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Mon fantôme

Mehdi Ouraoui in Mon fantôme, Fayard, 2023

La proviseure m'interrompt d'un index posé sur son sourire. Puis, inclinant la tête comme pour m'enjoindre de l'imiter, elle souffle d'une voix détachée : « Mon cher Mehdi, vous me faites parfois penser à cette fresque. » Au plafond, une scène d'art rocaille, un machin rococo que j'ai toujours trouvé hideux. L'Apothéose de saint Augustin brûlant les hérétiques. Je prends l'air pénétré de celui qui apprécie la profondeur du propos. Absolument. Rien. Compris.»
L'amant

L'amant

Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. À dix-huit ans j’ai vieilli. Je ne sais pas si c’est tout le monde, je n’ai jamais demandé. Il me semble qu’on m’a parlé de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu’on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l’ai vu gagner un à un mes traits, changer le rapport qu’il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le...
EDUQUER SON CHIEN

Éduquer son chien de Pierre Paraire

"Plus je connais les hommes, plus j'aime mon chien." Bien que cette phrase soit souvent attribuée à Lamartine (et occasionnellement à d'autres personnalités, dont le philosophe Blaise Pascal), il semble qu'elle soit d'origine anonyme.  Pierre Paraire INTRODUCTION Vous venez d’avoir votre chiot et cette décision est mûrement souhaitée, donc vous êtes maintenant lié pendant plus d’une décennie et vous vous devez de l’accompagner au mieux comme un membre de la Famille. Ce livre ira à l’essentiel, passant les chapitres du choix de la race et du comment le nourrir...
La Vénus au parapluie

La Vénus au parapluie

Ce matin-là, c’est une humeur qu’il considéra comme guillerette qui l’expulsa de son lit. Quelques entrechats primesautiers le menèrent à la cuisine. Des morceaux de brioche jaillirent du grille-pain comme des fusées un soir de fête nationale. Il remarqua que le café n’avait pas le même goût que la veille. Ni même que l’avant-veille. Et par la fenêtre du cinquième étage, tout avait beau être revêtu d’une grisaille épouvantable, il lui semblait que la ville étincelait à ses pieds. Il ne se doucha pas dans l’espoir un peu vain de conserver sur lui une once de ce...
Le récit du combat

Le récit du combat

C’est l’été 62, sur une plage corse, un sable blond, le ressac de courtes vagues sous un ciel d’azur, baigné du parfum des eucalyptus. Calvi, le décor du premier combat, d’une première confrontation physique, mythologique, avec un géant, indestructible, qui peut me saisir, me soulever, me brandir, un ballot au-dessus de sa tête, bras tendus. Le goût, le bonheur du chahut et de la bagarre commencent ici, je découvre la force de l’homme venu partager ses vacances avec nous. C’est le voyage de noces de ce couple d’amoureux, je n’assisterai pas au mariage à la...
Western

Western

Cela commence à Paris, au théâtre, sur la scène, au centre et au fond, dans l’humeur et l’impatience. Le théâtre c’est comme une mine, un volcan ou une fille. Tout se passe dans le ventre. Pour le moment le théâtre est fermé, il ouvrira bientôt pour la première du Dom Juan de Molière. Pour le moment, on y travaille. Le plateau est éclairé et presque nu : un écran de projection d’environ quatre mètres sur six et, plantée au centre, une porte de saloon ouvrant sur le vide. Rien autour. Sur l’écran gigantesque s’anime à peine un paysage minéral en...
Panorama

Panorama

La scène se passe dans l’Auditorium de Radio France. Gabrielle Boca, jeune femme à la détermination tenace, s’avance à la tribune et d’un geste solennel retire sa toge. L’assemblée applaudit. Des centaines de citoyens, dont je fais partie, ont été tirés au sort pour assister à son discours, retransmis en direct à la télévision et sur Internet. C’est un jour historique. Ce 26 octobre 2029, on fait le procès de la Justice. « Chers amis, j’ai été la première à me repentir. J’ai rendu ma carte d’avocate, jeté ma robe, demandé par- don. À vous qui avez cru en...

Sarah, Susanne et l’écrivain

Sarah lui demanda comment il imaginait Susanne Stadler, puisque c’était le nom qu’il lui avait choisi. Qui est cette femme, finalement ? lui demanda-t-elle. Il lui répondit qu’elle avait le même âge qu’elle, quarante- quatre ans au moment des faits, il n’avait pas modifié la date de naissance. Elle était brune et grande elle aussi, mariée et mère de deux enfants, Luigi et Paloma, de dix-sept et vingt et un ans. Les vrais prénoms, comme elle le lui avait demandé, n’avaient pas été conservés. Il avait également changé la ville. Susanne Stadler habitait Dijon. Elle lui...
L'amour

L'amour

La première fois que Jeanne voit Pietro, c’est au gymnase où sa mère fait le ménage. Quand c’est le jour de nettoyer les gradins, la mère embarque sa fille, on n’aura pas trop de quatre bras. Jeanne y gagne 20 francs, ça fait un petit complément à sa paye de l’hôtel. Et puis ça l’occupe. Un mercredi de février, leurs horaires coïncident ave l’entraînement de l’équipe de basket. Les semelles de caoutchouc crissent sur le parquet, les shorts en nylon luisent sous les projecteurs. Il est là en débardeur rouge, ses cheveux noirs mi-longs ceints d’un bandeau...
A ma soeur et unique

A ma sœur et unique

Le 3 janvier 1889 au matin, les yeux encore rougis des lectures, des écrits ou des insomnies de la nuit, la tête entre enclume et marteau tant ses incessants maux de tête sont de puissance vulcanale, le corps vêtu de ce costume sans couleur et sans fibres à force d’être usé, les pieds chaussés de ces brodequins lui permettant ses trois à huit heures de marche quotidienne au cours desquelles il glorifie ou invective nuages et paysages selon que son esprit est d’humeur badine ou chafouine, ainsi défait, ainsi vêtu, tant souverain que déjeté, il descend l’escalier de la...
Comédie d'automne (Littérature Française)

Comédie d'automne

Ses manières courtoises, un peu surannées, détonnaient dans le quartier populaire de la rue de Flandre. Jamais il ne saluait une femme sans ôter sa casquette de tweed, ni l’hiver ne serrait une main sans retirer son gant. Il s’effaçait toujours au moment d’entrer sous l’auvent du kiosque si quelqu’un se présentait en même temps que lui, et d’un geste du bras cédait volontiers son tour. De même proposait-il spontanément ses services pour se saisir d’une revue glissée dans un casier haut perché, que réclamait un client aux bras trop courts, évitant au vendeur de...
Le grand feu

Le grand feu

C’est au petit matin du 31 mai 1699 qu’Ilaria naît. La sixième de la fratrie à pointer son minuscule corps, parfaitement formé, doigts, orteils, jambes et bras, ventre et organes, tout y est, chevelure et crâne bombé. Francesca est assise sur un grand fauteuil, bassine et linges attendent leur heure. Elle connaît la douleur, la patience éprouvée, l’étau qui se serre et se desserre, la soif et le vertige. Il fait chaud déjà, humide à Venise, après une semaine d’averses inexpliquées. Cette pluie augure d’une naissance heureuse, lui a-t-on dit. Un signe d’eau...
Perspective(s)

Perspective(s)

1. Maria de Médicis à Catherine de Médicis, reine de France Florence, 1er janvier 1557 S’il savait que je vous écris, mon père me tuerait. Mais comment refuser une faveur si innocente à votre altesse ? Il est mon père, mais n’êtes-vous pas ma tante ? Que me font, à moi, vos querelles, et votre Strozzi, et votre politique ? À la vérité, votre lettre m’a causé une joie que vous ne pouvez concevoir. Quoi ? La reine de France me supplie de l’entretenir sur sa ville natale, en échange de son amitié ? Quel plus...
L'enragé

L'enragé

La Teigne, 11 octobre 1932 ous sont tête basse, le nez dans leur écuelle à chien. Ils bouffent, ils lapent, ils saucent leur pâtée sans un bruit. Interdit à table, le bruit. Le réfectoire doit être silencieux. — Silencieux, c’est compris ? a balancé Chautemps pour impressionner les nouveaux. Sauf à la récréation, la moindre parole est punie. Le surveillant-chef empêche même les regards. — Je lis dans vos yeux, bandits. Cet ancien sous-officier marche entre les tables, boudiné dans son uniforme bleu. — J’y vois les sales tours...
Croix de cendre

Croix de Cendre

Languedoc. Monas...
Le Côté de Guermantes: ( À la recherche du temps perdu - Tome 3 )

A la recherche du temps perdu : Le côté de Guermantes

Mme de Guermantes s'avança décidément vers la voiture et redit un dernier adieu à Swann. «Vous savez, nous reparlerons de cela, je ne crois pas un mot de ce que vous dites, mais il faut en parler ensemble. On vous aura bêtement effrayé, venez déjeuner, le jour que vous voudrez (pour Mme de Guermantes tout se résolvait toujours en déjeuners), vous me direz votre jour et votre heure», et relevant sa jupe rouge elle posa son pied sur le marchepied. Elle allait entrer en voiture, quand, voyant ce pied, le duc s'écria d'une voix terrible: «Oriane, qu'est-ce que vous alliez faire,...
Partir 66° Nord: Chroniques d'une apprentie capitaine

Partir 66° Nord

On dirait qu’une tornade est passée sur Aurora. Le sol est couvert de miettes et de papiers froissés. Les coffres sont ouverts. Des outils, des canettes et des boîtes de biscuits traînent partout. Les cabines passagers sont en vrac, la moquette bleue pleine de plumes (les duvets et les doudounes des clients en laissent partout), de cheveux, de débris. Quand il retrouve la parole après son second café, le skipper, amical mais comme lassé d’avance, lâche : « Pour apprendre à connaître un bateau, la meilleure manière, c’est de le nettoyer de fond en comble....
Lettre d'une inconnue

Lettre d'une inconnue

Mon enfant est mort hier. Trois jours et trois nuits durant, j'ai lutté avec la mort pour sauver cette tendre petite vie ; quarante heures durant, alors que la grippe secouait de fièvre son pauvre corps, je suis restée à le veiller. J'ai appliqué des linges frais sur son front ardent ; nuit et jour j'ai tenu ses petites mains fébriles dans les miennes. Au troisième soir, je me suis effondrée. Mes yeux n'en pouvaient plus, ils se fermaient sans que je m'en rende compte. J'ai dormi trois, peut-être quatre heures sur un mauvais fauteuil, et la mort en a profité pour s'emparer de lui....
Eloge de la vieillesse

Eloge de la vieillesse

Dans ce jardin de la vieillesse s'épanouissent les fleurs que nous aurions à peine songé cultiver autrefois. Ici fleurit la patience, une fleur noble. Nous devenons paisibles, tolérants, et plus notre désir d'intervenir, d'agir diminue, plus nous voyons croître notre capacité à observer, à écouter la nature aussi bien que les hommes. Nous laissons leur existence se développer devant nous sans éprouver aucune volonté critique, avec un étonnement toujours renouvelé face à leur diversité. Parfois nous ressentons de l'intérêt et un regret silencieux, parfois nous rions avec un...
Louis-Ferdinand Céline. Bagatelles pour un massacre.

Bagatelles pour un massacre

Gutman il ruisselle d'idées. Voici l'intermédiaire génial... Il a réfléchi... - Tu n'es pas poète des fois, dis donc ? par hasard ?... qu'il me demande à brûle-pourpoint. - Tu me prends sans vert... (Je ne m'étais jamais à moi-même posé la question.) Poète ? que je dis... Poète ?... Poète comme M. Mallarmé ? Tristan Derème, Valéry, l'Exposition ? Victor Hugo ? Guernesey ? Waterloo ? Les Gorges du Gard ? Saint-Malo ? M. Lifar ?... Comme tout le Frente Popular ? Comme M. Bloch ? Maurice Rostand ? Poète enfin ?... - Oui ! Poète enfin ! - Hum... Hum... C'est bien difficile à...

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