Les Écrits

une histoire de Vadkraam, chapitre huit

 

Allongé au milieu de la pièce, Hank entendait les deux jeunes se retourner dans leur sommeil. Il avait réussi à les convaincre que tous les soldats de la région étaient à leurs trousses et que fuir Castelroi dès l'aube était leur seule chance de survie. Ils s'étaient en fait jetés dans la gueule du loup, acceptant de prendre la route avec le seul homme de la ville à savoir qui ils étaient et à vouloir les livrer aux autorités. Néanmoins il était clair que le garçon, Reg'liss, ne lui accordait aucune confiance. Cela posait un vrai problème. Il ne pourrait rien tenter tant qu'il se méfierait de lui. C'est pourquoi il allait devoir jouer son rôle à la perfection pour ne pas confirmer les soupçons de Reg'liss. Il se donnait une semaine pour atteindre son but. Une semaine pour gagner la confiance totale des deux jeunes et les priver de toute chance de fuir ou se défendre lorsqu'il passerait à l'action. Après s'être passé en revue tous les détails de son plan plusieurs fois, il se laissa aller à l'assoupissement. Depuis trois jours qu'il traquait ses fugitifs, il ne dormait que d'un œil. Cette nuit il les avait sous la main, il pouvait donc dormir paisiblement.

 

Reg'liss, lui, avait le sommeil beaucoup plus léger. Cet homme qui était apparu subitement pour les sortir d'un mauvais pas lui semblait louche. Depuis quelques jours il avait appris que faire confiance à des inconnus ne leur apportait que des ennuis. De plus il n'éprouvait aucune sympathie pour ce Hank, et ce qui l'énervait plus que tout, c'est qu'il ait réussi à convaincre Sin fo aussi rapidement. Reg'liss n'avait pas le choix ; Sin fo avait décidé de suivre cet homme et il devait l'accompagner où qu'elle aille car il sentait qu'il aurait à la protéger tôt ou tard. Et s'il ne se trompait pas, ce serait plutôt tôt que tard... C'est en ruminant ces pensées que Reg'liss finit par trouver le sommeil vers deux heures du matin.

 

Aux premières lueurs de l'aube Reg'liss sursauta en entendant le plancher grincer. Il vit Hank debout devant la porte, sur la pointe des pieds, et la main sur la poignée. Reg'liss se leva d'un bond et claqua la porte du plat de la main.

- Tu es fou ! Tu veux réveiller tout l'étage ou quoi ?

Sin fo émergea de sous les draps et dit en se frottant les yeux :

- Il m'a réveillé moi en tout cas.

- Où est-ce que tu allais ?

- Faire un tour en ville. Arrête de crier.

- Sans nous prévenir ?

- Je ne voulais pas vous réveiller. Tu continues de hurler.

- Je hurle si je veux !

- Tu te calmes de ton plein gré ou je t'y oblige ! Tu n'es pas le seul client dans cette auberge et ces gens n'ont pas envie d'être réveillés à l'aube par les cris d'un dément. De plus je pense que vous faire remarquer n'est pas ce qu'il vous faut en ce moment.

- Reg'liss s'il te plait.

Reg'liss consentit enfin à se calmer. Il regarda Sin fo quelques secondes et reporta son attention sur Hank.

- Pourquoi partais-tu sans nous ?

- Pour vous laisser vous reposer un peu. On a beaucoup de marche à faire en peu de temps si on veut s'éloigner suffisamment de cette ville.

- Et qu'est-ce que tu allais faire ?

- J'allais vérifier que la situation n'avait pas empiré dans la nuit.

- Je t'accompagne.

- Surtout pas. Tu es recherché, et tu n'es pas très discret de surcroît.

Sin fo se proposa à son tour mais Hank refusa une nouvelle fois.

- Ce serait encore plus dangereux, ils cherchent un couple. Non, tous les deux vous restez ici, vous attendez une heure raisonnable, vous allez prendre votre petit déjeuner puis vous rendez la clé de la chambre et surtout je vous en prie ne faites pas d'esclandre. Je devrais être de retour assez vite, mais il vaut mieux qu'on ne parte pas ensemble. Deux étrangers qui se font accompagner par un gars d'ici cela paraitrait étrange.

- Ça je ne te le fais pas dire !

Hank ne releva pas la remarque et continua à l'intention de Sin fo.

- Retrouvez moi à la porte est vers neuf heure. Je vous attendrai dehors prêt à intervenir si les gardes vous reconnaissent.

Il l'embrassa sur la joue, elle rougit, il se tourna vers Reg'liss, lui souhaita bonne chance puis il sortit de la chambre. Reg'liss fixa la porte quelques instants puis il fit demi-tour et vit Sin fo toujours assise sur le lit, le visage rose et une main posée sur la joue.

- Tu veux bien ôter ce sourire béat de ton visage s'il te plait, lui demanda-t-il consterné.

Tirée de sa rêverie, elle balbutia qu'il s'imaginait des choses, avant de lui demander en souriant s'il était jaloux. Piqué au vif, il lui répondit d'un ton sec.

- Surement pas. Simplement tu ne devrais pas croire les beaux parleurs juste parce qu'ils ont une belle gueule.

Il regretta ses paroles aussitôt prononcées mais il n'eut pas le temps de s'excuser car Sin fo le chassa de la pièce en lui disant qu'elle aimerait sortir du lit et prendre un bain et que ce qui se trouvait sous les draps ne le concernait en rien. Une vieille femme en robe de chambre passa devant lui et lui lança un regard narquois en le voyant seul, à la porte de sa propre chambre. Reg'liss préféra descendre directement pour commander le petit déjeuner. Par chance Lucy était levée et s'affairait déjà derrière le comptoir malgré l'heure plus que matinale. Voyant la mine renfrognée du jeune homme, elle lui servit un café avant même qu'il demande quoi que ce soit en lui assurant que son café était le meilleur remède en cas de réveil difficile. Reg'liss lui obéit et reconnut qu'il n'en avait jamais bu de meilleur. Il demanda à l'aubergiste si elle connaissait un moyen de se faire pardonner une parole malheureuse et celle-ci lui promit que les pâtisseries qu'elle servirait à Sin fo lui feraient oublier tout ce qui avait pu la mettre de mauvaise humeur. La jeune femme descendit presque une heure plus tard avec les cheveux encore humides et s'installa à une table avec Reg'liss qui avait quitté le comptoir pour la rejoindre. Lucy leur apporta un plateau chargé de café fumant, de brioches et de croissants dorés, de pain frais, de plusieurs pots de confitures de tous parfums et de divers fruits qui poussaient dans la région de Castelroi. Après deux bouchées de brioches Sin fo semblait en effet ne plus se rappeler qu'elle en voulait à Reg'liss et celui-ci adressa un sourire reconnaissant à Lucy.

 

Alors que les habitués prenaient peu à peu possession des lieux, nos deux héros montèrent rassembler leurs affaires et prirent congé de Lucy, promettant de revenir bientôt et de lui faire la meilleure des réputations. Ils sortirent dans la rue baignée par la lumière des soleils levant et pendant une minute ils se sentirent si sereins qu'ils auraient voulu rester là toute la journée à flâner. Puis ils s'écartèrent pour permettre à deux soldats de rentrer au Tonneau Malté et ils se souvinrent qu'ils étaient en danger dans cette ville. Ils se dirigèrent donc directement vers la porte est en tachant d'être le plus naturels possible.

Les deux épais battants de bois étaient ouverts et la herse relevée. Quatre soldats étaient postés de part et d'autre de la porte, vérifiant l'identité de ceux qui entraient et sortaient de la cité, et fouillant au hasard les sacs et marchandises de certains d'entre eux. En cette heure matinale les sortants étaient peu nombreux, ce qui fait que les deux gardes chargés des départs avaient plus de temps à consacrer à chaque voyageur. Les deux jeunes gens avançaient d'un pas hésitant vers le portail, craignant d'être reconnus à chaque instant. Sin fo gardait une main sur le poignard dissimulé dans sa poche, prête à s'en servir au moindre signe de danger.

Il n'y eut bientôt plus qu'une personne devant eux et Reg'liss commençait à montrer des signes d'impatience. Il se balançait légèrement sur ses pieds et tendait le cou pour regarder au dehors de la cité par dessus la tête de l'homme devant lui. Un des gardes remarqua cette attitude et s'approcha de lui et de Sin fo. Il s'apprêtait à leur parler, quand un cri se fit entendre un peu plus loin sur la route. L'homme fit volte face et ils virent une sorte d'énorme buffle galoper dans leur direction, suivi par un paysan qui lui courait après, une cravache à la main, en tentant vainement de le calmer. L'animal mesurait plus de deux mètres, avait deux cornes sur le crâne et une autre sur le museau, une bosse sur le dos recouverte de longs poils bruns et une mince queue qui fouettait l'air pour marquer sa fureur. Il passa la porte de la cité en renversant la moitié des personnes qui se trouvaient sur sa route et il alla finir sa course dans la vitrine d'un magasin situé juste à côté. Le choc semblait l'avoir étourdi, ce qui ne l'empêcha pas d'essayer de casser consciencieusement tout ce qui se trouvait à sa portée. Les quatre gardes, qui s'étaient relevés, se précipitèrent pour aller prêter main forte au propriétaire de l'animal qui tentait toujours de le calmer. Profitant de toute cette agitation, nos deux héros s'étaient hâtés hors de Castelroi et couraient maintenant pour s'éloigner le plus possible avant que les gardes reprennent leur poste. Ils furent bientôt rejoints par Hank, qui les fit sortir de la route afin de couper à travers champs.

Lorsqu'ils ralentirent l'allure, ils étaient si loin de Castelroi qu'ils ne voyaient plus que le sommet du beffroi s'élever au dessus des collines. Ils avaient traversé un bosquet et marchaient dans un pré où paissaient une trentaine de créatures semblables à celle qui avait manqué les piétiner. Voyant leur réticence à s'approcher du troupeau Hank les rassura.

- Ceux là ne vont pas charger. Les mangoliers sont des animaux paisibles si on les laisse en paix. Et vous pouvez remercier le ciel que j'ai titillé celui que vous avez croisé.

- C'est à cause de toi qu'il nous a foncé dessus ? Tu essayais de nous tuer ?

- Il fallait bien que j'intervienne, tu étais plus agité qu'un gosse le jour de son anniversaire et Sin fo semblait sur le point de tuer la première personne qui lui adresserait la parole. Je vous avais pourtant demandé d'être discrets !

Sin fo lui adressa un sourire gêné, et même Reg'liss émit un grognement qui ressemblait vaguement à un ''merci''. Ils passèrent sans encombre au milieu du troupeau et continuèrent leur chemin en suivant la direction plein nord, évitant les routes et les habitations autant que possible. Le lendemain, alors que le jour déclinait, ils virent deux des trois soleils s'enfoncer lentement sous les nuages qui brillaient d'une lueur rougeoyante. Ils avaient atteint la frontière nord de l'île, et aucune terre ne se profilait à l'horizon. Hank les mena vers l'ouest pendant environ une heure jusqu'à ce qu'ils tombent sur un village. Là, il leur conseilla de rester cachés tandis qu'il descendait le chemin et rentrait dans une auberge. Il en ressortit moins d'une demi-heure plus tard en parlant à un homme qui lui indiqua d'un geste du bras la direction du nord, puis ils se séparèrent, l'homme partant dans cette direction et Hank remontant le chemin pour retrouver Sin fo et Reg'liss. Il leur annonça qu'il avait trouvé un moyen de transport, avant de repartir vers le nord. Après quelques minutes de marche, ils étaient de nouveau au bord de l'île. L'homme de l'auberge les attendait près de ce qui semblait être un enclos, bien que dans la pénombre il fut impossible de distinguer quoi que ce soit à l'intérieur. Reg'liss demanda à Hank où se trouvait son moyen de transport, et celui-ci lui désigna l'enclos.

- Ils sont là-bas.

- Ils ? Est-ce qu'un seul n'aurait pas...

Il s'interrompit dans une exclamation de surprise. Une créature venait d'apparaître devant eux, sortant de l'ombre. Elle ressemblait à une énorme dinde déplumée, couverte d'écailles et possédant une tête et une queue de lézard. Sin fo demanda d'une voix légèrement tremblante :

- Qu'est-ce que c'est ?

- Un lopvent, bien sûr. Ils vont nous emmener jusqu'à la prochaine île.

- Ne pourrions-nous pas simplement utiliser un bateau ?

Hank et l'homme de l'auberge éclatèrent de rire en même temps.

- Un bateau ? Depuis quand les bateaux volent-ils ?

- Depuis toujours. Enfin, je veux dire, par chez nous c'est très courant.

- Eh bien quand on sera chez vous, tu me montreras ce prodige, mais ici la seule manière de voyager au dessus des nuages, ce sont les lopvents.

- N'ayez pas peur, ils ne sont pas méchants, reprit l'homme de l'auberge. Je vais vous confier une mère et ses petits. Le mieux, dit-il en s'adressant à Hank, serait que vous montiez la mère. Les deux jeunes gens n'auraient qu'à se laisser porter par les deux petits, qui suivront leur mère quoi qu'il arrive.

L'homme alla chercher les deux petits, qui étaient déjà aussi hauts que Reg'liss, les sella et invita Sin fo à s'installer la première. Elle sauta avec souplesse sur le dos du lopvent le plus proche, passa les pieds dans les étriers et l'homme lui sangla la main au pommeau de la selle.

- Ce n'est pas très confortable, je sais, mais si vous glissiez, vous seriez heureuse d'avoir une sécurité.

Reg'liss et Hank prirent également place, et après que l'homme leur eut donné quelques recommandations, Hank éperonna son lopvent, qui déploya ses ailes et s'envola après avoir trottiné quelques mètres, presque immédiatement suivi par sa progéniture. Les trois jeunes gens s'élevèrent rapidement dans les cieux, leurs silhouettes sombres disparaissant petit à petit vers l'horizon.

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