Marcel a voulu changer l’ampoule des cabinets.
Pour cela, il est monté sur la cuvette des WC. Mais son fils, peu de temps auparavant, n’avait pas visé correctement.
Marcel a glissé sur le rebord plein d’urine. Il prend actuellement un bain de pied. Sa cheville épouse la forme du siphon car l’entorse a provoqué un gonflement immédiat.
Nous avons deux alternatives devant nous :
+ Démonter le sanitaire et le transporter à l’hôpital avec Marcel ;
+ casser la céramique.
*
Un médecin libéral nous appelle de son cabinet. Des parents qui habitent dans le même immeuble, deux étages au-dessus, lui ont amené leur bébé inconscient.
Nous massons en vain le petit être. Le père et la mère sont dans la salle d’attente et espèrent, nous interrogeant du regard à chaque fois que nous passons devant eux pour aller chercher du matériel dans le VSAB. L’interne du SMUR ne peut finalement que constater la mort du nourrisson.
On nous ordonne de transporter le bébé en faisant croire qu’il est vivant : il ne peut pas être décédé chez une personne chargée de soigner et de sauver des vies. Sans doute le médecin craint-il pour sa réputation…
Pierrick met le petit corps sur le grand brancard, direction le VSAB, tandis que j’appuie régulièrement sur le BAVU* modèle bébé pour faire semblant d’insuffler de l’air au petit ange. Nous passons devant la maman. Elle se lève et saisit la minuscule main inerte du petit corps à la peau mate noyé dans un immense linceul blanc immaculé : « Courage, mon petit Jonathan, tu vas t’en sortir ! »
L’horreur absolue.
Nous filons à l’hôpital. Arrivé aux urgences, je porte le corps et le dépose rapidement sur un lit à roulettes… Vite, on repart. Pas le temps de discuter. Je ne veux pas, je ne peux pas croiser la mère qui va arriver d’un instant à l’autre.
Trop tard. Les parents sont déjà au bout du couloir. J’ouvre la première porte venue et la referme derrière moi pour ne pas affronter le regard de la maman.
Ses cris de détresse me déchirent les tympans. Vingt ans plus tard, je les entends encore…
*
La glace de l’étang artificiel a cédé sous le poids de l’ado intrépide et inconscient qui voulait prendre un raccourci et pensait ne pas peser plus lourd qu’un canard.
Le collégien est maintenant au milieu de l’étendue gelée, dans l’eau jusqu’aux épaules, sac au dos, engourdi par le froid, se cramponnant comme il peut à la glace, incapable de se sortir de là.
Cédric, déjà sur place avec le VSAB, a jaugé la situation et demandé d’urgence un hélicoptère. Il enlève ses bottes pour avoir une chance de s’en sortir s’il doit nager, s’encorde et rampe jusqu’au collégien, croisant les doigts pour que la fine couche d’eau solide ne cède pas sous son poids. Il rejoint l’imprudent à temps et le réconforte. Puis reste de longues minutes allongé sur la glace, immobile, les lèvres bleues, en hypothermie, attendant les renforts aériens, maintenant le gamin à la surface avec ses mains dont il ne sent plus les doigts.
Enfin, il saisit le harnais situé au bout du câble que déroule le sauveteur de l’hélico, en vol stationnaire, dix mètres au-dessus, amarre le môme et fait signe au pilote de l’hélitreuiller.
Puis rampe à nouveau jusqu’au bord de l’étang, rentre à la caserne, prend une douche brûlante, se change, avale un chocolat chaud et continue sa garde.
Cédric recevra une lettre de félicitations du colonel. Il doit s’estimer heureux car, comme un galonné dans son bureau le lui a gentiment dit, il n’a fait que son métier.
*
Une prostituée exerce son art sur le bord de la route qui mène à l’hôpital. À chaque fois que nous emmenons un blessé, nous donnons un coup de deux-tons et, assise derrière le volant, la demoiselle nous fait un petit signe amical de la main.
Cet après-midi, nous passons devant son camping-car mais les rideaux sont tirés. Il y a un véhicule garé à côté. Madame est donc en plein travail. Je déclenche néanmoins l’habituel pin-pon, pour la forme.
Une main apparaît à travers les rideaux et s’agite pour nous dire bonjour.
Bien que tout à son affaire, la dame de petite vertu n’oublie pas de saluer ses pompiers préférés.
*
Violent feu d’appartement. Les flammes sortent par la fenêtre.
Nous sommes sur le palier du deuxième étage. On n’y voit pas grand chose : nos projecteurs ne sont pas assez puissants pour trouer la fumée omniprésente. Où est le foyer ?
Ça y est ! Erwann a enfin trouvé : « Patrice ! Vite ! C’est là ! La porte est chaude et ça correspond, par rapport à la façade ! »
Avec la petite pince, nous faisons levier sur la porte d’entrée, tandis que Mickaël se tient accroupi, lance à la main, prêt à arroser au cas où les flammes surgiraient brusquement suite à l’appel d’air, une fois le passage forcé.
Crraaac !
Mauvaise pioche. Le logement est en parfait état. Le feu, c’est dans l’appartement d’à côté.