- Sin fo, mais comment...
- Hank, c'est bien toi ?
La jeune femme se leva de son trône, enlaça son ami, et s'adressa au vieil homme-corbeau par dessus son épaule.
- Seigneur Iofur, vous m'aviez parlé d'un jeune arrogant et agressif.
Hank se détacha de Sin fo pour s'adresser au revani.
- Merci pour ce charmant portrait.
Il se tourna à nouveau vers Sin fo.
- Attends tu as dit « seigneur » Iofur ?
- Naturellement, c'est le roi des revanis.
- Mais alors toi qu'est-ce que tu es ?
- Leur déesse.
- Ah oui bien sûr, leur... Quoi ?
- On parlera de ça plus tard. Tu comprends, avec cette description je pensais voir Reg'liss. Où est-il ?
Hank fut quelque peu pris au dépourvu par cette question mais il eut vite fait de se ressaisir.
- Probablement en route pour Ts'ing Tao. Il m'a accusé de t'avoir fait tomber de ton lopvent. J'ai essayé de le convaincre de partir à ta recherche, mais il n'a rien voulu entendre. Il criait que c'était trop tard, que tu étais morte. Je crois que le chagrin l'a rendu fou. Il m'a sauté dessus et m'a poussé dans le vide. La suite tu la connais.
- Il n'est pas venu...
En disant cela, la voix de Sin fo trembla légèrement, et Hank éprouva soudain le plus vif intérêt pour la tapisserie qui se trouvait sur le mur à sa droite. Après deux minutes, Sin fo prit Hank par la main et lui dit :
- Viens, sortons.
- Vous ne devriez pas, intervient Iofur.
- Ça ira seigneur Iofur. Hank est un bon ami.
Il s'inclina légèrement et répondit :
- Je me fie à votre jugement.
Sin fo se glissa sous la tenture qui se trouvait derrière le trône et invita Hank à la suivre. Pendant une seconde, une vision fugitive traversa l'esprit du jeune homme, mais Sin fo se contenta d'ouvrir une porte cachée et de se faufiler dans un couloir attenant.
- Ça mène à mes appartements. Certains jours, je ne peux vraiment pas passer par la grande porte.
Ils passèrent par la chambre de Sin fo, brillamment éclairée et confortablement meublée, et Sin fo fit coulisser une grande baie vitrée pour déboucher sur une terrasse. Il y avait là une mare où des carpes s'ébattaient tranquillement entre les joncs et les nénuphars, une table ronde et des petits bancs en pierre blanche, des parterres de fleurs sauvages et des arbres aux branches chargées de fruits. Les deux jeunes gens s'assirent sur un banc de pierre, sous un cerisier en fleur. De là, ils avaient une vue imprenable sur Zihuatanero, tout en étant protégés des regards par les branches longues et basses des arbres fruitiers.
- Quel panorama !
- Bienvenue chez moi.
- Et si tu m'expliquais cette histoire de déesse maintenant ?
- Je pense que tu es arrivé par le même chemin que moi, donc tu ne seras pas surpris d'apprendre que je suis entrée dans ce monde en émergeant des flots.
- En effet.
- En revanche ça a quelque peu étonné le revani qui passait par là. Il m'a regardé nager jusqu'à l'île, puis il est venu m'aider à installer un camp et allumer un feu pour me sécher. Il parlait beaucoup mais je ne comprenais rien, je ne parlais pas encore le revani.
- Et maintenant tu le comprends ?
- Oui, tu verras c'est une langue très simple en fait. Je te l'apprendrai si tu veux. Enfin bref, il m'a fait comprendre par des gestes que je devais rester sur la plage et l'attendre.
- Et tu l'as fait ?
- Bien sûr ! Où voulais-tu que j'aille ? Il est revenu quelques heures plus tard avec le seigneur Iofur et un cheval ailé.
- Laroni ?
- Non, c'était une jument à la robe totalement blanche, une vraie merveille. Ils m'ont conduit à travers la montagne, mais je n'arrivais pas à avancer dans le tunnel accidenté, donc j'ai usé de mon pouvoir pour aplanir le sol.
Hank fit semblant de ne pas comprendre.
- Ton pouvoir ? Mais de quoi tu parles ?
- Ah c'est vrai que je ne t'ai jamais montré. Regarde bien.
Elle tendit une main au dessus du sol et ferma les yeux. Il y eut un faible tremblement et une colonne de pierre s'éleva lentement devant eux, puis elle se façonna en un cheval ailé se cabrant.
- C'est... magique !
- Je te l'offre. Toujours est-il que ça a conforté les revanis dans leur idée que j'étais une déesse réincarnée.
- Mais pourquoi ont-ils pensé ça au début ?
- Ce qu'il faut savoir, c'est que les revanis ne savent pas nager. Ils n'ont jamais eu besoin d'apprendre. Lorsqu'ils se retrouvent face à une étendue d'eau, il leur suffit de voler pour passer de l'autre côté. Pour un revani, voir quelqu'un nager, c'est un peu comme si les gens de chez nous voyaient quelqu'un voler ou jeter des éclairs. Les gens ont toujours mystifié ce qu'ils ne comprenaient pas. Ils m'ont emmené au temple, m'ont fait me changer et je me suis retrouvée dans la salle du trône - il n'y avait pas encore de trône d'ailleurs – devant une foule de revanis qui me regardaient en silence. Le seigneur Iofur a parlé et ils se sont tous agenouillés. Je t'avoue qu'à ce moment là je me suis sentie un peu perdue. La semaine qui a suivi, je n'ai vu personne d'autre que le seigneur Iofur qui m'a appris le langage revani, tandis que je lui enseignais notre langue. Quand nous avons enfin pu nous comprendre, il m'a expliqué qu'il était roi, et qu'il m'avait cédé ses pouvoirs en raison de ma divinité.
- Tu as accepté comme ça ?
- Évidemment pas, pour qui me prends-tu ? J'ai eu beau leur expliquer que je n'étais pas une déesse, que si je savais nager, c'est parce que je venais d'un autre monde, rien n'y a fait.
- Il faut avouer que ce n'était pas la meilleure des défenses dans ta situation.
Cette remarque fit rire Sin fo.
- C'est vrai. Donc j'ai fini par me résigner. La charge est surtout honorifique. Iofur me conseille, et en réalité, c'est lui qui prend toutes les décisions importantes. Il reste le roi des revanis, je suis là pour l'apparat.
- Et ça te plait d'être prisonnière ici ?
- Prisonnière ? Hank regarde ce décor ! Si le paradis existe, nous sommes au paradis.
- Ils sont bizarres tes anges quand même. Regarde ce qu'ils m'ont fait.
Il lui montra son front, où la plaie était encore ouverte.
- Ils défendaient leurs terres contre un envahisseur étranger. Tu en aurais fait de même j'en suis sûre.
- Admettons. Il n'empêche que je n'aime pas leurs méthodes.
- Je leur demanderais de te présenter des excuses, ça te va ?
- Il ne s'agit pas que de ça Sin fo. Ce n'est pas notre monde, nous ne sommes pas chez nous ici.
- Je n'étais pas non plus chez moi là haut. La seule chose qui me rattachait à ma ville natale, c'était Reg'liss. Et apparemment, lui n'a pas besoin de moi pour s'y sentir bien.
Une larme glissa sur sa joue. Hank cueillit une fleur de cerisier, avec laquelle il suspendit une mèche de cheveux de Sin fo derrière son oreille.
- Ne pleure plus, je suis là moi.
La jeune femme posa sa tête sur son épaule.
- J'aimerais que nous restions là pour toujours, juste toi et moi.
- Je ne peux pas faire ça. Tu te souviens ? Je t'ai promis de t'aider à rentrer chez toi. Je n'ai pas encore tenu ma promesse.
- Pourquoi tiens-tu autant à partir ?
- Tu as pensé à ta famille ? Tu n'as pas envie de les revoir ? J'ai aussi une famille là haut. Une maison, des amis. Je ne veux pas renoncer à tout ça pour vivre ici.
Sin fo se redressa et s'écarta légèrement de Hank. Elle s'essuya les yeux avant de répondre.
- Tu as raison, il n'y a rien pour nous ici. Je vais aller demander au seigneur Iofur s'il peut nous aider à quitter la vallée.
Elle s'éloigna de quelques pas, s'arrêta et regarda à nouveau Hank.
- Tu devrais venir avec moi, nous ne serons pas trop de deux pour les convaincre que je ne suis pas une déesse.
Comme Sin fo l'avait prévu, Iofur ne voulait pas la laisser partir.
- Vous ne pouvez pas nous abandonner noble Léessedi.
- Mais puisque je vous dis que je ne suis pas votre léessedi !
- Vous venez d'un autre monde, vous l'avez vous même reconnu.
- Moi aussi, intervint Hank. Et pourtant vous ne me considérez pas comme un dieu.
- Les écrits des anciens ne font état que de la venue d'une déesse. Nulle part il n'est mentionné qu'un homme l'accompagnerait.
- Justement ! Si je suis là, ça prouve que Sin fo n'est pas celle que vous croyez !
- Comment osez vous parler de la sorte ? Gardes ! Saisissez le et enfermez le.
- Quoi ? Non, arrêtez ! Laissez le ! Arrêtez, c'est un ordre !
- S'il dit vrai, de quel droit donnez vous des ordres ?
Un des gardes ceintura Hank, mais il ne se laissa pas faire. Il lui envoya son coude dans le menton et se dégagea. Il tenta de se rapprocher de Sin fo mais Iofur dégaina l'épée qu'il portait à la taille et la brandit dans sa direction. Les deux gardes plaquèrent le jeune homme au sol et lui attachèrent les mains dans le dos. Il continuait de se débattre mais Sin fo lui dit :
- Ça suffit Hank, laisse toi faire.
Ces paroles eurent le même impact sur Hank qu'un coup sur le crâne. Il cessa de lutter et se laissa soulever en arrière, puis mener en dehors de la salle. Juste avant de passer les portes, il adressa une dernière parole à Sin fo.
- Je vois quel camp tu as choisi.
Les deux gardes lui firent traverser les mêmes couloirs qu'il avait emprunté plus tôt en sens inverse. Ils le conduisaient à l'extérieur du temple et il avait perdu toute envie de s'enfuir. Une fois dans la cour pavée, les deux gardes prirent aussitôt leur envol, portant Hank comme un fardeau. Ils montèrent vers les montagnes, laissant Zihuatanero sous leurs pieds. Lorsqu'ils se posèrent, ils étaient entrés dans une grotte située presque à la verticale du temple, plusieurs centaines de mètres plus bas. Les gardes conduisirent Hank vers le fond de la grotte. Derrière des barreaux se trouvait une petite cellule avec un lit simple sans couverture, une torche qui brulait au mur, et une cruche en étain renversée sur le sol. Hank se laissa détacher et pousser à l'intérieur de la cellule. Sans un mot il s'assit sur le lit et regarda un des gardes prendre la cruche, sortir et verrouiller la porte derrière lui. Les deux revanis repartirent en direction de la vallée, et Hank se laissa tomber sur son matelas. Il n'avait plus envie de se battre, il n'avait plus envie de réfléchir. Il resta étendu plusieurs heures à regarder la lumière décliner à mesure que la torche se consumait, avant de sombrer dans le sommeil.
Il fut réveillé au matin par un autre revani, qui lui rapporta la cruche remplie d'eau, ainsi que quelques fruits et un morceau de viande rouge. Hank mâchonna la nourriture sans conviction, plus par instinct de survie que par réelle envie, et porta la cruche directement à ses lèvres, grimaçant au goût du métal. L'eau était glacée et il se saisit le front à deux mains pour lutter contre la migraine. Il donna un coup de pied rageur dans la cruche, puis retourna s'allonger sur le lit. Les jours s'écoulèrent ainsi. Hank ne faisait rien, ne se levait que pour manger. Les revanis ne lui adressaient pas la parole, et cela lui convenait parfaitement.
Une nuit, il fut tiré de son sommeil par un bruit métallique. Il pensa une seconde qu'il était l'heure de manger, mais il s'aperçut vite qu'il se passait quelque chose. Le soleil n'était pas encore levé, et les bruits de pas qu'il entendait étaient feutrés, comme si le visiteur essayait de ne pas le réveiller. Il resta étendu, tout en étant sur le qui-vive. Les revanis en avaient peut-être assez de le nourrir, et avaient décidé de le faire disparaître. Il entendit le bruit caractéristique de la serrure, mais pas celui de la porte qui grinçait. Il se risqua à ouvrir un œil et vit que la silhouette qui se tenait devant lui ne possédait pas d'ailes. Il se releva vivement.
- Sin fo ? C'est toi ?
Il n'avait pas parlé depuis plusieurs jours et sa gorge le fit souffrir. Il toussa et Sin fo lui dit.
- Oui c'est moi. Fais moins de bruit je t'en prie. Et écarte toi un peu.
Elle se servit de son pouvoir pour creuser sous la grille une ouverture suffisamment large pour que Hank puisse s'y glisser.
- Tu ne pouvais pas simplement m'ouvrir la porte ?
- Je n'ai pas la clé. Qu'est-ce que tu crois, que je suis en visite officielle ? Iofur ne t'accorde pas la grâce, je viens te faire évader.
Hank s'extirpa de sa cellule avant de lui demander :
- Pourquoi tu ne l'as pas fait plus tôt ? Pourquoi tu ne m'as pas aidé au palais l'autre jour ?
- Ils nous auraient enfermé tous les deux. Et je ne pouvais pas venir plus tôt, Iofur avait posté des gardes devant ma porte pendant une semaine, et il a lui même continué de me surveiller quelques jours de plus.
- Comment es-tu montée jusqu'ici ?
- Grâce à Laroni. C'est avec lui que nous allons partir. C'est toi qui avait raison, ce n'est pas notre monde, nous devons chercher un moyen de rentrer chez nous.
Ils sortirent ensemble de la grotte et montèrent tous deux sur le cheval ailé. Il trottina un peu avant de se jeter dans le vide, puis de déployer ses ailes et de commencer à prendre de l'altitude, en direction des sommets.
La traversée ne fut pas facile, mais Sin fo avait prévu des vêtements chauds et des couvertures pour lutter contre le froid des glaces éternelles. C'est ainsi que les deux jeunes gens s'échappèrent de Zihuatanero et entamèrent un nouveau voyage vers leur foyer.
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