une histoire de Vadkraam, chapitre premier

- Je vais en ville oncle Krabs.

Le jeune Reg'liss sortit de la ferme familiale et se dirigea vers les rives du lac. Il vivait avec son oncle depuis la mort de ses parents, alors qu'il n'était encore qu'un petit garçon. Il avait toujours aidé son oncle aux travaux de la ferme, mais maintenant qu'il était presque adulte, c'était lui qui abattait la plus grosse partie du travail.

Krabs et son neveu habitaient sur Incuna, une petite île forestière qui se situait dans la partie septentrionale d'un monde nommé Vadkraam. Ce monde était composé de centaines de milliers d'îles, la plupart mesurant quelques hectares mais certaines atteignant des surfaces gigantesques, de véritables continents. Toutes ces îles n'étaient pas séparées par les mers mais par un océan de nuages. En effet ces morceaux de terre flottaient en suspension au dessus du vide, et les nuages miroitaient une myriade de couleurs mordorées. Malgré leur beauté ces nuages inspiraient la crainte sur Vadkraam car personne ne savait exactement ce qu'ils cachaient, hormis les légendes et histoires de coin du feu qui avaient baptisé cet endroit le Fond et le prétendaient habité de créatures cauchemardesques. Les mers de nuages devaient leurs couleurs aux reflets des trois soleils qui trônaient dans le ciel de Vadkraam et offraient à ses habitants leur chaleur et leur lumière. Sur Vadkraam vivaient bien sûr les êtres humains, mais aussi une multitude d'autres peuples doués de parole, ainsi qu'une infinité d'espèces animales et végétales toutes plus étranges les unes que les autres.

Or donc Reg'liss et son oncle vivaient sur Incuna, petite île forestière du nord de Vadkraam. L'unique ville de l'île se nommait Ts'ing Tao, ce qui signifiait la Ville Flottant au Centre. Et pour cause, Incuna n'était en fait qu'une vallée, occupée en son centre par un lac réputé sans fond, et bordée de collines boisées et d'une petite montagne au nord. Lorsqu'une poignée d'hommes vint s'établir sur Incuna, ils durent déployer tout leur art et toute leur ingéniosité pour bâtir l'île artificielle au milieu du lac sur laquelle se tenait Ts'ing Tao.

La ville s'était édifiée autour d'une place centrale et la plupart des habitants vivaient en ville, dans des maisons de pierre et de bois, dont certaines se hissaient sur plusieurs étages, la plus grande et la plus belle de toute étant bien sûr la résidence du chef. Mais certains se contentaient de cabanes de pêcheurs à la périphérie de l'île artificielle, et d'autres, plus téméraires, abandonnaient la sécurité du lac pour s'établir comme fermiers près des rives.

C'était le cas de Reg'liss, qui ce jour là avait quartier libre. Dans ces moments là, il se promenait souvent seul en forêt, ou plus rarement se rendait en ville pour rencontrer des amis. Son oncle et lui avaient travaillé sans relâche depuis des jours pour récolter et stocker les vivres dont ils auraient besoin pendant l'hiver, c'est pourquoi le jeune homme avait décidé de partir tôt à Ts'ing Tao afin de profiter au maximum de sa journée de repos.

Ainsi, après un petit déjeuner frugal mais nourrissant, Reg'liss prit sa veste et sa bourse et se dirigea d'un pas allègre vers le lac. Arrivé près des rives, il sortit d'une de ses poches une petite boite en bois d'où il tira une pincée de poudre rouge. Il en forma un tas sur le sol et y mit le feu. La poudre crépita quelques instants avant de s'élever en un éclair pourpre et d'exploser quelques mètres au dessus de Reg'liss. Après plusieurs minutes, celui-ci vit une petite embarcation s'approcher à une vitesse telle qu'elle paraissait animée d'une volonté propre. Reg'liss paya le passeur et s'installa à la proue. Il prit le morceau de viande crue que lui tendait l'homme et le jeta vers l'eau. C'est alors qu'apparut la tête d'un cheval à la crinière constituée de joncs, qui attrapa la viande au vol et la dévora goulûment. Son repas avalé, la créature consentit à plonger et à tirer ses passagers vers Ts'ing Tao.

- Ton kelpy à l'air en pleine forme.

- Oui, il n'a jamais été aussi rapide. Que vas-tu faire en ville ?

- Juste traîner et profiter de mon jour de repos.

- Tu comptes t'inscrire au tournoi ?

- Quand aura-t-il lieu ?

- Quoi tu n'es pas au courant ? Ça se passe demain, toute la ville ne parle plus que de ça depuis trois semaines !

- Je n'ai presque pas quitté la ferme ces derniers temps, répondit Reg'liss. Je ne crois pas que je participerais, je ne suis pas fait pour ces choses là.

A ce stade du récit quelques précisions s'imposent. Pour comprendre ce qu'est ce tournoi, il faut savoir que tous les habitants d'Incuna possédaient des dons plus ou moins développés en matière de magie. Ces dons les aidaient bien sûr dans leur vie quotidienne, mais ils servaient également une fois tous les sept ans, lorsque tous les habitants de l'île se réunissaient et s'affrontaient à travers diverses épreuves visant à designer le plus fort et le plus habile de tous, celui qui remporterait le droit de diriger le village jusqu'au prochain tournoi.

L'actuel chef, Hogarth Ni, avait déjà gagné trois fois, ce qui constituait un record.

- Et même si je passais les éliminatoires, je n'aurais aucune chance contre Hogarth, reprit Reg'liss. Il a toujours été mon chef, comment pourrais-je l'affronter ?

- Rassures toi il ne participera pas cette année, dit le passeur.

- C'est vrai ?

- Oui il dit qu'il commence à se faire vieux.

Ils étaient maintenant parvenus à Ts'ing Tao, et tandis qu'il disait cela, le passeur arrimait sa barque au ponton. Reg'liss descendit et l'homme lui dit avec un clin d'œil

- Mais je crois surtout qu'il a peur de perdre contre une certaine personne.

Reg'liss ne voyait pas du tout de qui il pouvait bien parler mais se contenta de lui adresser un sourire avant de s'éloigner.

Il déambulait sur la place du marché entre les différents étals de nourritures, vêtements et breloques lorsqu'il s'arrêta devant un avis placardé sur un mur. Il y lut que du fait du manque d'approvisionnement et des difficultés à commercer avec les îles voisines, les prix avaient augmenté sur Ts'ing Tao et que beaucoup de marchands avaient dû fermer boutique, ruinés.

Reg'liss poussa un juron. Dans ces conditions, Krabs et lui ne pourraient jamais vendre leur surplus, et ils avaient besoin d'argent pour s'acheter de nouveaux outils et les ressources qu'ils ne pouvaient pas produire eux mêmes. Le jeune homme s'éloigna, emprunt à une profonde lassitude. Cela faisait des mois que leur situation se détériorait sans cesse. Il ne leur resterait bientôt plus rien. Il voulait faire quelque chose pour aider son oncle, mais quoi ?

C'est alors qu'il arriva devant la résidence du chef. Il la contempla avec amertume, se disant qu'il pourrait facilement faire rentrer une dizaine de fermes comme la sienne dans une aussi grande propriété.

A cet instant Reg'liss eut une idée qui le fit sourire. Il courut vers une tente dressée au centre du marché, riant de la possibilité qu'il venait d'entrevoir.