Six situations d’émerveillement devant des objets simples, modestes ou familiers, qui annonçaient brièvement l’expérience que je voudrais livrer ici. Modeste sera le maître adjectif de cet essai. Car on accède à l’émerveillement non en raison de la nature merveilleuse du spectacle mais grâce à un état d’être favorable, ou, autrement dit, s’émerveiller résulte d’une procédure alchimique dont le principe se trouve dans le regardeur et qui permet de révéler une dimension secrète des choses.
Alors que j’ai si souvent noté la difficulté de décrire l’éclat d’un bouquet, me voici à l’orée d’un livre qui voudrait restituer l’effet sur moi de la beauté simple des choses, des paysages, des corps, des étreintes, des
musiques, tout ce pour quoi, précisément, je sais n’avoir guère de mots… Mais j’aime me faire phénoménologue au petit pied, partir à la chasse à ces légers événements de l’esprit et du cœur qui commandent notre joie ou notre tristesse. Ayant depuis longtemps entrepris de réfléchir au désir de vivre – cela se réfléchit-il ? me demanderez-vous, et je vous dirai oui, les livres le peuvent, comme en un miroir enchanté –, il m’a semblé que déployer ce sentiment fugitif et profond, l’émerveillement, accompagnerait cette trajectoire intime que je ne dissocie jamais de la stendhalienne « chasse au bonheur ». Livre qui ne fera pas le lecteur beaucoup plus savant mais peut-être plus vigilant, et plus attentif à ce qui importe – à ce que, mourant, il regrettera de quitter.
Elles sont deux, petites, concentrées, curieuses et prêtes à l’émerveillement. À côté d’elles, trois marches s’enfoncent dans la terre : vers le monde d’Alice ?
Photo sans ciel. Au-dessus des fillettes, le feuillage du frêne frangé de soleil crée un effet d’intimité : elles sont dans un dehors qui ressemble à un dedans. À quoi jouent-elles ? Elles s’affairent près d’un seau, je crois. Miracle de cette extrême attention enfantine qui, défamiliarisant le réel, abolit le temps et rend sensible le merveilleux au cœur du monde ordinaire. »