« On dit qu’à Milan, dans le fond du réfectoire du couvent de Santa Maria delle Grazie, Léonard de Vinci, travaillant à sa Cène, rêvassait beaucoup. Il rêvassait tellement devant la fresque inachevée, le pinceau au repos, le regard au loin par la fenêtre, sans rien dire ni écrire, que le prieur chargé de superviser l’avancement des travaux alla se plaindre au commanditaire, le Grand Duc Ludovic, qui se plaignit à Léonard. Le prieur mouchard finit, dit-on, représenté en Judas dans la Cène, et Léonard termina la fresque à son rythme, sans pour autant cesser par moments d’habiter le vague.
Marcel a quelque chose de Léonard, lui qui expérimente, qui noircit des tas de feuilles volantes avec de minuscules dessins, des plans de machines impossibles bardées de lignes pointillées et de notes techniques tous azimuts. Lui qui travaille lentement, laisse les choses en plan, et parfois pour toujours inachevées.
“J’ai beaucoup flemmé”, écrira-t-il au moment de partir de Buenos Aires, mais on n’est pas complètement dupe. On sait bien que ceux qui se consacrent à la cosa mentale ont pour les gens affairés des allures de flemmards. Mais on sait bien aussi qu’il y a flemme et flemme, et que ces songeurs-là, Léonard ou Marcel, ne sont pas des songe-creux. »