Il existe des pays qu’on aimerait visiter grâce à l’image véhiculée par les cartes postales : la plage idyllique et paradisiaque sur laquelle les pieds caressent le sable immaculé, fin et chaud. Des autochtones tout sourire, prêts à vous accueillir comme dans une publicité digne des plus belles revues d’agences de voyages. Les discussions avec des amis enthousiastes par leur séjour ou ceux qui vous narguent avec leurs sublimes photos postées sur les réseaux sociaux. Bref, ces endroits qui font rêver, parés à vous faire oublier tous vos soucis et vous ressourcer. Vous n’hésitez plus et vous vous laissez emporter.
Après un premier voyage réussi dans l’un de ces pays, vous ressentez l’irrésistible envie de vous y rendre une deuxième voire une troisième fois, à vouloir prolonger l’expérience, au point que vous décidez de tout plaquer pour y rester. Après un certain temps à prendre vos marques dans votre nouvelle vie, une question commencera à vous tarauder l’esprit : Que va-t-il m’arriver aujourd’hui ? La lassitude n’existe pas. Une multitude d’événements originaux, uniques et très cocasses peuvent vous surprendre à tout moment. Au point de se demander ce qu’il se passerait si de telles choses pouvaient se produire dans notre bonne et saine France, si aseptisée à nos yeux. Pour ma part, il ne m’a pas fallu attendre autant de voyages pour expérimenter ces invraisemblables situations.
Une preuve ? Prenons l’exemple de l’instant présent. Je suis dans l’un de ces pays paradisiaques où tout peut arriver, la Thaïlande. Non, je ne suis pas venu ici pour les raisons évoquées à vouloir me prélasser sur le sable fin ou tout quitter… Je reviendrai plus tard sur ce point. Pour le moment, concentrons-nous sur ce qui se passe : je suis inconfortablement assis sur une chaise, attaché à l’aide de cordes tressées maison et il m’est impossible de bouger. La pièce, toute en bois est dans un état d’insalubrité à donner une crise cardiaque à Monsieur Propre, quelques cafards et lézards se faufilent sur les vieux pans de murs à moitié moisis et il fait chaud. Très chaud. La sueur dégouline sur mon visage jusqu’à m’irriter, je me sens désorienté au point de n’être plus sûr de la manière dont je suis arrivé là. Sans oublier un terrible mal de tête, comme si une cloche de moine tibétain résonnait sans vouloir s’arrêter. Une personne au visage familier se tient devant moi, l’air grave, un couteau de boucher en main. Elle réfléchit dans une pose dramatique comme si elle faisait face à une pièce de viande brute, se demandant de quelle façon procéder.
— Où est-il ?
La voix est nouée par un étrange et subtil mélange d’émotion et de menace. J’ai du mal à décerner le degré de gravité, tant j’ai l’habitude de la voir rayonnante et pleine de vie. Pendant un instant, je me demande de qui parle-t-elle… Oooh bien sûr… lui… Où ai-je la tête ?
— Je ne sais pas où il est…
Je garde un air calme. Depuis mon arrivée, j’ai eu le temps d’assimiler comment les choses fonctionnent dans ce pays. Ne pas céder à la panique, rester zen. Une certaine compassion s’installe, je n’ose imaginer ce qu’elle peut endurer en cet instant. Non, non je ne suis pas fou, je m’inquiète plus à son sujet qu’au mien. Vous comprendrez plus tard.
— Si tu ne dis pas…. Chop chop !
Mon regard suit le mouvement de va-et-vient que fait le couteau en même temps que le « chop chop » (entendez tchope tchope) un léger doute commence à m’envahir, je fais de mon mieux pour ne trahir aucune émotion. Ces mots que ressasse mon esprit me font comprendre la suite des événements, et cela ne me réjouit guère. Oh non… pas ça…
— Je t’ai dit que je ne sais pas, Nut… Essayons un peu d’humour en plus, il n’y a pas de canards…
Ses yeux étonnés se posent sur moi, j’esquisse un sourire pour détendre l’atmosphère, elle fait de même. D’un geste de la tête digne d’un L’Oréal parce que je le vaux bien, elle repousse sur le côté ses longs cheveux noirs et dans un élan théâtral, se dirige vers une petite porte. Elle l’ouvre et là, des dizaines de canards cancanant en fanfare s’engouffrent dans la salle et viennent dans ma direction comme pour me saluer. Oh non… Ma tête se met à tourbillonner. Je jette un regard vite fait sur ma droite et mon sang se glace. Dans le coin de la pièce, une casserole avec de l’eau en ébullition attend sagement sur un petit réchaud à gaz… Et ce n’est pas pour cuire des nouilles. Là, mes sourcils montrent des signes d’inquiétude.
— Alors ? Où ?
Bon, stop ! Une petite pause face à cette scène surréaliste. Des canards… Une casserole avec de l’eau qui bout… Une personne avec un couteau de boucher et qui prononce « chop chop » d’un air presque sadique, vous vous posez bien des questions, pas vrai ? Il y a de quoi. Une vraie tradition ! Une torture des plus ignobles se prépare : le découpage de… Ma tour Eiffel. Oui ma tour Eiffel… Ma fierté personnelle, vous savez… Oui, oui mon sexe, quoi ! Cette malade veut me la couper ! Et ce n’est pas tout ! Elle va la faire bouillir puis nourrir les canards ! Mais quelle horreur !
Phénomène de mode depuis la fin des années soixante-dix dit-on. La femme humiliée par les aventures extraconjugales de son mari indélicat attend la nuit tombée pour trancher son membre avec un couteau de cuisine. Pour couronner le tout, à savoir que les maisons traditionnelles thaïes sont sur pilotis, et que la base est principalement réservée aux animaux, il n’était pas rare d’y trouver des chiens, cochons ou canards. Un petit jeté par la fenêtre, et hop ! L’affaire était réglée, les bêtes affamées s’en donnent à cœur joie et le mari n’avait plus qu’à pleurer la perte de son précieux…
D’autres sont plus inventives : lâcher de ballons à l’hélium avec le sexe attaché par une ficelle papier cadeau, c’est très joli, emballé ainsi ! Vous voyez le foutoir causé dans la rue, et les exclamations des passants : oh ! Un pénis volant ! Cela peut en déconcerter plus d’un, et croyez-moi, cela s’est vu, ou encore, noyer le membre avec la chasse d’eau dans les toilettes. Pratique et expéditif ! J’imagine le gars avec une ventouse à pomper les chiottes dans un rythme effréné entre désespoir et folie pour essayer de récupérer sa queue qui file et frétille tel un poisson qui retrouve la liberté dans le conduit d’évacuation… Le pauvre.
J’ai lu un article sur le net il y a quelques jours, d’un homme emmené aux urgences in extremis se la faire raccommoder, vive les progrès en médecine. Il a dû arracher son organe de la gueule de son meilleur ami de toutou avant qu’il ne soit trop tard. Une chance ! En général, les canards ou les chiens ont tendance à avoir le dernier mot… Umm morceau plutôt. Depuis, les choses ont évolué. Afin de compromettre toutes les chances d’une greffe, la solution de faire bouillir l’organe tel un mets raffiné était rentrée dans les mœurs. L’homme ne pourra plus que pisser par l’intermédiaire d’un tuyau jusqu’à la fin de ses jours. Hé, mais attends…
— Oh oh attends ! On n’est pas marié à ce que je sache ! On n’est pas ensemble ! Pourquoi ce traitement ?
Encore un peu, et j’oubliais ce détail, non mais !
— C’est ton frère que je veux, mais vous, vous êtes inséparables, c’est un peu la même chose. Donc…
Ah oui ! On est inséparable, on se partage tout naturellement, au point que je devienne son substitut d’après son raisonnement ! S’il fait une connerie, c’est moi qui paie, bien sûr ! Où ai-je la tête ! En plus, quoi !? Ils se connaissent depuis deux mois et ne sont même pas mariés ! Ahh les Thaïs et leur grand sens de l’amour, de l’attachement et de la jalousie sans borne… C’est terrifiant par moment ! Un rien peut les mettre dans un de ces états…
Je me tais et essaye de me remémorer les détails de cette folle aventure. Des bribes me reviennent petit à petit. Mon frère… Oui, c’est bien à cause de lui que je suis dans un tel pétrin aujourd’hui, d’ailleurs je ne sais même pas où il est à l’heure actuelle. Avec un peu de chance, il aura réussi à quitter ce pays de fous. Je ne suis pas sûr de la façon dont cela va se terminer. Mon Dieu aie pitié de moi !
Mais comment en suis-je arrivé là ? Ma venue en Thaïlande et les raisons pour lesquelles je me retrouve dans cette situation, se tiennent dans une histoire et aventure rocambolesque. Il m’arrive encore d’en douter, comme si un rêve éveillé s’était emparé de mon esprit, que les événements vécus ces derniers jours, n’étaient que le fruit de mon imagination la plus tordue et que bientôt, je me réveillerais. Oh oui ! Rien ne s’est passé, un délire d’une nuit, je me réveillerai, j’en suis sûr ! Je ferme mes yeux avec force et conviction pour que tout s’évanouisse à l’ouverture des paupières. Oui, c’est cliché, je sais ! Un cliché d’une stupidité hilarante où le héros en fait autant et se retrouve confortablement installé dans son lit dans une expression hébétée « ce n’est qu’un rêve », et bien, je n’en demande pas mieux en ce moment ! J’ouvre les mirettes et la scène cauchemardesque de cette fille, trancheuse de saucisson qui avance à pas de félin vers moi avec son couteau de boucher, s’imprime sur le fond de mes rétines. À l’évidence… Cela n’a pas fonctionné ! Oh bon sang !
À cet instant, je revois tout, limpide comme de l’eau, toute cette aventure que je ne peux nier. Comment le pourrais-je à présent ? Pour comprendre comment j’en suis arrivé à craindre pour ma virilité, je n’ai plus qu’à vous inviter à suivre mes traces, deux semaines en arrière.