Disparition de Paul Auster : la mort d'un géant des lettres

Paul Auster s'en est allé le 30 avril 2024. Le monde des lettres se préparait à cette triste issue car sa maladie avait pris le pas sur lui. Cet amoureux de la France laisse une œuvre singulière et percutante, souvent tournée vers le mystère de la perception, de la mémoire et du réel/irréel. Les éditions Actes Sud, son éditeur ont immédiatement réagi par un long communiqué.

Le mot de Bertrand Py, Directeur éditorial des éditions Actes Sud 

« C’est avec une immense et profonde tristesse que nous vous annonçons le décès de Paul Auster, survenu ce mardi 30 avril, des suites d'un cancer.

Paul Auster n’est pas, dans le catalogue d’Actes Sud, un auteur parmi d’autres. Sa rencontre avec nos éditions – à l’époque presque aussi inconnues qu’il l’était lui-même dans son propre pays – date d’un voyage d’Hubert Nyssen à New York, au milieu des années quatre-vingts. 

Dès que fut traduit (par Pierre Furlan) Cité de verre, Paul Auster vint à Paris où la modeste maison arlésienne avait organisé, dans l’enthousiasme, comme s’il s’était agi du nouveau prix Nobel, une “conférence de presse” ! C’est qu’immense était alors en France le désir de lectures neuves, l’appétit de traduction. Et rapidement, la subtilité narrative et les chausse-trappes existentielles de la Trilogie new-yorkaise, portées par le charisme, la poésie et l’érudition francophile de Paul Auster, allaient s’imprimer – le mot dit bien la chose – dans l’identité littéraire de toute une génération.

Être son éditeur – ou son éditrice, en l’occurrence Marie-Catherine Vacher – était une chance, et devint pour Actes Sud une carte de visite circulant amplement dans le cercle toujours plus large des amis de Paul Auster… 

Son œuvre n’en était qu’à ses débuts – mais déjà nous faisait grandir. Et quand ici ou là sont cités les noms des fondateurs d’Actes Sud, il faudrait ajouter qu’assurément, la confiance que Paul Auster leur a accordée fut aussi bienfaisante que déterminante dans leur histoire. »
Bertrand Py, Directeur éditorial des éditions Actes Sud 

Paul Auster, une vie à l'ombre de New York

Né en 1947 à Newark dans le New Jersey, Paul Auster étudie de 1965 à 1970 les littératures française, anglaise et italienne à Columbia University, où il obtient un Master of Arts. Il publie à cette époque des articles consacrés essentiellement au cinéma dans le Columbia Review Magazine, et commence l’écriture de poèmes et de scénarios pour films muets qui deviendront ultérieurement Le Livre des illusions.
De 1971 à 1974, il s’installe à Paris et traduit Jacques Dupin, André Breton, Edmond Jabès, Stéphane Mallarmé, Henri Michaux ou André du Bouchet. Unearth, son premier recueil de poèmes, paraît aux États-Unis en 1974, puis en France, en 1980, aux éditions Maeght. En 1979, il publie sous le pseudonyme de Paul Benjamin un roman policier intitulé Fausse Balle, dans la “Série noire”.
Son roman, Cité de verre (premier volume de sa Trilogie new-yorkaise), paraît en 1987 aux éditions Actes Sud et connaît un succès immédiat auprès des médias et du public.

Paul Auster est l’auteur d’une œuvre de premier plan, reconnue dans le monde entier et traduite dans plus de quarante langues. Écrivain prolifique, outre une vingtaine de romans, il a publié des essais, nouvelles, pièces de théâtre, recueils de poésie, scénarios…
Il a reçu de nombreuses distinctions littéraires dont le prix Médicis étranger pour Léviathan, le Premio Napoli pour Sunset Park, et le très prestigieux prix Prince des Asturies pour l’ensemble de son œuvre. Il a été finaliste de l’International IMPAC Dublin Literary Award pour Le Livre des illusions, du Pen/Faulkner Award for Fiction pour La Musique du hasard, ou encore du Man Booker Prize pour 4 3 2 1.
Sa pièce de théâtre, Laurel et Hardy vont au paradis, a été montée en 2000 au théâtre de La Bastille, son roman La Musique du hasard a été adapté au cinéma par Philip Haas en 1991, et Cité de verre a été adapté en bande dessinée par Paul Karasik et David Mazzucchelli, en 1999.
Cinéaste, il a écrit plusieurs scénarios dont ceux de Smoke et de Brooklyn Boogie, films qu’il a coréalisés avec Wayne Wang (1995). Puis il s’est lancé seul dans la réalisation de longs-métrages : Lulu on the bridge, sélectionné au Festival de Cannes dans la catégorie “Un certain regard” en 1998 et La Vie intérieure de Martin Frost, sorti en 2006.
 Paul Auster a été élu membre de l’American Academy of Arts and Letters et nommé Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres. Il a vécu la majeure partie de sa vie à Brooklyn avec sa femme, la romancière et essayiste Siri Hustvedt.
L’ensemble de son œuvre est publié chez Actes Sud

Extrait de Chronique d'hiver

« Pour faire ce que tu fais, il te faut marcher. Marcher, c’est ce qui attire les mots à toi, ce qui te permet d’entendre les rythmes des mots à mesure que tu les écris dans ta tête. Un pied en avant, puis l’autre, le double battement de tambour de ton cœur. Deux yeux, deux oreilles, deux bras, deux jambes, deux pieds. Ceci, puis cela. Cela, puis ceci. Écrire commence dans le corps, c’est la musique du corps, et même si les mots ont un sens, s’ils peuvent parfois en avoir un, c’est dans la musique des mots que commence ce sens. Tu t’assieds à ton bureau pour noter les mots, mais dans ta tête tu es encore en train de marcher, toujours en train de marcher, et ce que tu entends, c’est le rythme de ton cœur, le battement de ton cœur. Mandelstam : « Je me demande combien de paires de sandales Dante a usées en travaillant sur la Commedia. » L’écriture comme forme inférieure de danse. »
Paul Auster, Chronique d'hiver (trad. Pierre Furlan)

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