Cynthia Ozick exalte le temps des secrets

Que reste-t-il d’une vie à l’heure du bilan ? Cynthia Ozick, romancière américaine qui a inspiré Philip Roth et Nicolas Krauss, utile un prétexte narratif pour inciter son héros vieillissant à ouvrir sa mémoire. Et son cœur, peut-être son âme. Lloyd Wilkinson Petrie se confie à son carnet pour rédiger un mémoire pour l’Académie du Temple - école de garçons dont il est administrateur.

Le temps des secrets, celui des premières émotions. De ces amours ou amitiés qui marquent à vie. Ancien avocat et héritier du prestigieux cabinet Petrie, Lloyd Wilkinson Petrie perce l’armure en confiant à son carnet ses secrets de collégien. « Je n’ai aimé que deux fois dans ma vie. Une fois, ma splendide, Peg. Une autre fois, il y a fort longtemps, Ben-Sion Éléphantin.»

Le puissant mystère des civilisations du Nil

Chacun des administrateurs de l’Académie du Temple, école de garçons doit en effet rédiger un mémoire sur un souvenir marquant de leur passage dans l’institution. Ce mémoire rédigé sur le tard est le prétexte narratif que trouve la romancière, essayiste et novelliste américaine Cynthia Ozick pour inciter ce conservateur dans l’âme, corseté dans ses convenances de classe et un fonds de racisme bon teint, à se confier au papier. Lloyd Petrie a de ses petites manies obsessionnelles qui rendent les personnages intéressants. Intrigants même.

Le vieil administrateur partage avec son excentrique de père une fascination pour l’Egypte et la Palestine. Attraction pour le puissant mystère qui émane de ces civilisations millénaires que l’on ne peut que partager. « Á la lumière du jour, partout où le sable omniprésent avec ses bouquets épars de broussailles sauvages et d’herbes folles laissait place à une végétation plus familière, la terre elle-même avait une teinte rougeâtre. Et dans la lumière féroce des couchers de soleil, même le sable tournait au rouge. »   

Une excentricité en terrain circonscrit

Son père a fait une escapade étant jeune sur les chantiers de fouille de son cousin William, archéologue renommé. L’excentricité, dans ce monde, s’exprime toujours sur un terrain – ou une période – limité. Petrie père est très vite rentré à New York et dans le rang. L’âge venu, Lloyd Petrie se contente de dépoussiérer les antiquités rapportées par son père pour échouer dans une vitrine. 

Rien d’étonnant, avec ce terrain familial, à ce que Lloyd Petrie, alors collégien, se prenne d’une amitié déraisonnable pour l’un de ses coreligionnaires dont la vie, et l’histoire familiale, sont nimbées de mystère. Ben-Sion Éléphantin ne manque pas d’imagination – il est intarissable sur l’étrange civilisation propre à l’île éléphantine née dans la vallée du Nil. Il excite l’imagination de son voisin de couloir.

« Tu ne sais rien de l’Égypte, dit-il, rien, tu crois que tout ce qu’il y a dans la Bible est vrai, mais il y a bien plus à dire que ce qui y est écrit, et l’omission est une forme de mensonge ». Pour faire recette dans le mensonge, il faut rester proche de la vérité. Le mentir-vrai de Cynthia Ozick marque du sceau de la vérité les affabulations de Ben-Sion Éléphantin. Un brin de folie dans un creuset de vérité, c’est tout l’art d’un roman réussi.

> Antiquités, de Cynthia Ozick, traduit de l’anglais (États-Unis) par Agnès Desarthe. Éditions de l’Olivier, 182 pages, 17 euros. >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien