Rentrée littéraire de janvier 2025

Entretien avec Camille Laurens à propos de « Ta promesse »

Camille Laurens revient avec un roman particulièrement incisif : Ta promesse (Gallimard). Un texte qui claque et qui nous entraîne dans une histoire faite de manipulations et de mensonges. L'auteure répond à quelques questions pour nous éclairer sur son propos. 

Gros plan sur un portrait de Camille Laurens par F. Mantovani © Éditions Gallimard Gros plan sur un portrait de Camille Laurens par F. Mantovani © Éditions Gallimard

Camille Laurens revient avec un roman cruel particulièrement incisif : Ta promesse (Gallimard). Comme l'auteure l'annonce dans sa présentation :« Au moment où s’ouvre ce livre, je romps une promesse. Lorsque je l’ai faite, c’est idiot, j’étais sûre que je la tiendrais. Enfin, idiot, je ne sais pas. La moindre des choses, quand on fait une promesse, n’est-ce pas d’y croire ? » Or, que s’est-il passé avec son compagnon pour que la romancière Claire Lancel doive se défendre devant un tribunal ? Au fil du récit, elle raconte comment elle s’est peu à peu laissé entraîner dans une histoire faite de manipulations et de mensonges.

Un livre qui questionne le narcissisme contemporain et les illusions de l'amour

C'est un livre qui questionne le narcissisme contemporain, l’absence d’empathie, et les illusions de l'amour. C'est un livre sur le sens de la parole donnée, de l'engagement malgré ou contre tout ... Un livre qui ne se lâche pas et qui montre combien les belles histoires le sont le temps... d'une promesse ?

Camille Laurens a répondu à quelques questions afin de nous éclairer sur son texte.

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N’y a-t-il pas une perversité absolue à demander à quelqu’un qui fait profession d’écrire « Je voudrais que tu me promettes de ne jamais écrire sur moi » ?

Camille Laurens  : J’ai voulu aborder une question qui m’a souvent été posée, sur le trouble que peut éprouver l’entourage d’un romancier à se retrouver dans un livre – ou à ne pas s’y retrouver, justement. Pour Claire, ma narratrice, la vie vécue et sa traduction littéraire mènent un combat sans merci, et il lui est douloureux de devoir réduire la vie à une suite de phrases. Elle est comme tout le monde, elle a envie de réussir sa vie. Elle n’écrit donc pas par cynisme ou opportunisme, mais parce que c’est ce qui la sauve. Vouloir l’en empêcher est très retors, en effet, c’est une façon de l’annuler.

Le roman est aussi une réflexion sur la vérité – vous écrivez notamment « tout le monde a peur de la vérité ». Concevez-vous l’écriture comme une prise de risques ?

C.L. : Je n’aime pas trop la notion de risque appliquée à l’écriture, on n’est pas en première ligne à la guerre. Cela dit, force est de constater que l’exigence de vérité expose de plus en plus l’écrivain qui la revendique. Trop de livres font diversion. C’est pourquoi Claire, exposée à la mauvaise foi, au mensonge, au déni, se mue en une sorte de détective acharnée à élucider le réel. Comme dans toute enquête, il lui faut des preuves, et ce n’est pas gagné. Mais un roman qui donne à voir quelque chose de vrai dans la pénombre, quelle belle ambition !

La narratrice se retrouve manipulée par son amant, mais au fond, qui manipule qui ? N’est-on pas la première personne à se manipuler ?

C.L. : Oui, il faut être deux dans une manipulation. L’auteur de l’emprise et sa victime s’emboîtent inconsciemment, sinon ça ne marcherait pas. Disons que la faille de l’un (son narcissisme, son désir de tout contrôler) trouve une réponse dans la faille de l’autre (son besoin d’être aimée, sa tolérance à l’abus). Ces failles viennent d’ailleurs souvent d’une cause commune – un trauma dans l’enfance, un manque d’amour auquel chacun trouve une solution différente pour continuer à vivre : l’instrumentalisation pour l’un, l’empathie pour l’autre. Aucune vraie rencontre n’est possible. Seule la lucidité créatrice permet de sortir de ce duo illusoire : c’est le trajet du roman.

Vous évoquez une forme d’écriture au-delà de l’autofiction : l’autruifiction. Est-ce une piste que vous envisagez de développer ?

C.L. : C’est la piste principale de mes romans depuis longtemps déjà. Mes narratrices ne s’intéressent pas principalement à elles-mêmes mais aux autres – en fait, je scrute surtout la relation entre soi et l’autre. C’est pourquoi j’écris des romans d’amour, c’est-à-dire aussi des romans de haine, de manipulation, de jalousie, d’emprise, qui explorent tous les aspects des rapports humains – voire inhumains. Une histoire d’amour est forcément imaginaire puisqu’on ne connaît jamais vraiment l’autre : l’amour est une autruifiction que nous écrivons tous les jours !

> « Ta promesse » de Camille Laurens, Gallimard, 368 pages, 22,50 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien

Cet échange est extrait d'un entretien qui a d'abord été publié dans le site des éditions Gallimard. >> Le retrouver en version intégrale dans son contexte original

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