C'était avant la guerre. Sur fond d'une Ukraine fictive en proie à la corruption, tiraillée entre attraction vers l’Union Européenne et manipulations du grand frère russe, Les loups (Les Arènes) composent le portrait d’une femme. Plus que du personnage de la présidente récemment élue et oligarque Olena Hapko, le second roman de Benoît Viktine, correspondant du Monde à Moscou et prix Albert Londres 2020, conte l’histoire d’une volonté de fer qui se dessine à travers le destin sanglant des Loups.
Avant d’être le portrait d’une Ukraine fictive en proie à la corruption, tiraillée entre attraction vers l’Union Européenne et manipulations du grand frère russe, Les loups sont le portrait d’une femme. Plus que du personnage de la présidente récemment élue et oligarque Olena Hapko, le second roman de Benoît Viktine, correspondant du Monde à Moscou et prix Albert Londres 2020, c’est l’histoire d’une volonté de fer qui se dessine à travers le destin sanglant des Loups. Au prix de son âme. Qu’en sera-t-il ?
C’est une femme face à son destin. Olena Hapko, que ses adversaires surnomment « La Chienne » vient d’être élue présidente de l’Ukraine. Benoît Viktine, dont le premier roman s’intitulait Donbass, et qui a couvert la guerre dans l’Est de l’Ukraine et en est revenu couronné par le prix Albert-Londres, a choisi le roman du réel pour s’inspirer lointainement de personnages existants. Il s’en explique dans un avertissement en forme d’envoi. Une dédicace ? Le jeune lauréat du prix Albert Londres 2019 rythme ce second roman palpitant par le décompte des 30 jours qui restent jusqu’à la consécration de la première femme présidente de ce pays-frontière.
Olena a commencé sa vie en Crimée. Bien sûr, l’Ukraine était encore dans l’orbite de l’URSS. Et les âmes des enfants imprégnées des rêves collectivistes d’un avenir meilleur. Radieux. La tête dans les étoiles. Ou plutôt dans la Lune, à rêver des exploits de Youri Gagarine. Quoi d’autre pour tenir lieu d’épopée et de ciment nationaliste à un empire mité, qui allait bientôt s’effondrer sur lui-même ? L’interminable guerre en Afghanistan.
C’est une femme seule face aux « Loups ». Ce roman d’action, roman noir doublé d’une fiction politique, raconte une ascension jonchée de cadavres, de trahisons, de fêtes indécentes et de postérieurs rebondis dont se repaissent les regards de brutes épaisses qui tiennent les rênes de l’économie. De la police, de la sécurité intérieure. Des tribunaux. Rien que de très banal, donc, pour décrire le monde des oligarques.
Les loups, c’est surtout l’histoire d’une volonté. De celles qui forgent le pouvoir et se transforment en addiction. Elle sous-tend la violence et les rebondissements, les va-tout et les paris de la dernière chance de ce roman d’action efficace. « (…) une histoire bien crapuleuse. Le genre d’histoires où y a des paquets de fric en jeu, des secrets d’État… ». Des souvenirs tendres et des allégeances élimées.
Des boîtes de nuit glauques, des réceptions élégantes sur les pontons des yachts, des comptes off-shore dans les îles Vierges britanniques et des virées sans retenue à Monaco, des seins gonflés à l’hélium et des lèvres boursouflées qui renseignent sur l’âge des épouses des puissants. Une atmosphère à la Frédéric Dard. La gouaille en moins. Avec l’avènement de l’argent roi et du pseudo libéralisme plus étatisé qu’il n’en a l’air, les affaires sont devenues sérieuses.
C’est une femme face à un homme tout puissant. Vladimir Poutine. Certains personnages sont en effet « inspirés de figures bien vivantes, au point de leur voler leur nom. (…) Leurs pensées, leurs agissements sont présentés par le prisme de la fantaisie de l’auteur. » Voilà pour le disclaimer, la nécessaire décharge. Il faut dire que la confrontation est mise en scène de manière audacieuse. La lumière qui se glisse dans le secret de ses motivations montre le président russe intimidé face à la belle plante, brune aux yeux bleus. Preuve que la fiction romanesque est toujours généreuse, sinon romantique, en tous cas indulgente avec la réalité. Plus brutale et plus sèche.
Olena doit louvoyer avec ses adversaires-partenaires. Les combats de rue et les règlements de compte à l’arme automatique sont loin. Ou presque. « (…) on joue par usines interposées, par factions au Parlement, ou dans les travées des tribunaux britanniques. L’objectif reste le même : dominer ». La femme d’affaires a forgé son mental d’acier aux usages cyniques lors du partage en règle des lambeaux de l’économie soviétique dans les années quatre-vingt-dix.
La femme fatale façon SAS se promet pourtant de réformer son pays pour le rapprocher des « standards » de gouvernance et de transparence européens. Elle rêve d’accomplir « de grandes choses ». Olena a donc chargé le jeune Ilia Kirilenko, jeune activiste « pétri de scrupules », de l’aider à réformer les institutions. La route est longue. L’espoir de Maïdan ou « révolution de la Dignité », en 2014, n’est pourtant jamais loin. Mais les ennemis, les écueils sont nombreux. Parfois inattendus. L’enfer, on le sait, est pavé de bonnes intentions.
Les tractations avec le grand frère russe sont l’occasion de révéler combien les points de vue divergent. Le sujet du gaz n’est pas la moindre des pommes de discorde. L’économiste Philippe Chalmain a si malheureusement raison avec sa formule qui tue, à savoir « la malédiction des matières premières ».
Mais le rapport des forces et les ressentiments ont, comme toujours, des racines plus profondes dans l’histoire. Humiliations et bravades viennent de plus loin. Vu des couloirs du pouvoir russe, le regard sur les Ukrainiens est ainsi sans pitié. « Depuis 4 ans qu’il est en poste à Kiev, Ivanov [l’ambassadeur russe] a appris à mépriser autant qu’à craindre ce peuple ukrainien dissipé et brouillon. (…) à Moscou, espions et diplomates sont formés dans l’idée que les Ukrainiens ne sont que de vagues cousins dégénérés à qui il convient de taper régulièrement sur le crâne pour leur rappeler les bonnes manières.
(…) Ses hôtes se sont révélés pire que des Latins. Individualistes, besogneux, mais frondeurs et jaloux de leur indépendance, capables de brusques réveils grincheux. Gare alors à celui qui est commande du pays ou à celui contre qui est dirigée leur colère. Les oligarques ukrainiens sont le reflet de cette mentalité de cosaques. Perpétuellement en guerre, prêts à des coups de poker insensés, voir à guerroyer contre le pouvoir politique quand ils ne cherchent pas à le conquérir ».
(…) tout serait plus simple s’ils restaient à leur place, celle du petit frère docile et satisfait de son sort. À vrai dire, dans l’esprit du président russe, l’idée même de peuple ukrainien est une vue de l’esprit. Les Ukrainiens ne sont qu’une copie brouillonne, des Russes (…) L’indépendance ukrainienne a été une nouvelle trahison de ce pleutre de Gorbatchev et des Occidentaux. À lui, Poutine, de rétablir la balance ». Le tableau est brossé.
Depuis les temps bibliques et Caïn et Abel, il n’est pire conflit que celui qui oppose des frères ennemis. Et depuis, la réalité a rattrapé la fiction.
>Les loups, de Benoît Viktine. « Equinox » Les Arènes, 312 pages, 20 euros.
Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller, Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag
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