Fils des mères encore vivantes, n’oubliez plus que vos mères sont mortelles. Je n’aurai pas écrit en vain, si l’un de vous, après avoir lu mon chant de mort est plus doux avec sa mère, un soir, à cause de moi et de ma mère. Soyez doux chaque jour avec votre mère. Aimez-la mieux que je n’ai su aimer ma mère. Que chaque jour vous lui apportiez une joie, c’est ce que je vous dis du droit de mon regret, gravement du haut de mon deuil. Ces paroles que je vous adresse, fils des mères encore vivantes, sont les seules condoléances qu’à moi-même je puisse m’offrir. Pendant...
– Voilà l’exercice je vous propose, reprit Stéphane : racontez une rencontre soit dans une narration soit dans une scène dialoguée. La rencontre est essentielle, ajouta-t-il en nous regardant à tour de rôle.
Il était 10 h 40.
Stéphane précisa que nous avions une demi-heure devant nous avant de faire le point, c’est-à-dire lire à haute voix ce que nous avions rédigé. Puis, après une pause et la lecture d’un nouvel extrait, il nous faudrait écrire à nouveau pendant une demi-heure. Nous étions supposés sortir à 13 heures et j’avais déjà...
« Ma mère, Zita Feifer, n’en parlait jamais.
Elle avait été, elle et son frère, mystérieusement épargnée de la déportation, alors que sa famille proche avait semble-t-il, disparue dans les convois du printemps 44.
…
Elle avait ce tropisme si peu contemporain de n’être pour rien au monde victime.
Aussi n’aimait-elle pas cet État ( juif ) dont l’essence à ses yeux était d’exposer une cicatrice indélébile à la face du monde.
…
La sœur et la mère de mon père étaient morts à Theresienstadt. Pour lui, Israël au nom béni était le lieu de la...
Naissance d’une passion
Je suis né à l’hôpital de Juvisy-sur-Orge le 1er octobre 1943 et j’ai grandi à Draveil (Essonne), dans la banlieue de Paris. J’étais le fils unique, tardif et précieux de Pierre, employé aux chemins de fer, et de Madeleine, secrétaire de direction. Nous vivions dans un pavillon à soubassement de meulières – très important le soubassement ! –, et le sous-sol, qui était mon domaine, ouvrait sur un jardin. Tout cela modeste, calme, bien rangé, un peu gris, c’était l’après-guerre en banlieue.
J’étais un enfant solitaire, paisible,...
"Après mes règles, pendant deux ou trois jours, je suis excitée comme jamais, je mouille. "
Il lui arrivait de soulever son tee-shirt gris pâle pour exhiber ses seins :
"Tu as vu comme ils sont gros aujourd'hui ? Tu as vu, Oksar ?"
Elle le retirait totalement, dévoilant dans le creux de ses aisselles des petits points rouges comme des piqûres de moustique. Elle me tournait le dos ; elle se jetait sur le lit ; elle me montrait le renflement brun de son anus : “Tu viens Oskar ? Je suis dilatée comme jamais.»
Enfance (1960)
Je suis né à Lyon et j’ai passé mon enfance, et même un peu plus, dans un quartier périphérique de cette métropole, aux confins orientaux de Villeurbanne, dans un environnement cosmopolite avec encore un pied dans le passé – un chemin creux bordé d’arbres où je faisais du vélo, des trottoirs en terre, le champ de mes grands-parents paternels, maraîchers en retraite –, et l’autre pied dans le présent – immeubles en construction, destruction des vieilles maisons en pisé…
Enfant dans les années 1960, j’ai eu la chance de grandir dans une...
"Je voulais plonger avec vous dans la fantaisie, et je me rends soudain compte que cette idée-là du relais, au départ purement ludique, et qui nous permet d'aller joyeusement d'un personnage à l'autre de manière fluide et libre, quand de liberté et de possibilités de voyages justement on manquait, finalement la reflète et l'illustre bizarrement, cette épidémie, puisque cette farandole, cette chaîne étrange, aussi bien aurait pu être enclenchée par une seule particule virale qui aurait été de l'un à l'autre en un parcours macabre et délétère."
"Marcher, je vous le dis pour le cas où vous auriez envie un jour d'écrire, a un drôle d'effet entraînant. Vos jambes, pour un peu, deviennent des pistons, et tout se passe comme si d'invi- sibles courroies, les reliant à votre imagination, en transmettaient le mouvement à la zone de votre cerveau dans laquelle dormait la possibilité d'un récit. De cette manière bizarrement mécanique, par l'intermédiaire de toute une succession de rouages internes, enjambée après enjambée, lentement quelque chose en vous se remet en route, votre capacité à fabriquer des phrases, à les faire...
Mon père, ma mère, Paris, 2020
« Tu veux que je te raconte ma vie en arabe ou en français ? » m’a demandé mon père et il a ajouté « Tu comprends l’arabe ? » alors qu’il a été mon professeur d’arabe pendant trois longues années où je vivais chacune de ses leçons comme un calvaire sans fin.
Je venais de brancher un micro sur sa chemise de pyjama qu’il traîne depuis mes cinq ans. Elle a été cousue et recousue par des couturiers kurdes, irakiens, coréens, et certains d’entre eux ont même mis des patchs en jean dessus pour combler les trous. Ma mère a eu...
Je vous le dis comme c’est venu. Finalement cela répond à une forme naturelle d’inspiration, suivant les saisons, peut-être aussi parce que la lune qui nous est presque aussi chère que le soleil, sera toujours là quand notre système explosera... L’inspiration, on croit qu’elle vient à nous alors que c’est l’inverse, c’est souvent un trop plein qui doit sortir, sans quoi il nous noierait, qu’on puisse se raccrocher à quelque chose pour pouvoir continuer. Sur la forme, disons-le, je dois rappeler les conseils de nos professeurs de français : dans l’introduction partir...
C’était le printemps.
La terre avait retiré son manteau de neige et des perles scintillantes venaient ramper,
courir, dévaler quelque pente. Encouragés par ce spectacle, les arbres tendaient leurs
bras, non plus pour supplier un répit, mais pour affirmer l’espoir du renouveau et d’un
bonheur à venir. La forêt reconstruisant son temple, le lierre et le bois paraissaient se
marier sous la chaude lueur. Aussi timides que l’aurore, les bleuets, les iris naissaient,
ici ou là, craintivement, étonnés de cette enceinte dont ils n’avaient gardé qu’un lointain
souvenir. Et une...
"Je regardais la toile bouleversante et j'ai pensé au "Dormeur du val". C'était beau à vous tordre l'estomac. Beau à vous transpercer le thorax. Tragique et beau à la fois. J'aurais aimé qu'Aimée s'endorme pour de bon ce jour-là, à ce moment précis, sous les pétales. Qu'elle s'arrête seulement de respirer, tranquillement, par cet après-midi si poétique d'avril. Quelques rayons de soleil passaient à travers le feuillage du marronnier et une fresque d'ombres et de lumières dansait sur le corps d'Aimée endormi sous les pétales blancs."
"Voici Aristote, entouré de Socrate et Platon, qui devisent sur le sens de la vie. Et, vois-tu, malgré leur esprit vif et digne d’exemple, leurs débats les amènent systématiquement à la même conclusion… leur impuissance à comprendre."
L’esprit d’un homme vole en éclats sous l’onde de choc d’un événement banal.
Dévoré par ses démons intérieurs, il ne contrôle plus rien.
Il voudrait circonscrire le feu, ramasser et recoller ces morceaux de lui-même.
En vain.
Désespéré, il décide de se raconter à un lecteur omniprésent.
Et les larmes versées brûlent le tissu du temps.
Des éclats de mémoires giclent à la surface de sa conscience.
Le rideau se déchire et il se souvient.
Une douleur inouïe surgit de cette lave en fusion.
Ce cri inhumain, venu d’ailleurs, c’était hier.
C’était cette autre vie...
Une vie épanouie qui se transforme en parcours du combattant pour comprendre ces symptômes qui envahissent le quotidien.
Entre errance médicale et incompréhension des proches et des médecins, ce n'est pas tous les jours facile d'être une femme, une maman et une malade qui ne veut pas l'être.
Jusqu’au diagnostic tant attendu…
Toutes ressemblances avec des personnes ou événements réels seraient fortuites.
« Ça va ? »
« Oui, ça va. »
C’est le genre de réponse que je donne à chaque fois que l’on me demande comment je vais.
Réellement, qui...
Il convient de ménager ce lecteur, de lui réserver des temps calmes qu'on appelle entre nous ventilations narratives. Sans quoi celui-ci s'essouffle, perd haleine, suffoque et meurt parfois. Par conséquent je serai dans les pages qui suivent économe en rebondissements.
« Portons un toast aux racines qui ont traversé les océans pour faire des vagues dans nos verres.
Je bois aussi aux souvenirs de toi que je n’ai pas eu, à la santé de ta mère que je n’ai pas connue.
La troisième gorgée va au souvenir du baiser numéro un à la fin de l’été 1964. J’étais emprunté, au point de le demander par écrit, je n’aurais pas pu de vive voix.
Elle avait quatorze ans elle aussi, elle a dit oui, un bref rendez-vous dans une pièce. C’était l’après-midi, les volets fermés, les cigales en chœur. Elle m’attendait debout au milieu...
C’est peut-être cette association d’idées qui me poussa vers lui, et je m’assis à côté de lui. Il me regarda avec deux yeux très beaux et me sourit, et moi aussi je lui souris ; c’est alors seulement que je m’aperçus avec effroi que le petit être qu’il portait sur l’épaule, n’était pas un singe mais une créature humaine. C’était un monstre. Une atrocité de la nature, ou une terrible infirmité, avait raccourci son corps en bouleversant ses formes et ses dimensions. Ses membres étaient tordus et recroquevillés sans autres ordres et mesures que ceux d’un...
Ainsi, Vassili Grossman naquit le 12 décembre 1905 dans la ville de Berditchev. Ses parents se séparèrent alors qu’il était tout petit. Entre cinq et six ans, il vécut en Suisse, à Genève, avec sa mère, Ekaterina Savelievna, et fréquenta une école cantonale.
On lit dans son essai Berditchev, trêve de plaisanterie :
Un personnage de Tchekhov, le Dr Tcheboutykine, un monsieur très cultivé, s’écrie, horrifié : « Balzac s’est marié à Berditchev, Balzac s’est marié à Berditchev ! » Le docteur est choqué : Balzac, un...