Comme chaque année la rentrée littéraire est synonyme d’une nouvelle parution pour l’écrivaine belge à succès, Amélie Nothomb. Son dernier roman, Frappe toi le cœur, se résume par une seule phrase de Musset « Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie ». Des sentiments, il en sera question au fil des pages, et notamment de l’amour maternel, qui peut s’avérer inexistant, voir cruel. Si l’auteure est parfois décriée pour ses publications trop régulières, ce dernier est un des meilleurs récits de son œuvre.
Marie est une jeune femme qui a tout pour plaire et qui aime faire tourner la tête des garçons, pour rendre jalouse ses copines de lycée. Bien que vouée à un brillant avenir, Marie va se laisser emporter par son besoin de susciter l'envie et la jalousie d'autrui, et tombe enceinte à l’âge de 19 ans, d’Olivier, un jeune pharmacien très convoité. Cette naissance va changer sa vie du tout au tout. L’arrivée de sa fille Diane la relègue au second plan puisque tous ses proches ne jurent que par le nouveau-né. Marie tombe alors instantanément jalouse du nourrisson, qu'elle traite avec la plus grande froideur. L’enfant le comprendra très vite, notamment lorsque la famille s'agrandira, et que sa mère couvrira d'attentions ses frères et sa sœur. Progressivement le personnage de Marie s’efface pour laisser la place à Diane, le protagoniste au cœur de l’intrigue. Au fil des pages le lecteur découvre comment la jeune femme évolue sous le poids de l’absence de tendresse maternelle.
Dans sa dernière œuvre Amélie Nothomb parle abondement de sentiment. Elle préfère laisser de côté les relations amoureuses et ouvre cette fois un chapitre conséquent et difficile; l’amour parental. Si ce dernier est censé être inné, le lecteur découvre une toute autre approche de la question. En effet face au mépris de sa mère comment Diane peut-elle s’épanouir dans sa vie ? Est-ce que l’absence d’amour d’une mère peut créer des failles chez un être humain ? Peut-on réellement se construire sans recevoir de l’affection maternelle ? Y-a-t-il une quête perpétuelle qui vise à combler ce vide ? L’auteur soulève de nombreuses questions à travers le personnage de Diane et sa psychologie complexe. L’impact de ce rejet est au cœur de l’œuvre. Cette relation toxique qu’instaure Marie entre elle et sa fille est extrêmement cruelle, et fait naitre chez le lecteur une grande empathie envers le personnage de Diane. A travers les mots d’Amélie Nothomb le lecteur ressent la violence mentale que subit la jeune femme et voit s’entasser les répercussions dans sa vie future.
Tout le roman se tisse donc autour de ce personnage extrêmement bien pensé par Amélie Nothomb. Le lecteur découvre une jeune femme cassée par le manque d’amour maternelle, qui se bat coute que coute pour surmonter les épreuves que la vie lui présente. L'écriture au scalpel de Nothomb nous plonge au cœur des sentiments les plus sombres et les plus tabous. L’auteure analyse brillamment le comportement des deux personnages. Grâce à son travail sur les mots le lecteur ressent l’énorme jalousie qui ronge Marie ainsi que le vide qui hante Diane. Les thèmes évoqués sont tous autant captivants : la jalousie, l’envie, les relations toxiques, l’amour mère-fille et l’ambition. Ils permettent au lecteur de se jeter corps et âme dans cette lecture qui file à toute vitesse. En ce qui concerne la plume de l’écrivaine, elle reste toujours aussi bien rodée. L'histoire est fluide et très agréable à lire. Son analyse des sentiments et de l’amour maternelle s’appuie sur différentes visions et permet de mettre à nue leur complexité.
« Marie aimait son prénom. Moins banal qu’on ne le croyait, il la comblait. Quand elle disait qu’elle s’appelait Marie, cela produisait son effet. « Marie », répétait-on, charmé. Le nom ne suffisait pas à expliquer le succès. Elle se savait jolie. Grande et bien faite, le visage éclairé de blondeur, elle ne laissait pas indifférent. A Paris, elle serait passée inaperçue, mais elle habitait une ville assez éloignée de la capitale pour ne pas lui servir de banlieue. Elle avait toujours vécu là, tout le monde la connaissait. Marie avait 19 ans, son heure était venue. Une existence formidable l’attendait, elle le sentait. Elle étudiait le secrétariat, ce qui ne présageait rien – il fallait bien étudier quelque chose. On était en 1971. « Place aux jeunes », entendait-on partout. »
« Maman, j'ai tout accepté, j'ai toujours été de ton côté, je t'ai donné raison jusque dans tes injustices les plus flagrantes, j'ai supporté ta jalousie parce que je comprenais que tu attendais davantage de l'existence, j'ai enduré que tu m'en veuilles des compliments des autres et que tu me le fasses payer, j'ai toléré que tu montres ta tendresse à mon frère alors que tu ne m'en as jamais témoigné une miette, mais là, ce que tu fais devant moi, c'est mal. »
« Il y avait une joie encore beaucoup plus puissante : il s'agissait de susciter la jalousie des autres. Quand Marie voyait les filles la regarder avec cette envie douloureuse, elle jouissait de leur supplice au point d'en avoir la bouche sèche »
De nationalité belge, Amélie Nothomb est née en 1967 à Kobe au Japon. Son père, Patrick Nothomb est un baron et un ambassadeur. Son métier amène sa famille à beaucoup voyager. L’enfance de l’écrivaine est ponctuée par de nombreuses destinations ; Chine, Etats Unis, Asie du Sud-Est. Amélie Nothomb ne découvre son pays d’origine, la Belgique, qu’a l’âge de dix-sept ans. A son retour elle suit des études de philologie romane à l’Université Libre de Bruxelles. Sa passion pour l’écriture la suit depuis ses dix-sept ans. A cette époque elle accumule de nombreux romans, dont beaucoup restent dans les tiroirs, car trop personnels. C'est en 1992, à l’âge de vingt-cinq ans, qu'elle fait son entrée fracassante dans le monde des lettres avec son roman "Hygiène de l'assassin.". Elle enchaîne depuis les succès avec plus d'une vingtaine de publications. A partir de là, chaque année un nouveau millésime parait. C’est en 1999 qu’Amélie Nothomb devient un pilier de la littérature contemporaine en publiant « Stupeur et Tremblements » qui sera couronné du Grand Prix de l'Académie française et vendu à 385 000 exemplaires. Autant admirée que controversée Amélie Nothomb a su s’installer dans le paysage littéraire grâce à son style souvent déjanté et décalé qui sait mêler humour et sujets dérangeants.
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