Littératures et métissages

Du 6 au 8 juin derniers s'est déroulée la 39ème édition du festival Musiques Métisses. Trois jours de concerts, de voyages musicaux mais où il a été aussi beaucoup question de livres et de réflexions sur la littérature. Un festival trans disciplinaire étonnant et très gaï qui montre la valeur des mises en perspectives des arts et des lettres aujourd'hui plus que jamais peut-être.

Si dès vendredi, Angoulême a vibré sous les variations du grand trompettiste Ibrahim Maalouf, celui qui "jongle avec le jazz, l'electro, le métal, la musique traditionnelle et mise le décloisonnement des genres, samedi 7 juin, malgré l'orage, la pluie battante, la foule un peu dispersée cherchant à s'abriter, Ayo, la déesse guerrière, celle qui se dit avant tout citoyenne du monde, a enthousiasmé le public avec sa voix si pure et ses mélodies langoureuses. Et dimanche 8 juin, les Jolly Boys, papys jamaïcains dignes représentants du mento (ancêtre du reggae et du ska) nous ont rappelé un peu l'esprit du Buena Vista Social club. Alors oui, c'est cela Musiques métisses d'Angoulême, ce festival qui va fêter l'année prochaine ses quarante ans, le bel âge pour cette manifestation tout à fait extraordinaire.

Car me direz-vous c'est très bien toutes ces musiques mais où Diable se cache la littérature? Si dans le titre du festival, elle n'est pas précisée, il n'en demeure pas moins que sa présence exulte, à travers les oeuvres d'écrivains choisis avec intelligence par Bernard Magnier.

 

Dialogues heureux

Sous un des chapiteaux, la librairie des territoires propose les livres tandis que se suivent à rythme quasi ininterrompu les rencontres. Car le souhait de Bernard Magnier est avant tout de créer des dialogues heureux sur les littératures et les arts plus largement. Chaque année, le panel d’auteurs change. Bernard Magnier est curieux et à l’écoute d’un public de plus en plus nombreux et fidèle. Ces rencontres dessinent des formes à la littérature. Des formes qui évoluent, se transforment, se pénètrent. Et une sélection d’auteurs invités bien pensée. C’est encore ce choix volontaire qui donne  profondeur et éclat à ces rencontres. Ce je ne sais quoi qui permet à celui qui écoute de se dire qu’il s’est passé quelque chose. Une émotion, une citation, un éclat de rire. Car oui ce festival et pourtant nous en avons suivi un certain nombre depuis les débuts de Viabooks se distingue réellement par sa simplicité, sa bonne humeur et surtout sa qualité.
Certes pour que les mets soient fins, il faut réfléchir, prendre le temps, ne pas se précipiter et montrer de la curiosité. Si l’on prend le temps de s’interroger sur les éditeurs invités à travers les auteurs présents, on s’aperçoit très vite que là aussi le choix exprime une variété, une ouverture sur le monde et sur le temps.

Huit auteurs invités 

Si Santiago Gamboa est colombien, Valentine Goby est française, Alex Godard né à Marie Galante, Alain Mabanckou congolais, Daniel Maximin guadeloupéen, Esther Mujawayo, rwandaise, Paola Pigani, française d’origine italienne et Amal Sewtohul mauricien. Quelle richesse d’horizons, de cultures, d’histoires. Si certains se sont lus d’autres non. Serait-ce le cas de Santiago Gamboa et Alain Mabanckou qui dans un dialogue animé par Gérard Meudal sont passés de Colombie au Congo sur les bords de Seine et dans les marges du polar ?  Oui sans doute. Leurs œuvres dans le dialogue de la rencontre se sont interrogées, regardées bref, rencontrées. Et cette rencontre si elle est le fruit d’un heureux hasard, elle est aussi nourrie par le goût de ces deux écrivains pour la musique. Si cette dernière est un autre langage, elle ouvre des perspectives à la littérature, comme peuvent le faire si bien la peinture ou le cinéma. Musiques métisses est un festival tout à fait singulier parce qu’il a compris à quel point le dialogue des arts pouvait être riche et fructueux.

Le cas d’Alain Mabanckou est probablement un des meilleurs exemples. Rappelez-vous son livre Black Bazar, sorti en 2009 au Seuil  que le même Alain Mabanckou a transformé en groupe ou plutôt si l’on se reporte à la définition de son site à « un concept musical initié, produit par l’écrivain et soutenu par le label Lusafrica. » Cette heureuse pénétration des genres et des disciplines montre l’exemple vers un nouveau regard de la littérature.  Ces dialogues, ces parallèles, cette curiosité sont une chance pour la littérature de demain.

La gratitude de l’écrivain

Dans sa conversation avec Bernard Magnier, Mabanckou avec l’agilité et l’humour qu’on lui connaît a souligné des points essentiels très souvent oubliés. Parmi eux, la place de la lecture : un écrivain est d’abord un lecteur. Et Mabanckou est un grand lecteur. S’il cite avec délectation la fable du Lion et du rat de La Fontaine, c’est encore lui qui soutient parmi bien d’autres l’œuvre de la grande femme écrivain Pia Petersen, "congolaise d’origine danoise". Dans la conversation, Mabanckou insiste encore sur le choix de la langue. Si Petersen a choisi d’écrire en français, Mabanckou a également choisi celle, qu’autrefois chez lui au Congo, on définissait comme la langue de l’énervement : cette fameuse langue française. Mabanckou n’hésite jamais à rendre hommage aux écrivains. Et il a raison. Car « être un écrivain, c’est surtout se mettre en danger, ne pas avoir de certitudes » souligne t-il. Professeur de littérature à UCLA aux Etats Unis, il se définit comme écrivain professeur et non comme un professeur qui est devenu écrivain mais chaque jour qui passe, l’écrivain doit se remettre en question. Et chaque jour qui passe, il y a l'angoisse car l'écrivain est un être qui vit une fêlure.

Enfin, s’il ne craint jamais de rendre hommage aux écrivains passés et présents, Mabanckou aime aussi faire l’éloge de ceux qui soutiennent la littérature. Et le cas de Bernard Magnier est un très bon exemple. Editeur chez Actes sud de la collection Lettres africaines depuis quinze ans, il est l’un des premiers à avoir fait découvrir de nombreux écrivains africains. Et Magnier de remercier Mabanckou d’avoir accepté l’invitation alors que ce fameux week end de Pentecôte était aussi le moment d’Etonnants Voyageurs à Saint Malo dont Mabanckou est un habitué.

Santiago Gamboa et le goût de raconter des histoires

Parmi les auteurs, soulignons encore notre découverte de Santiago Gamboa que nous ne connaissions pas jusqu’à présent et dont l’étoffe de l’œuvre est sérieuse. Dans une conversation avec Amal Sewtohul, Paola Pigani animée par Georges Monti, Santiago Gamboa a posé la question des interférences entre le roman, l’histoire et les histoires. Rappelant l’histoire récente de son pays la Colombie, Gamboa souligne que « l’histoire est entrée dans les maisons ». Chez les trois auteurs participant à la discussion, Georges Monti insiste sur leur goût commun de raconter des histoires. Or, n’est-ce pas ce qui manque de plus en plus à une certaine littérature française et qui est peut-être la cause de ce qu’on définit comme sa crise ? En tout cas, à travers les huit œuvres de ces écrivains souffle le vent de l’espoir de littératures à venir et de chemins à emprunter avec un plaisir infini. Le métissage n’a jamais été autant source de lumière qu’aujourd’hui.

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