est de ta faute.
- Qu'est-ce que tu dis ? Ce n'est pas moi qui ai plongé et lui ai fait lâcher prise !
- Mais elle était sur ton lopvent. C'est toi qui aurais du tomber.
- C'est affreux ce que tu dis.
- Oui la vérité, ça fait souvent mal. Tout était parfait, et tu as tout gâché. J'ai coupé la sangle, j'ai donné un fruit au lopvent parce que le sucre leur fait perdre la tête, mais il a fallu que tu pleurniches !
- C'est toi qui... Tu as voulu tuer Sin fo ? Mais pourquoi ?
Reg'liss avait tiré son épée du fourreau et la pointait sur Hank, qui avait une lueur démente dans le regard.
- Parce qu'on me l'a ordonné, voilà pourquoi. Pauvres petits agneaux égarés, je vous ai mené par le bout du nez comme le berger conduisant son troupeau, et pas un seul instant vous ne vous êtes doutés que le loup était déjà dans la bergerie.
- Alors tout ce temps, tu t'es moqué de nous.
- Non, j'avais fini par m'attacher à vous. Mon amitié était sincère. J'avais même décidé d'épargner Sin fo. Mais à cause de toi, tout est allé de travers et je n'ai pas pu la sauver. Mais j'ai compris désormais. J'arrête la finesse. Cette fois-ci, je ne te raterai pas Reg'liss.
Hank bondit en avant et envoya son poing dans le visage de Reg'liss. Celui-ci tenta de se défendre avec son épée, mais Hank lui saisit le bras et le tordit pour lui faire lâcher prise. L'épée tomba au sol et Reg'liss mit un coup de pied dedans pour l'éloigner. L'arme glissa dans l'herbe en direction de la falaise. Hank relâcha Reg'liss et se précipita pour la ramasser. Reg'liss profita du répit pour tenter de concocter un sort de protection. Malgré ses faibles pouvoirs, il sentait un flux magique monter en lui. Lorsqu'il leva la tête, Hank n'était plus qu'à deux pas de lui. Pris de panique, il n'eut pas le temps de lancer le sort. Hank lui enfonça son épée dans le ventre. Reg'liss sentit son estomac exploser et le sang lui remonter dans la gorge. Hank lui dit :
- Tu auras été difficile à attraper, mais tu vas rejoindre ta chère Sin fo à présent.
Reg'liss cracha le sang qui l'empêchait de parler et lui répondit :
- Rien ne me ferait plus plaisir, j'ai tellement de choses à lui dire. Mais toi...
Il agrippa le bras de Hank et le tira vers lui afin de lui murmurer à l'oreille.
- Toi tu as des excuses à lui présenter alors je t'emmène avec moi !
Il libéra toute l'énergie qu'il avait accumulé et produisit une explosion qui projeta Hank en arrière et le fit basculer dans le vide. Reg'liss n'eut que le temps de le voir disparaître sous les nuages avant de tomber à genoux, puis de s'effondrer au sol.
L'odeur de l'herbe mouillée lui emplissait les narines, les lopvents criaient derrière lui et les soleils l'éblouissaient. Puis petit à petit, la douleur se fit moins lancinante, les cris moins stridents et les odeurs moins entêtantes. Des points rouges apparurent devant ses yeux, puis sa vue se voila. Il n'entendait plus, ne voyait plus, ne sentait plus. Il était bien. Simplement bien. Et soudain il n'était plus.
***
- Toi tu as des excuses à lui présenter alors je t'emmène avec moi !
Pendant une fraction de seconde, Hank crut que Reg'liss allait retourner son arme contre lui, jusqu'à ce qu'il ressente un coup violent dans la poitrine, puis le souffle d'une explosion. Il fut propulsé en arrière jusqu'à ce que le sol se dérobe sous ses pieds. Suspendu dans les airs pendant une seconde, il vit Reg'liss sourire, puis il se mit à chuter. L'abîme de nuages se rapprochait à une vitesse telle qu'il n'eut que le temps de fermer les yeux avant de l'atteindre. Il s'attendait à une fin rapide, comme l'avait été celle de Sin fo, mais rien ne se produisit. Après quelques instants il rouvrit les yeux, ce qui se révéla inutile puisqu'une brume compacte l'entourait de toute part. Il se demanda un moment s'il n'était pas en suspension, comme l'étaient toutes les îles de Vadkraam, mais le vent qui sifflait à ses oreilles lui fit vite comprendre qu'il se trompait. Il continuait de tomber, et bien que le fait de n'avoir pas encore heurté un sol solide n'était pas pour lui déplaire, il se dit que le choc n'en serait que plus brutal au moment fatidique. Les minutes s'égrenaient et il commençait à s'impatienter. Il pensait aux choses qu'il avait fait ces derniers jours, et il commençait à se demander s'il avait pris les bonnes décisions. La culpabilité le submergea lorsqu'il pensa à Sin fo et il se surprit à espérer la mort pour échapper à cette douleur. Soudain il sentit quelque chose se coller sur sa joue. Il se frotta vivement et quand il la prit entre ses doigts, la chose s'effrita. Cela semblait être du sable mouillé. D'autres plaques se collèrent à lui. Il se débarrassa de trois, quatre d'entre elles avant d'abandonner et de laisser le sable le recouvrir petit à petit. Après tout ce n'était pas si désagréable.
Le sable l'entourait de tous cotés désormais, flottant autour de lui. Hank glissait à travers, et ça ralentissait sa chute. Soudain il s'immobilisa complètement. Apparemment il avait touché le fond. Il regarda autour de lui et il ne vit qu'une vaste étendue de sable qui s'étirait dans toutes les directions jusqu'à l'horizon. De gigantesques geysers apparaissaient ça et là par intermittence. Après quelques secondes, Hank remarqua quelque chose d'étrange. Le niveau de la mer de sable semblait monter. Il baissa les yeux et se rendit compte que c'était lui qui s'enfonçait. Il tenta de se dégager mais il avait déjà du sable jusqu'aux mollets. Il se débattit comme un diable mais ça ne faisait qu'accélérer les choses. Seule sa tête dépassait du sol désormais. Il avait espéré une mort instantanée et au lieu de ça il allait suffoquer lentement. Il fallait croire que les dieux n'étaient pas disposés à lui accorder une fin sans douleur. Il était maintenant totalement recouvert de sable, mais il luttait pour ne pas en inhaler. Il sentait les grains qui continuaient de rouler sur lui, preuve qu'il s'enfonçait encore.
Il s'apprêtait à accepter l'inévitable, quand il sentit une sensation bizarre dans les pieds. Après le vent cinglant et le sable granuleux, il mit un moment à s'habituer à un contact aussi doux sur sa peau, puis il le reconnut. C'était de l'eau. Il y avait de l'eau sous la couche de sable. Sans réfléchir, il se tortilla comme un ver pour s'extraire de la nappe de sable. Dès que les bras furent passés, il poussa de toutes ses forces pour dégager sa tête. Quand il y parvint, il n'eut pas le réflexe de retenir son souffle et il avala une gorgée d'eau. Il reconnut le goût amer de l'eau salée. Il tourna sur lui même mais s'abstint de poser les pieds dans le sable, de peur d'être aspiré de nouveau. Il leva la tête et vit une lueur pâle loin au dessus de lui. Il battit des jambes et nagea frénétiquement vers la surface. Tout était sombre autour de lui mais il percevait de nombreuses présences et il crut même sentir une créature l'effleurer.
Cela faisait plusieurs minutes qu'il retenait sa respiration et le manque d'oxygène se faisait cruellement sentir. Ses poumons le brulaient et il commençait à avoir le tournis. Il fit encore quelques brasses et il arriva enfin à la surface. Il avala une grande bouffée d'air frais, puis une deuxième, et plusieurs autres, de plus en plus vite, jusqu'à ce qu'un fou rire le saisisse. Jamais il n'aurait pu penser que le simple fait de respirer lui procurerait autant de bonheur.
Lorsqu'il retrouva ses esprits, son cerveau se mit à tourner à plein régime. Il était vivant mais pas tiré d'affaire. Il était au milieu de la mer et il ne pourrait pas nager des heures. De plus il faisait nuit et il ne voyait pas grand chose. D'ailleurs pourquoi faisait-il déjà nuit ? Il était à peine midi lorsqu'il avait tué Reg'liss, il n'avait pas pu s'écouler plusieurs heures depuis. Hank décida de remettre ce mystère à plus tard. Il regarda autour de lui et aperçut les contours d'une île qui se dessinaient à la lueur de la lune. Il se dirigea vers cette île, n'espérant rien d'autre pour le moment qu'un sol compact sous ses pieds. Hank mit presque deux heures à atteindre l'île et le soleil baignait déjà le monde des premières lueurs de l'aube lorsqu'il rampa sur la plage, à bout de forces. Il se retourna sur le dos et resta là, haletant, le dos au sec et les pieds dans l'eau, se laissant bercer par le ressac qui enfonçait peu à peu ses jambes dans le sable. En tournant la tête, Hank vit des volutes de fumée s'élever au dessus des palmiers à quelques dizaines de mètres de là. Il se dit qu'en allant dans cette direction il obtiendrait surement de l'aide et peut être même un peu de nourriture. Mais pour le moment, il n'avait besoin que de repos. Depuis presque dix jours, il n'avait pas eu un moment pour lui. Maintenant qu'il avait accompli sa mission... À cette pensée des larmes perlèrent à ses yeux et il ne les essuya pas. Il les laissa rouler sur son visage, le goût des larmes se mêlant aux embruns de l'océan.
Après une heure passée à se sécher au soleil, Hank décida qu'il était temps de se remettre en chemin. Son instinct lui conseillait de ne pas rester trop longtemps au même endroit. Pourtant le cadre était idyllique : plage de sable fin, palmeraie, eau turquoise, tout incitait à la rêverie et au farniente. Hank marchait dans l'eau. De nombreux poissons aux couleurs vives nageaient autour de lui, et il s'amusait à leur donner des coups de pied pour de faux. Il marchait sans se presser, profitant d'être lui-même pendant qu'il le pouvait encore. Il savait que s'il voulait obtenir de l'aide, il devrait mentir et s'inventer une nouvelle vie, encore une fois. En effet, qui voudrait connaître un meurtrier ? Et même s'il choisissait l'honnêteté, comment expliquer qu'il avait émergé des profondeurs de l'océan ?
Il réfléchissait encore à sa nouvelle identité lorsqu'il arriva à l'endroit d'où s'élevait la fumée. Il sut tout de suite que quelque chose n'allait pas. Un campement avait été dressé, mais personne ne s'y trouvait. À côté du feu éteint se trouvaient des trognons de fruits et des coques de noix de coco. Une cabane rudimentaire avait été construite, mais il n'en restait plus qu'un tas de branches sur le sol. Pas plus d'une personne n'avait dû vivre ici, et pourtant le sol était recouvert de traces de pas, de plusieurs tailles différentes, comme si tout un groupe s'était déplacé. Hank tira vite ses conclusions. Soit la personne qui campait là était partie de son plein gré avec ce groupe, soit elle avait été enlevée. Cette seconde hypothèse lui semblait la plus probable, et il se demanda ce qu'il devait faire. Partir à la recherche de ces gens ? Cela pouvait se révéler dangereux, d'autant qu'il ne savait pas dans quelle direction chercher. Rester là ? Tout aussi risqué, ils étaient venus une fois, ils pouvaient revenir. De deux maux, il choisit le moindre. Il décida de rester. Il ne voulait pas s'aventurer plus avant dans les terres. De plus, la plage offrirait une vue dégagée en cas de problème.
Hank remit un peu d'ordre dans le camp. Il redressa la cabane, cueillit des fruits, mangea un peu, coupa du bois et entreprit de rallumer le feu. Il cassa ensuite une branche qu'il tailla en pointe pour avoir de quoi se défendre. Cela se révéla inutile, car cette nuit là, il ne fut attaqué que par une colonie de puces des sables.
Il passa les jours qui suivirent à améliorer son confort sur le camp. Il commença par se confectionner une paillasse en feuilles de palmier, puis il consolida les murs de son abri, construisit un toit plus étanche après avoir essuyé des pluies diluviennes la quatrième nuit. Il chercha de quoi se nourrir, mais dû souvent se contenter de fruits car malgré ses talents de chasseur, il ne parvint à attraper qu'une mouette, qui se révéla d'un goût immonde. Il fabriqua ensuite un harpon et se rendit compte qu'il avait un réel talent pour la pêche. Au soir du septième jour, il entendit des bruits dans la forêt qui le mirent mal à l'aise. Des chuchotements, des branches qui craquent, le souffle du vent dans les feuilles, la musique de nuit de la nature en somme. Rien vraiment n'avait changé, mais tout était différent. L'atmosphère était feutrée, oppressante. Cette nuit là, Hank ne dormit que d'un œil, la main serrée sur son harpon.
Le lendemain, il s'attela à la construction d'une barricade autour de sa plage. Il érigea un mur de troncs taillés et creusa ensuite une tranchée de chaque côté, qu'il tapissa de pieux, et qu'il dissimula sous un tapis de feuilles de palmier. Il ne laissa qu'un petit espace libre, afin de pouvoir continuer à se ravitailler. Puis il attendit. Longtemps. Pendant une semaine, il ne fit rien d'autre qu'attendre. Attendre qu'il se passe quelque chose, attendre un bruit, un mouvement. Mais rien ne se produisit. Seuls les repas venaient rompre la monotonie de ses journées. Alors qu'il commençait à se demander s'il existait bel et bien un ennemi derrière le mur, il entendit dans les bois une longue plainte stridente, comme un cri d'oiseau, mais il savait qu'il ne s'agissait pas de ça. En l'entendant, un frisson lui parcourut l'échine et il sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque. Il attrapa son harpon et courut vers la brèche. Il se risqua à passer la tête au dehors, et une flèche vint se ficher dans le bois à quelques centimètres de lui. Il rentra vivement à l'abri derrière sa barricade et attendit que ses assaillants l'attaquent. Il y eut encore quelques impacts de flèches, puis plus rien. Hank redoutait un piège et ne bougea pas. Après une demi-heure à rester immobile, en silence, il prit son courage à deux mains et retourna voir au dehors. Il n'y avait personne et plus aucun mouvement dans les arbres. Ses ennemis jouaient avec ses nerfs. Ils le laissaient vivre ici mais il ne pouvait pas quitter sa plage. Il avait lui même érigé les barreaux de sa prison. Une bouffée de colère l'envahit. Il n'avait pas toujours eu une vie facile, mais au moins avait-il toujours vécu en homme libre. Il poussa un hurlement et s'adressa à ses geôliers invisibles.
- Bande de lâches ! Venez vous battre comme des hommes !
Hank entendit le son d'une corne et il sut que le moment était enfin venu d'en découdre. Il affermit sa prise sur son arme rudimentaire et sentit tout le stress accumulé au cours des derniers jours se dissiper. Quelque soit son sort, ce soir il serait fixé. Il gardait les yeux rivés sur la petite entrée, car il savait qu'il était impossible de passer au dessus de sa palissade.
Soudain il entendit deux bruits sourds derrière lui, comme si quelque chose venait de tomber dans le sable. Il se tourna et vit deux hommes pointant leurs armes sur lui.
- Quoi, mais comment ?
Il regarda vers la barricade et vit une ombre ailée passer devant la lune. L'ombre grandit, comme si la chose se rapprochait, jusqu'à cacher complètement la lune, puis elle passa par dessus le mur. La créature vint se poser juste devant Hank. Elle ressemblait à un humain mais était pourvue d'une gigantesque paire d'ailes d'un noir de jais.
- Nous ne sommes pas des hommes.
Après avoir dit cela, la créature brandit sa massue et en assena un coup sur la tempe de Hank qui s'effondra, inconscient.
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La Centrale Canine décerne chaque année son Prix Littéraire aux 3 meilleurs ouvrages mettant à l'honneur la relation humain-chien.