Après un réel suspense, Mathias Enard est le lauréat du prix Goncourt 2015 pour Boussole (Actes Sud). Il succède à la romancière Lydie Salvayre, lauréate en 2014 pour Pas pleurer (Seuil).
Ils n'étaient plus que quatre : Nathalie Azoulai, avec Titus n’aimait pas Bérénice (P.O.L)., Mathias Enard avec Boussole (Actes Sud), Hédi Kaddour avec Les Prépondérants (Gallimard) et Tobie Nathan pour Ce pays qui te ressemble (Stock).
C'est finalement Matthias Enard qui remporte le célèbre prix Goncourt, après un suspense digne des romans d'Agatha Christie. Une annonce qui selon la tradition a été faite depuis le restaurant Drouant par le secrétaire général Didier Decoin, sur les marches de l’escalier menant au salon du premier étage. Salon, où les jurés avaient délibéré, juste à côté de leurs collègues du Renaudot. Le menu du jour était : soupe de grenouilles au cerfeuil, terrine de coquilles Saint-Jacques, filet de sole poché et noisette de chevreuil poêlée. Des agapes très françaises.
Ce Goncourt 2015 aura réservé bien des surprises. Revenons sur la petite histoire de ce prix, qui après quelques rebondissements a été attribué à Mathias Enard. La dernière sélection du Goncourt annoncée le 27 octobre depuis le Musée Bardo de Tunis avait témoigné de l'inclination du jury pour un livre lié à la francophonie et la défense de la multiculture. D'autant que l'année dernière, Kamel Daoud avait été favori pour Meursault, contre-enquête (Actes Sud) et avait été écarté au dernier moment au profit de Lydie Salvayre, au grand dam de ceux qui pensaient qu'il était temps que le Goncourt fasse preuve de plus de "diversité" dans ses choix. Tous les yeux se tournaient alors encore cette année vers Boualem Sansal, grand favori. Et puis, non. Les jurés l'ont éliminé de la liste ultime, laissant le champ libre aux Académiciens de l'Institut de le choisir pour leur Grand prix du roman.
Les prédictions ont alors penché pour Hédi Kaddour. D'ailleurs cela rimait. Hédi Kaddour allait avoir le Goncourt. Tout Paris bruissait de cette rumeur. Mais, le 29 octobre, ultime rebondissement, l'Académie Française décide de récompenser ex-aequo les deux romanciers, Boualem Sansal et Hédi Kaddour, jetant le doute dans les esprits : Hédi Kaddour allait-il alors avoir encore les faveurs de l'Académie Goncourt? Certes, il y a eu déjà des précédents d'auteurs primés deux fois : ce fut le cas par exemple en 2006 pour Jonathan Littell : il reçut les deux prix pour Les Bienveillantes (Gallimard). Mais cette configuration est rarissime. En général, les deux Académies évitent de nommer les mêmes gagnants.
Depuis le 29 octobre, toutes les cartes semblaient rebattues et les outsiders, Nathalie Azoulai, Mathias Enard et Tobie Nathan, revenaient dans la course. Parmi les quatre "nominés", l'Académie Goncourt avait choisi pour trois d'entre eux la toile de fond du monde musulman. Si Hédi Kaddour était écarté, ce tropisme semblait militer en faveur de Mathias Enard dont l'oeuvre lyrique, tournée vers l'invocation des racines orientalistes de l'Europe, animée par sa fascination pour un monde au croisement des mondes semblait taillée sur mesure pour le Goncourt. Il apparraissait comme le premier de cette deuxième liste.
L'ethnopsychiatre Tobie Nathan, dont le livre évoque avec émotion et subtilité ses racines égyptiennes a su toucher juste. L'époque d'une Egypte multiple n'est pas si lointaine : s'en rappeler est un message fort pour la compréhension du présent. Les Académiciens auraient pu être sensibles à cette ode au multiculturalisme, nourrie de souvenirs d'enfance.
Seule, Nathalie Azoulai, faisait figure de super-outisder. Son livre aborde un sujet plus "classique" : un chagrin d'amour tissé avec une subtile revisitation de l'oeuvre de Racine... Cependant, cette romancière éclectique et talentueuse incarne une " modernité lettrée". Son travail sait jongler avec érudition, esprit et contemporainéité. Elle aurait pu recevoir un coup de chapeau de l'Académie et aurait aussi pu emporter l'adhésion en cas de non majorité.
Avec une certaine logique, c'est finalement Mathias Enard qui remporte le prix. Les Académiciens malgré les rebondisssements des derniers jours, n'ont pas perdu le nord. Ils ont choisi un très beau livre, ample et magnifique. Un livre porté par un souffle qui dépasse l'histoire et les contingences. Un livre et une oeuvre qui ont montré leur cohérence. Rendez-vous l'année prochaine peut-être pour un prix Goncourt qui récompensera un écrivain issu de la francophonie ? Cette année, c'est un texte qui loue l'orientalisme qui lui ouvre la voie.
Fleur Pellerin s'st empressée de féliciter le nouveau lauréat et s'est félicité de ce choix. "Le prix Goncourt vient d’être attribué à Mathias Enard pour Boussole, édité chez Actes Sud. Dans ce récit fascinant, porté par la musique et la rencontre avec l'autre, réel et fantasmé, dans une sorte de long voyage de la nuit vers le jour, c'est un Orient proche et lointain qui se révèle et se raconte à la fois. Mathias Enard nous amène avec virtuosité à "explorer [la] fêlure" amoureuse comme à aller au plus près de "cet entre-deux, ce barzakh, le monde entre les mondes où tombent les artistes et les voyageurs". a-t-elle déclaré. " En parcourant la géographie amoureuse de Franz, le texte de Mathias Enard nous conduit notamment vers les sites historiques d’Alep et de Palmyre, "la Fiancée du désert", aujourd’hui pris pour cible. Il nous rappelle que l'art et la culture sont au fondement de notre humanité. J’adresse mes plus chaleureuses félicitations à l'écrivain ainsi qu’à son éditeur. " a-t-elle conclu. Quand la barbarie attaque les hommes et les oeuvres, la littérature peut encore convoquer la trace d'une mémoire et faire en sorte qu'Alep ou Palmyre ne soit pas des noms synonymes de désolation. Ce Goncourt 2015 résonne avec l'actualité, tout en ne s'en inspirant pas . Il pend sa source sur une mémoire plus vaste, qui ouvre aussi le champ d'un avenir moins sombre.
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