Dans « Entre guerres » (Gallimard) qui est autant un essai qu'un récit littéraire, le général François Lecointre, ancien chef d'Etat-Major des armées, revient sur son itinéraire d'enfant de l'armée, devenu le héros discret de sa propre vie. Sarah Sauquet nous présente ce livre d'un auteur qui voit loin et pense haut.
« Certains sujets sont dans l’air d’un temps ; ils sont aussi dans la trame d’une vie. » Marguerite Yourcenar
Histoire de prénoms et de transmission
Dans « Entre guerres » de l’ancien chef d'État-Major des armées François Lecointre, tout commence, peut-être, par la littérature, et par une histoire de prénoms. Un père tel un roi Ferrante ou capitaine Nemo en son Nautilus et un fils qui a peut-être craint de ne jamais respirer à sa hauteur. Un oncle et un ancêtre tous deux morts à la guerre, et qui tous deux s’appelaient Hélie : trois clés du champ d’honneur grâce auxquelles décrypter naissance, légitimité et sincérité d’une vocation.
Un essai autant qu'un récit littéraire
La dimension biographique de l’ouvrage, corseté par la pudeur, et une féroce lucidité, ne sera qu’un prétexte pour analyser une période « sans guerre » sur le territoire français, et des évolutions majeures dans la perception, de plus en plus abstraite, du fait militaire, et de son application. L’œuvre, très bien écrite, tient autant de l’essai que du récit littéraire.
Mener la bataille de devenir le héros discret de sa propre vie
Conscient du privilège et de la responsabilité de prendre la plume, François Lecointre raconte d’abord les années au prytanée militaire de La Flèche, et une découverte fondatrice : les héritiers de la chose militaire n’ont pas l’apanage des vocations les plus solides, et rejoindre l’armée, c’est peut-être mener la bataille de devenir le héros discret de sa propre vie, démêler l’écheveau embrouillé de la plus douloureuse et inavouable des motivations : « l’inconfort d’être soi ». L’auteur réalise aussi que combattre, c’est être l’alchimiste qui doit guider une humanité disparate afin qu’elle maîtrise la technique, mais surtout arrive à faire famille, agir et dépasser ses peurs sans les nier.
De guerres en guerres
Guerre du Golfe, Rwanda, Bosnie-Herzégovine confrontent à l’impuissance, font éprouver l’insoutenable incommunicabilité de la barbarie, la culpabilité d’être debout quand tant de vies sont fauchées. Les questions du « pourquoi » et du « comment » traversent tout le livre : pourquoi se battre ? comment agir au mieux, si tant est qu’on puisse le faire ? Grandir, est-ce nécessairement accepter l’idée du conflit et la possibilité de la guerre ? Une transcendance, clairement avancée et expliquée, apporte probablement des éléments de réponse à ces questions. C’est dans la montre à gousset de l’arrière-grand-père Hélie que se nichent probablement les plaies impossibles à refermer, le temps long des lancinants cauchemars et de l’attente infernale sur les rivages des Syrtes.
Agir et penser
Dans « Combats pour l’Histoire », l’historien Lucien Febvre avait ces mots : « Retroussez vos manches et aidez les matelots à la manœuvre. Entre l’action et la pensée, il n’est pas de cloison. Il n’est pas de barrière. » Ce livre, dédié aux forbans à la manœuvre, est un chant d’amour qui a l’action et la hauteur pour fils d’Ariane.
Le mot de l'éditeur
«
Le combat ne m’a pas forgé le cœur et l’âme, il m’a simplement rendu lucide. J’en sais désormais suffisamment pour ne pas me croire préservé, par ma simple qualité d’homme, du surgissement de l’animal qui gît en moi. »
Dans ce récit à la première personne, le général Lecointre évoque son
parcours de jeune officier — de la naissance d’une vocation jusqu’aux terrains de guerre au Rwanda, à Sarajevo ou en Irak — et donne à voir l’expérience d’homme de guerre dans ce qu’elle a de plus concret, unique, et parfois indicible. Jamais un grand chef militaire n’avait évoqué avec autant d’acuité et de lucidité les doutes et les réalités auxquels se confrontent les soldats : le sentiment de vivre des événements qui ne peuvent être compris que d’eux, la peur paralysante qui surgit à tout moment et, surtout, l’interrogation fondamentale sur le sens de l’action. Comment garder son humanité quand, au cœur du combat, la violence gagne de plus en plus les esprits ?
On croyait la guerre réservée aux livres d’histoire, et la voici de nouveau. Cet
Entre guerres l’appréhende de manière saisissante et profonde, tout comme il évoque avec pudeur la singulière fraternité unissant les hommes qui dédient leur vie au service de la France.
> « Entre guerres » de François Lecointre, Gallimard, 128 pages, 17 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
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Professeure de lettres et autrice,
Sarah Sauquet a notamment publié
Les 1000 livres qui donnent envie de lire (Glénat, 2022). Elle est aussi la co-créatrice des huit applications littéraires
Un texte Un jour. Qu’il s’agisse d’enseigner, d’écrire, ou d’établir des ponts entre cultures classique, populaire et contemporaine, son travail tourne autour d’un objectif : celui de susciter l’envie de se cultiver. Son dernier livre :
Petites chroniques de culture populaire chez Librisphaera.