Du 6 au 8 juin derniers s'est déroulée la 39ème édition du festival Musiques Métisses. Trois jours de concerts, de voyages musicaux mais où il a été aussi beaucoup question de livres et de réflexions sur la littérature. Un festival trans disciplinaire étonnant et très gaï qui montre la valeur des mises en perspectives des arts et des lettres aujourd'hui plus que jamais peut-être.
Car me direz-vous c'est très bien toutes ces musiques mais où Diable se cache la littérature? Si dans le titre du festival, elle n'est pas précisée, il n'en demeure pas moins que sa présence exulte, à travers les oeuvres d'écrivains choisis avec intelligence par Bernard Magnier.
Si Santiago Gamboa est colombien, Valentine Goby est française, Alex Godard né à Marie Galante, Alain Mabanckou congolais, Daniel Maximin guadeloupéen, Esther Mujawayo, rwandaise, Paola Pigani, française d’origine italienne et Amal Sewtohul mauricien. Quelle richesse d’horizons, de cultures, d’histoires. Si certains se sont lus d’autres non. Serait-ce le cas de Santiago Gamboa et Alain Mabanckou qui dans un dialogue animé par Gérard Meudal sont passés de Colombie au Congo sur les bords de Seine et dans les marges du polar ? Oui sans doute. Leurs œuvres dans le dialogue de la rencontre se sont interrogées, regardées bref, rencontrées. Et cette rencontre si elle est le fruit d’un heureux hasard, elle est aussi nourrie par le goût de ces deux écrivains pour la musique. Si cette dernière est un autre langage, elle ouvre des perspectives à la littérature, comme peuvent le faire si bien la peinture ou le cinéma. Musiques métisses est un festival tout à fait singulier parce qu’il a compris à quel point le dialogue des arts pouvait être riche et fructueux.
Dans sa conversation avec Bernard Magnier, Mabanckou avec l’agilité et l’humour qu’on lui connaît a souligné des points essentiels très souvent oubliés. Parmi eux, la place de la lecture : un écrivain est d’abord un lecteur. Et Mabanckou est un grand lecteur. S’il cite avec délectation la fable du Lion et du rat de La Fontaine, c’est encore lui qui soutient parmi bien d’autres l’œuvre de la grande femme écrivain Pia Petersen, "congolaise d’origine danoise". Dans la conversation, Mabanckou insiste encore sur le choix de la langue. Si Petersen a choisi d’écrire en français, Mabanckou a également choisi celle, qu’autrefois chez lui au Congo, on définissait comme la langue de l’énervement : cette fameuse langue française. Mabanckou n’hésite jamais à rendre hommage aux écrivains. Et il a raison. Car « être un écrivain, c’est surtout se mettre en danger, ne pas avoir de certitudes » souligne t-il. Professeur de littérature à UCLA aux Etats Unis, il se définit comme écrivain professeur et non comme un professeur qui est devenu écrivain mais chaque jour qui passe, l’écrivain doit se remettre en question. Et chaque jour qui passe, il y a l'angoisse car l'écrivain est un être qui vit une fêlure.
Enfin, s’il ne craint jamais de rendre hommage aux écrivains passés et présents, Mabanckou aime aussi faire l’éloge de ceux qui soutiennent la littérature. Et le cas de Bernard Magnier est un très bon exemple. Editeur chez Actes sud de la collection Lettres africaines depuis quinze ans, il est l’un des premiers à avoir fait découvrir de nombreux écrivains africains. Et Magnier de remercier Mabanckou d’avoir accepté l’invitation alors que ce fameux week end de Pentecôte était aussi le moment d’Etonnants Voyageurs à Saint Malo dont Mabanckou est un habitué.
Parmi les auteurs, soulignons encore notre découverte de Santiago Gamboa que nous ne connaissions pas jusqu’à présent et dont l’étoffe de l’œuvre est sérieuse. Dans une conversation avec Amal Sewtohul, Paola Pigani animée par Georges Monti, Santiago Gamboa a posé la question des interférences entre le roman, l’histoire et les histoires. Rappelant l’histoire récente de son pays la Colombie, Gamboa souligne que « l’histoire est entrée dans les maisons ». Chez les trois auteurs participant à la discussion, Georges Monti insiste sur leur goût commun de raconter des histoires. Or, n’est-ce pas ce qui manque de plus en plus à une certaine littérature française et qui est peut-être la cause de ce qu’on définit comme sa crise ? En tout cas, à travers les huit œuvres de ces écrivains souffle le vent de l’espoir de littératures à venir et de chemins à emprunter avec un plaisir infini. Le métissage n’a jamais été autant source de lumière qu’aujourd’hui.
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