Les Écrits

CE QUI RESONNE ENCORE

CE QUI RESONNE ENCORE

Delphine ROBIN

 

VACANCES D’ÉTÉ

Juillet 1990

C’est les vacances, le soleil de juillet darde ses rayons sur nos cuisses nues. Les shorts ont quitté les cartons du garage et réinvesti les penderies, les jolis nu-pieds choisis chez Eram font fureur mais attention à ne pas jouer au ballon avec… Alors nous, les filles, on regarde les garçons. Fait suer de devoir toujours rester belles, rester propres, rester sages ! Moi, je m’en fiche des taches sur les hauts blancs en coton même si ça fait râler ma mère. Je veux jouer à rouler-bouler dans l’herbe, faire des chats perchés dans les arbres et m’égratigner les genoux, les coudes, être barbouillée de l’esquimau à la fraise qui fond trop vite au soleil.

Cet après-midi, on est rassemblés au parc, dans le lotissement où on habite tous. Il y a même les grands de 3ème et de 4ème. On est tous les gamins du Lotis’ pendant l’été. La bande de pirates, de rebelles. Les sales gosses, disent certains retraités. L’été, plus personne ne fait de clan. À part les amoureux, peut-être, qui entrechoquent les appareils dentaires et partagent les malabars à la fraise. C’est dégoûtant les grands qui s’embrassent, je ne comprends pas ce qu’ils trouvent de bien à mélanger leur salive. Vraiment ré-pu-gnant !

Samantha, Florence et moi, on s’est installées sur la butte d’herbe, à l’ombre des arbres. Des bouleaux. Je le sais car papa a planté les mêmes dans le jardin et j’aime bien arracher l’écorce toute fine et blanche de leur tronc. Ça s’enroule comme du papier à cigarette. Après je fais semblant de fumer comme maman.

Ma sœur Julie est assise sur le banc en face avec Rachelle et Sandrine, ses deux meilleures amies depuis la maternelle. Elles sont en troisième et elles ont le droit de se maquiller, et même qu’elles fument en cachette. Ma sœur planque son paquet de cigarettes JPS, les « j’ai pas de sous » disent les troisièmes, tout au fond de son sac de cours. Si un jour j'ai le malheur de la cafter aux parents, elle me zigouille direct. Ma sœur fait toujours tout ce qu’elle veut, c’est elle qui fait la loi à la maison. Pas juste mais c’est ma sœur. Ma grande sœur… Je vais pas me plaindre car mon autre plus grande sœur Clarisse, qui a six ans de plus que moi, est partie dans un lycée spécial très loin, dans les Pyrénées. Elle habite chez ma tante, et on ne la voit plus que deux fois par an. Maman dit que c’est pour son futur travail. Qu’il n’y avait pas le choix. Elle est triste maman, je le sais. Moi aussi je suis triste et pis, ça fait bizarre, surtout que maman m’a donné sa chambre pour que Julie ait la sienne aussi. Et on va changer le papier peint. Papa en a acheté du rose. Au secours. Je vais aller en 6ème. Je suis bientôt une adulte, moi.

Le baladeur à pile de ma sœur fait résonner les paroles du groupe Indochine en face de nous tandis que les garçons transpirent dur au rythme du ballon de foot. Je ne comprends pas tout au sens des paroles mais elles sont trop bien les musiques de ce groupe. On danse tous comme des dératés, tandis que la journée s’achève doucement. Quand c’est le refrain, tout le monde s’égosille. On saute comme des fous. Sam, Flo et moi, on fait les débiles gogoles comme dit Théo. Tant pis pour les nu-pieds de chez Eram.

 

Il est déjà tard, le soleil de l’après-midi commence à s’éclipser. Le ciel bleu azur se teinte de rose et d’orange. Un mélange de fraises Tagada et d’Orangina au-dessus de nos têtes. L’odeur des barbecues embaume l’air. Ça serait bien d’être en vacances toute la vie. Manger des saucisses grillées dans du pain avec du ketchup tous les jours, avoir chaud toute l’année, ne plus jamais aller à l’école et ne plus jamais réciter de poésie au tableau. Chanter Indochine à tue-tête jusqu’à la mort.

Tandis que je flâne, la voix de madame Nourot résonne dans le lotissement, comme chaque soir de vacances, à dix-huit heures… « Pascal, Rachelle, à la maison ! » L’ordonnance des deux têtes rousses sonne le glas pour toute la troupe !

Dans le baladeur de ma sœur c’est l’Aventurier qui commence, ma préférée.

… Egaré dans la vallée infernale
Le héros s'appelle Bob Morane
À la recherche de l'Ombre Jaune
Le bandit s'appelle Mister Kali Jones…

 

On se rassemble tous, les grands se donnent rendez-vous vers vingt heures, la chance ! Eux, ils peuvent ressortir après le dîner.

Avec Flo et Sam on se donne rendez-vous le lendemain à quatorze heures. À quoi jouera-t-on ? À la marchande ? Aux Barbie avec les habits en tricot que la maman de Sam nous fabrique ? Si Nicolas savait ça, il nous traiterait de bébés en plus de son « ploucs » favori !

Les bébés ploucs, ça pourrait faire un nom génial pour notre futur groupe de rock. Non, les BB Ploucs ! On aurait des paroles comme Indochine, complètement débiles gogoles. Moi, je serais à la guitare, Flo à la batterie et Samantha chanterait parce que c’est elle la moins timide. Et puis, on écrirait nos paroles ensemble, dans la chambre de Sam. Le rêve ! On ne se quitterait jamais toutes les trois. Amies pour la vie, les Inséparables. Croix de bois, croix de fer… Des aventurières nous aussi !

… Et soudain surgit face au vent
Le vrai héros de tous les temps
Bob Morane contre tout chacal
L'aventurier contre tout guerrier…

Le lendemain, on n’a pas vu Samantha alors on est allées sonner chez elle, mais personne n’a ouvert. On...

 

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