[...] L’écrivain classique est comme une plume dans la main géante d’un autre corps dont il ignore le visage et le nom, et dont jamais il n’entendra résonner le timbre de la voix. L’écrivain classique ne sait presque rien, mais pourtant il sait tout ce qu’il a à savoir, il ne se trompe pas, il est attiré par son but comme la limaille par l’aimant, il est tracté vers lui. Il n’y a pas d’autre pourquoi. L’écrivain n’a pas à se demander pourquoi le monde est là ; il constate que le monde est là, et que lui-même, également, est là pour l’observer. Il s’en félicite.
Partout, on entend dire que les écrivains furent d’abord des amoureux de la lecture. On raconte que pour devenir un écrivain classique on va d’abord aimer les écrivains classiques, qu’on va les lire pendant toute son enfance et sa jeunesse, et que pour les imiter un jour on va écrire. C’est faux. Les choses ne se passent pas comme ça. Celui qui sait lire vraiment les écrivains classiques est lui-même un écrivain classique. Les meilleurs spécialistes des grands peintres du XIXe siècle furent les grands peintres du XXe siècle, et ainsi de suite de siècle en siècle entre les siècles. L’Art transperce la Société et créé la Civilisation d’une manière mystérieuse qui n’a rien à voir avec la compréhension directe des œuvres par les personnes qui les rencontrent. Les lecteurs, les spectateurs, les auditeurs, sont infusés sans le comprendre et parfois sans le savoir. L’échange reste caché. Seuls les grands artistes en connaissent les ressorts. Si les critiques d’Art, les professeurs d’Université, les mécènes, sont si lents et si lourds, c’est parce qu’ils parlent des œuvres à l’aide d’un support qui n’est pas l’Art ; ils essayent de faire entrer des paquebots dans des bouteilles, c’est impossible.
M.P.
Pas un de nous, auteurs, pour ne pas être sans cesse saisi du à quoi bon, et pourquoi l’effort extrême, la durée démultipliée, pour l’humble circulation du livre, dans une profusion marchande qui en général s’en préoccupe bien peu.
Et pourtant, de quoi ou qui sommes-nous héritiers ? Y a-t-il une responsabilité à cette tâche ? Et le discours que nous-mêmes avons à tenir quant à notre travail, si nous souhaitons y tenir, n’est-il pas une nouvelle illusion ou une nouvelle fiction ?
Avec l’humour à froid d’un discours impeccablement tenu, Marc Pautrel nous promène dans des miroirs à la Henry James : rien n’est conclu ni asséné, et surtout pas de moralité. Mais c’est le lecteur qui se retrouve quasi nu dans la...