Enfance
Signe particulier : néant ?
Elle fut heureuse il paraît. Je n’y repêche aucun traumatisme d’envergure, ni carence de soupe ou de
pain, ni certificat de martyr.
Ma mère exerçait le vieux métier de couturière et travaillait à la maison, mon père était commis voyageur pour le bénéfice des vignerons du Jura.
Je ne le voyais guère.
L’assiduité de ma génitrice me rassasiait. J’aimais chaque instant avec elle, sauf lorsqu’elle reprisait
mon gilet de laine sans que je l’ôtasse : aussi experte fût son aiguille, je tremblais qu’un geste maladroit lui
fît percer...
— Pour ma part, j’ai décidé de revenir dans le pays des Bara, celui d’éleveurs courageux qui continuent à vivre dans les grands espaces sauvages. Pour les autres, ceux qui vivent entassés dans les villes, Madagascar, c’est fini ! Nous, les Bara, nous voyons notre île telle qu’elle est réellement. Pour comprendre ce pays, il faut courir pieds nus dans les canyons de l’Isalo, respirer l’odeur des plantes, sentir dans vos tripes à quel point la brousse fait partie de votre âme.
Jusqu’alors inopérantes, les martingales de la consolation commenceront à faire effet et mettront à mal l’abattement. Vivre heureux comme tu l’étais, toi, chaque jour, ne pas être ce que tu n’aurais pas voulu que je sois, cet individu d’une morosité tenace depuis juillet, ne pas faire de ta mort (car c’est ainsi que je saurai la nommer) une fin en soi mais te voir en passant si considérable que tu resteras pour toujours, voilà les mantras qui petit à petit s’animeront en moi, pour de vrai jusqu’à créer l’organe d’aller mieux.
Ils sont trente-deux. Trente-deux à habiter encore l'abbaye en ce jour d'automne 1986, au bout d'une route à faire pâlir ceux qui l'empruntent. En mille ans, rien n'a changé. Ni la raideur de la voie ni son vertige. Trente-deux cœurs solides - il faut l'être quand on vit perché au bord du vide -, trente-deux corps qui le furent aussi, dans leur jeunesse. Dans quelques heures, ils seront un de moins.
Les frères forment un cercle autour de celui qui s'en va. Il y a eu bien des cercles, bien des adieux, depuis que la Sacra dresse ses murs au-dessus d'eux. Il y a eu bien des moments de...
YouTube est rempli de centaines de milliers de guitaristes et de bassistes et de batteurs qui font des reprises et qui sont super doués, mais sans le truc avant-garde qui sidère ou l'émotion qui va scotcher toute une génération. Ils ont la technique mais rien de plus, et quand bien même ce serait le cas, pendant combien de jours ou d'heures une découverte nourrit avant qu'on passe à la suivante?
Il n'y a que les jeunes artistes qui démarrent qui sont motivés pour mettre en ligne un tas de choses, saisir tout ce qui peut ressembler à une opportunité. Les autres sont perdus, ou sur...
Portrait de mon violeur
Car à moi aussi, au fond, ce qui me semble le plus intéressant c’est ce qui se passe dans la tête du bourreau. Les victimes, c’est facile, on peut tous se mettre à leur place. Même si on n’a pas vécu ça, une amnésie traumatique, la sidération, le silence des victimes, on peut tous imaginer ce que c’est, ou on croit qu’on peut imaginer.
Le bourreau, en revanche, c’est autre chose. Être dans une pièce, seul avec un enfant de sept ans, avoir une érection à l’idée de ce qu’on va lui faire. Prononcer les mots qui vont faire que cet enfant...
Renaud trouve un boulot à la librairie du 73, au 73 Boulevard Saint Michel, en face de l'entrée principale du Jardin du Luxembourg. Une des nombreuses librairies du quartier latin à l'époque où la jeunesse étudie dans les livres, rêve dans les livres, s'émancipe dans les livres, se révolte dans les livres. Renaud y devient magasinier grâce à un copain, fils de la patronne de la librairie 73. Il ouvre et vide des cartons de livres, range les rayons, prépare les colis... Et il lit, il lit, il lit , il lit...
On peut s’y faire c’est sûr, s’en accommoder, se construire une carapace en béton armé pour que toute cette pourriture glisse sur vous sans qu’elle vous atteigne, qu’elle ne vous transperce jamais. Ou pas complètement. Qu’elle vous pique simplement. Mais au final, c’est dur, terriblement dur de laisser ses émotions, ses révoltes, son abnégation au vestiaire. Comment ne pas étouffer lorsqu’on est immergé chaque jour dans les abysses humains ?
Laudes. Languedoc. Monastère de Verfeil. 11 février 1367.
— On se gèle les couilles, frère Antonin.
— Ce ne sont pas des paroles de moine.
— Ce ne sont pas les paroles qui font le moine, mais la vérité… et la vérité c’est qu’on se gèle les couilles.
— Il fait effectivement très froid.
— « Effectivement très froid… » C’est sûr, on n’a pas été élevés dans les mêmes étables, frère Antonin. Maudit froid d’Anglais.
— Je dirais plutôt « froid de Franciscain ».
— Ces...
Un livre reliait l’auteur à ses lecteurs. Une histoire semblait établir un lien avec la vie, un lien avec les autres, elle pouvait édifier un pont permettant la rencontre entre des mondes opposés, différents, ou semblables. Une histoire reliait. Quand elle avait plu, elle engendrait une réflexion, pouvant amener une discussion.
Lutter contre les violences domestiques, ce n’est pas désigner et combattre des monstres, qu’on pourrait garder en marge de la société, mais un système entier qui produit des pères, des maris violents, et maintient leur domination sur les femmes et les enfants.
Pendant longtemps, sa colère quant à la soumission de sa mère avait alimenté sa rage de réussir. Elle s'était juré de ne jamais cuisiner. Elle veillait scrupuleusement à une répartition parfaitement équilibrée des tâches quotidiennes entre Rémi et elle. Surtout, elle avait décidé qu'elle deviendrait le type de femme que l'on n'imagine pas reléguée en cuisine. Elle deviendrait une tout autre femme que sa mère. Puis, un jour que Johar n'aurait su dater précisément, la colère envers sa mère s'était tarie, faisant place à une indifférence sèche.
Au café
En ce début de soirée pluvieux et comme de coutume désormais, Henri quitta son hôtel particulier du 18 rue Napoléon. Il s’était revêtu de son manteau et de son chapeau afin de se rendre dans cette gargote à quelques encablures de là. Il ne l’aimait guère – lui répugnait même un peu – mais il s’y rendait immanquablement chaque jour.
Finalement, il ne comprenait pas très bien comment lui était venue cette habitude. Peut-être était-ce le plaisir d’entendre le tout‑venant déblatérer des inepties sur les événements en cours ? Il...
La colère venait dès le réveil. Il lui suffisait pour se mettre en rogne de penser à ce qui l’attendait, toutes ces tâches à accomplir, tout ce temps qui lui ferait défaut. Hélène était pourtant une femme organisée. Elle dressait des listes, programmait ses semaines, portait dans sa tête, et dans son corps même, la durée d’une lessive, du bain de la petite, le temps qu’il fallait pour cuire des nouilles ou préparer la table du petit-déjeuner, amener les filles à l’école ou se laver les cheveux. Ses cheveux justement, qu’elle avait failli couper vingt fois pour...
"Je ne vois rien, mais je sais qu'elle existe, cette femme qui veut me protéger. Elle me donne de la force. Je continue à marcher. Je n'ai plus peur. Je me souviens de cette matinée où j'ai traversé la cour de mon école, la jupe soulevée. Ce jour-là, vous n'avez pas réussi à broyer ma liberté d'être moi. Aujourd'hui, vous m'avez rasé le crâne, vous m'avez marquée au fer rouge et maintenant vous m'insultez comme une chienne. Mais vous ne me détruirez pas. Vous n'aurez pas cette étincelle qui me pousse à continuer, envers et contre tout. Car, aujourd'hui, encore plus qu'hier,...
"Toutes sont mineures selon la loi, la plus jeune a seize ans, la plus âgée vingt et un ans. Elles ne sont pas des détenues, elles ne sont pas des criminelles : elles sont de mauvaises filles. C’est pour ça qu’on les a capturées."
« Viens, mon Ange, mes millions, mon partage. Viens, on s'ennuie ici. On va voir la vie, on va voir les autres. Donne-moi la main, ça fait si longtemps. Je vais m'essouffler à marcher plus vite, à faire le jeune. On va se moquer de la trogne des gens comiques, regarde celui-là avec sa chemise rouge fluo. Allez, viens ! Souris, on va rêver de longs voyages, la Tanzanie, le Pôle Nord, choisis. Allons nous asseoir sur ce banc au bord du fleuve. Tu feras signe aux quelques bateaux qui passent.
Ris mon am', ris, c'est bien. La vie est ce qu'on en fait. »
Découvrant ses...
Lorsqu’on est médecin, on n’est pas préparé à la mort des gens. Notre mission, c’est de les tenir en vie coûte que coûte, en dépit de leur liberté. La mort, ce n’est pas notre sujet. Notre société est comme ça, elle ne veut pas regarder la mort en face. Et pourtant, j’ai lu dernièrement de très belles choses des philosophes grecs. Philosopher, c’est apprendre à mourir, pensaient-ils. Et si soigner, c’était aussi apprendre à mourir ?
Elle était heureuse. Voilà la raison pour laquelle il était là, et pas ailleurs. Il fallait qu’il s’assure une dernière fois que tout allait bien. Comme lorsqu’elle était gamine et, qu’avant de remonter à bord de sa voiture, il jetait un dernier coup d’œil pour s’assurer qu’elle avait bien retrouvé ses copines dans la cour de l’école. Si l’unique but dans la vie d’un père est de voir son enfant épanoui, alors il n’avait pas failli. Au fond de lui, il le savait déjà. Maintenant qu’il était là, à l’observer dans ce parc entourée de ses deux petits, la...