Giosuè Calaciura, romancier italien de grand talent, livre dans Je suis Jésus (Notabilia), lauréat du prix Stresa, une enfance et une jeunesse du Messie très romanesque. Ses peurs, ses joies, le sentiment de protection que lui offrent des parents poursuivis par Hérode. C’est un Jésus très humain qui évolue sous nos yeux. Mais sa mère, Marie, a des idées bizarres…
Jésus grandit « parmi les loups et les bandits », pour reprendre le titre d’un excellent roman de l’américain Atticus Lish, consacré à un vétéran d’Irak et une migrante chinoise. Giosuè Calaciura, romancier italien de grand talent, livre dans Je suis Jésus (Notabilia) une enfance et une jeunesse du Messie très romanesque. Ses peurs, ses joies, le sentiment de protection que lui offrent des parents poursuivis par Hérode. C’est un Jésus très humain qui évolue sous nos yeux. Auprès de sa mère, Marie, qui a des idées bizarres…
Giosuè Calaciura est un écrivain qui n’a pas froid aux yeux. Le romancier né à Palerme a notamment consacré à la mafia un ouvrage criant de vérité. Les multiples acteurs, malfrats et petites frappes, gosses des rues y évoluent à ras de bitume. Malacarne, paru aux Allusifs en 2007, met en scène avec brio ce réseau de petites et de grandes compromissions quasi invisibles, et qui pourtant sautent aux yeux, qui forment la toile redoutablement résistante du crime organisé.
Avec Je suis Jésus, c’est un Messie humain, très humain, que met en scène Giosuè Calaciura. Gilbert Sinoué s’était déjà essayé avec succès à faire de la vie de Jésus un roman dans « Moi, Jésus ». L’entreprise est à la fois prosélyte, tant la révolution du christianisme, par l’amour, reste d’actualité. S’approprier les textes sacrés par le biais de la fiction peut, certes, choquer les pratiquants les plus respectueux du dogme. Mais nous sommes au pays de Voltaire où la fiction peut donc s’emparer a priori de tous les sujets. Jacques-Alain Léger le dirait mieux que moi.
L’idée d’un Dieu qui s’est fait homme se reflète parfaitement dans ce roman d’apprentissage. Rien de très éloigné donc de l’esprit des évangiles. L’enfant Jésus subit les persécutions romaines dès son plus jeune âge. Ses parents sont en fuite. Le vieux Joseph – qui a épousé une fille mère très jeune pour sauver sa réputation – fait des rondes le soir pour protéger sa famille.
Le lauréat du prix Stresa pour ce roman de belle facture mime formidablement la fable. Chaque anecdote, chaque évènement, chaque sentiment est pesé. Posé à sa juste place. L’économie de mots, la justesse et la richesse du lexique leur donnent une résonance que viennent amplifier l’écho du désert et son silence. La distance des siècles et les journées qui s’écoulent au rythme de gestes mesurés. Nécessaires.
En incitant ses lecteurs à se mettre dans la peau du jeune Jésus, Gosuè Calaciura donne à la forme romanesque toute sa portée. Puisque sa force est justement dans la capacité de rendre les personnages vivants.
Il y a une ampleur rare dans le monde ici évoqué. Le monde est encore jeune et le mythe en restitue toute la puissance. C’est une époque où les choses ont encore un sens, des liens cachés, harmonie latente que la fable aide à débusquer. « Je laisse se prolonger ce moment de soulagement dans la contemplation de cette beauté unissant tout ensemble l’harmonie naturelle des pentes et des sommets, les nuages tièdes et rares qui annoncent l’automne, le bleu du ciel qui glissait vers l’après-midi, et le travail des hommes comme une dentelle de miniatures, les jardins délimités à coups de bêche qui dessinaient des pentes intelligentes pour l’eau, les vignes mûres attachées une à une aux roseaux dans la promesse des vignobles, les troupeaux qui descendaient en un unique mouvement d’animal, la maison et l’étable qui semblaient posées là par un Dieu aimable et sensible, la fumée qui sortait de fagots par bouffées, comme un signal. »
Jésus découvre les hommes, les femmes. Le goût de rouille de la trahison. Les marchands du Temple et les miséreux auxquels il porte secours alors que ses parents l’ont oublié chez ses cousins. « (…) irrémédiable ronde de proies et de prédateurs qui de tout temps partagent le besoin de survivre (…). Qui pourra donc jamais briser cette chaîne de solitude ? Qui brûlera jamais le chapiteau de cette foire obscène où nous donnons en spectacle l’hypocrisie de notre intelligence ».
Sa mère fait des rêves trop grands pour lui. Marie le berce le soir d’une belle histoire. Celle de sa naissance. « Une ânesse et un bœuf réchauffaient l’étable ». Elle l’abreuve aussi des lignes les plus terribles de la Bible, « ces récits de destins déjà écrits, sacrificiels. »
Sa mélancolie naturelle se mue en signes funestes. « Je me sens comme cette terre, rude et hostile. Sans pitié, pas même pour elle-même. C’est un présage de sépulture. » Très humain, le destin de ce Jésus italien. C’est une histoire de vie et de mort. La chute, l’angoisse, sont-elles suivies d’une rédemption ? Les miracles adviennent. « Je conservai en moi la légèreté des choses qui ne sombrent pas. » Et si tout était écrit ?
> Je suis Jésus, de Giosuè Calaciura. Notabilia, 350 pages, 21 euros >> Pour acheter le livre cliquer sur ce lien
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