Philippine Cruse, membre de la communauté Viabooks a lu le dernier roman d'Alain Mabanckou, Demain j'aurai vingt ans. Elle souligne la thématique de l'enfance utilisée par l'auteur comme un moyen de regarder notre monde.
Révélé en 2005 par le succès populaire de Verre Cassé, Alain Mabanckou est devenu un auteur africain majeur, récompensé en 2006 par le Prix Renaudot pour Mémoires de Porc epic. Il revient sur le devant de la scène littéraire avec Demain j'aurai vingt ans, publié cette fois-ci chez Gallimard. Cet écrivain, entré en littérature par la poésie, montre dès ses débuts des talents de conteur qui lui permettent de jongler avec plusieurs registres passant du burleque au poétique, du politique au populaire.
Dans Demain j'aurai vingt ans, Mabanckou intègre subtilement les thèmes qu'il affectionne. Parmi eux, les regards de l'Afrique sur l'Europe et vice versa, une réflexion sur le multiculturalisme et un retour sur l'enfance.
Des motifs illustrés par des personnages tout à fait pittoresques. Et cette fois-ci, une oeuvre totale dédiée à la mère disparue avant que son fils n'ait pu la revoir.
La présence de la mère n'efface point celle du père, qui était comme dans le récit, réceptionniste dans un hôtel français et emportait chez lui les romans laissés par les clients. A première vue, le texte pourrait se définir comme une simple autofiction. Pourtant, Mabanckou ne se résout pas à s'y arrêter. Au contraire, il éclate ses frontières. Le récit tend alors à s'émanciper de ce qu'il définit comme "la dictature classique de l'écriture." Dans des propos recueillis par des confrères de RFI, l'écrivain souligne que c'est au moment de Verre Cassé qu'il a "enfin compris que le véritable écrivain ne se laisse pas dominer par les règles. Au contraire, c'est lui qui impose à la langue ses règles."
Avec Demain j'aurai vingt ans, Mabanckou laisse parler l'enfance, cette période d'innocence et de naïveté souvent salvatrice, vaste champ des possibles. Le jeune garçon s'appelle Michel et raconte une vie en République populaire du Congo dans les années 70; sa vie, celle de sa famille, de ses amis et du monde qu'il regarde à travers le prisme de ses découvertes, ses craintes et ses peines, ses joies et ses farces.
Animé d'une curiosité passionnée, Michel est un jeune garçon particulièrement fin et attachant, intrigué par le monde bien compliqué des adultes.
Mabanckou analyse et décrit avec une grande finesse l'innocence de l'enfant teintée d'intuition, merveilleux territoire encore vierge à cet âge. L'enfance est en effet un intelligent moyen d'aborder différents sujets d'assez grande ampleur avec une éclatante fraîcheur et une justesse de ton.
Si la période du texte couvre la fin des années 70, elle résonne comme une clé pour considérer notre époque contemporaine. Car, aujourd'hui trop d'informations tue la nouvelle. Au fil de la radio, Papa Roger, réceptionniste à l'hôtel Victoria s'intéresse passionnement à ce qui se passe dans le monde. Un client lui a offert le radiocassette, objet magique qui lui permet d'écouter le monde, notamment à travers la voix du journaliste de "La Voix de l'Amérique" Roger Guy Folly. C'était encore l'époque où le journaliste se disait "fidèle serviteur". De la guerre du Vietnâm au renversement du chah l'Iran en passant par les répétitions en classe sur l'immortel Marien Ngouabi, des champs entiers de l'histoire sont évoqués à travers le récit du jeune Michel. Les journaux et la radio sont alors les seules sources d'informations. Plus limitées, elles se révèlent au fond plus exactes.
Papa Roger récupère les livres laissés par les Blancs à l'hôtel. Lorsqu'il les rapporte chez lui, il prévient sa famille d'y faire bien attention. Un attachement aux livres et un regard sur la culture qui passe à travers eux mais aussi à travers les paroles de Georges Brassens, qui chante ces paroles énigmatiques que Michel comprend avec l'intelligence intuitive J'ai plaqué mon chêne comme un saligaud Mon copain le chêne, mon alter égo. Les livres ouvrent encore les vastes champs de l'imaginaire et donnent aussi à Michel et Caroline les moyens de rêver à la voiture rouge à cinq places et au petit chien blanc.
Parfois, Michel prend en cachette Une Saison en Enfer de Rimbaud, jeune homme au visage d'ange et lit Mauvais Sang. Il découvre la lecture et la poésie avec un intérêt croissant, au fil des hasards s'emparant du texte de Rimbaud dans la bibliothèque de son père car ce petit ouvrage au dessus de la pile l'intrigue.
Entouré d'une galerie de personnages qui agissent comme autant de moyens de regarder le monde, il apprend et contemple. De son ami et confident Lounès à Maman Pauline, belle et insaisissable avec ses talons-dame orange à son amoureuse Caroline, la soeur de Lounès, tout un univers se déploie, s'ouvre sur l'imaginaire.
L'innocence de la jeunesse mais aussi sa cruauté, ses questionnements, sa franchise et sa volonté de ne pas faire de tort à l'autre, autant d'aspects de la complexité de cette période si riche et si rapide.
Ce temps de l'enfance est alors le pays de l'imaginaire où le jeune garçon "s'endort avec le sourire" parce que dit-il "je sais que je suis capable de toucher le soleil, la lune et les étoiles".
Le temps de l'enfance comme un moment merveilleux où tout semble possible. Ce temps, à la recherche de la route du bonheur, Mabanckou nous le fait revivre avec une joie communicative, et une certaine nostalgie au moment de refermer le livre.
Alain Mabanckou, Demain j'aurai vingt ans, Gallimard.
Alain Mabanckou, Verre Cassé, Points Seuil.
Alain Mabanckou, Mémoires de Porc epic, Seuil.
Alain Mabanckou, Bleu, Blanc, Rouge, Présence Africaine
Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer, Gallimard Poésie
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