Que ta puissance, ô mort, est grande et admirable :
Rien au monde par toi ne se dit perdurable ;
Mais tout ainsi que l'onde, à val des ruisseaux, fuit
Le pressant coulement de l'autre qui la suit,
Ainsi le temps se coule, et le présent fait place
Au futur importun qui les talons lui trace.
Ce qui fut se refait ; tout coule comme une eau,
Et rien dessous le ciel ne se voit de nouveau ;
Mais la forme se change en une autre nouvelle,
Et ce changement-là vivre au monde s'appelle,
Et mourir quand la forme en une autre s'en va.
Ainsi avec Vénus la Nature trouva
Moyen de ranimer par longs et divers changes
La matière restant, tout cela que tu manges ;
Mais notre âme immortelle est toujours en un lieu,
Au change non sujette, assise auprès de Dieu,
Citoyenne à jamais de la ville éthérée,
Qu'elle avait si longtemps en ce corps désirée.
Je te salue, heureuse et profitable mort,
Des extrêmes douleurs médecin et confort !
Quand mon heure viendra, Déesse, je te prie,
Ne me laisse longtemps languir en maladie,
Tourmenté dans un lit ; mais, puisqu'il faut mourir,
Donne-moi que soudain je te puisse encourir,
Ou pour l'honneur de Dieu, ou pour servir mon Prince,
Navré d'une grande plaie, au bord de ma province !