Extrait de de

T2/ IV- Deux théories de la technique : entre délivrance et aliénation ou réification.

 

A – présentation :

(224) S’agissant des biotechnologies, anthropotechnies et autres technosciences, les attitudes et évaluations se partagent entre optimisme et pessimisme, souci  à effet suspensif (au regard de l’action : de précautions en moratoires, de moratoires en interdits) et enthousiasme efficient (d’une perspective technicienne refusant toute pause). Et l’on distingue, à l’emporte-pièce il est vrai, le groupe des alarmistes et  autres pessimistes, selon lesquels «seul le pire est certain», et le groupe des optimistes et autres progressistes se nourrissant d’espérance et se réjouissant des nouvelles aventures de l’espèce. Au sein du premier groupe, il en est (Jonas en tête) pour associer l’extension des techniques, l’intensité de leur opérativité et la dimension transgénérationnelle de leurs effets à une responsabilité elle aussi étendue : où le pouvoir technique requérrait ou obligerait à une éthique de la responsabilité (éventuellement guidée par une heuristique de la peur, Jonas toujours). Parmi les auteurs associés au second groupe, il en est (dont J. Harris, J. C. Heller, G. Stock) pour insister sur la non pertinence d’une subordination de l’agir présent aux générations futures qui par définition n’existent pas et ne disposent dès lors  d’aucun droit - ni ne peuvent se voir lésées, méprisées ou aliénées. Pour les premiers, il convient de se référer à une responsabilité alignée sur le paradigme parental (issue du pouvoir de faire), pour les second il importe d’élaborer une responsabilité proche du paradigme juridique (associant l’accès à la sphère protectrice du droit et de l’éthique à une faculté de réciprocité : où droit = devoir, où protection = interaction). Responsabilité diversement appréhendée puisque les penseurs inscrits dans la continuité jonassienne estiment que, non seulement les générations futures pourront nous désigner comme élément causal de leur (éventuelle) souffrance/aliénation, mais encore que nous serons responsables (face à personne mais en mémoire de nos ancêtres et au regard de l’espèce) de leur malheur si elles ne peuvent accéder à l’existence (à l’existence et à l’existence humaine : entendue comme «bien» universel ou communément partagé – faisant lien et obligation). Face à cela, la perspective conséquentialiste souligne que le non être ne peut réclamer l’être, que le néant ne peut être lésé, que l’inexistant ne peut être associé à quelque indignité que ce soit – perspective considérant nonobstant que nos inerties, nos abstentions et nos craintes (si elles permettaient ou induisaient la venue à l’être d’individus réels démunis face aux dangers divers ou aux souffrances multiples) pourraient légitimement nous être reprochées par ceux qui auraient à endurer leur être souffrant. A ces éclairages, la transgression entamée du donné organique ou mondain, culturel ou spéciel, apparaîtra telle une promesse de dépassement et un moteur pour l’invention d’un nouvel équilibre ; ou telle une menace de désintégration et une voie d’accès direct à la souffrance ou au chaos. Et les différents auteurs  de se rapporter à l’homme-dieu (délivré des maux, ouvert à ses possibles, offert à son inventivité) …  … ou à l’apprenti sorcier déconstruisant les réalisations diverses  (menaçant donc d’explosion ou de déstructuration toutes les articulations, intégrations et soutenances unitaires). Et sont évoquées les possibilités prometteuses et potentiellement préservatrices (de l’existence individuelle et de l’espèce) …  … ou les développements destructeurs (de la vie, de la sensibilité, des spécificités et limites spécielles, du monde humain ou de l’univers). Sont invoquées les déclinaisons multiples du sens …  … ou ses désintégrations. Sont soulignés les aspects rationnels, voire hyper rationnels …  … ou les inclinations «métaphysiques» (la recherche d’un sens global propre à guérir l’angoisse humaine). Et d’appeler Prométhée à la rescousse: tantôt paradigme de la conscience s’éveillant à elle-même  comme à sa liberté, tantôt parangon d’orgueil entraînant dans son malheur l’ensemble des hommes. Ou de convoquer Faust : soit grandiose, soit renégat; ici associé aux forces créatives (pour le meilleur du progrès), là allié aux forces du mal (pour le pire de la destruction). Au bout du compte, c’est Frankenstein qui revient nous questionner : était-il en quête du bien et du savoir, ou en proie à des lâchetés qui le pousseront à délaisser sa créature esseulée - créateur et transgresseur, ou victime à la conscience rongée par un avatar de l’aigle dépeçant Prométhée ? Ci-dessous, nous exposons les divers arguments ou les diverses sensibilités en les rapportant aux deux grandes tendances évoquées (technophile et technophobe). Cependant, une fois de plus, les auteurs cités ne peuvent être aussi abruptement classés : les citations sont utilisées pour illustrer le point précis auquel elles se rapportent et non pour inscrire leur auteur dans la catégorie globale concernée.

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jacqueline Wautier

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