Réchauffement climatique

«Au Nord du Monde»: une fable prémonitoire de Marcel Theroux ?

Et si les écrivains étaient des visionnaires ? Avec Au Nord du Monde (Zulma), finaliste du National Book Award et lauréat du prix de l’Inaperçu, Marcel Theroux conte une histoire de survie dans le Grand Nord sur fond de ravages dus au réchauffement climatique. Prémonitoire du dôme de chaleur qui sévit actuellement dans le Nord-Ouest des Etats-Unis et du Canada ? Le texte a séduit le Japonais Haruki Murakami, qui a traduit son roman. Agnès Séverin en est encore sous le choc. 

Portrait de Paul Theroux © Madeeha Syed Portrait de Paul Theroux © Madeeha Syed

Une histoire de survie dans le Grand Nord sur fond de ravages dus au réchauffement climatique. Une fable sur la sauvagerie humaine aussi fascinante que terrifiante. Avec Au Nord du Monde, finaliste du National Book Award et lauréat du prix de l’Inaperçu, Marcel Theroux a su séduire le Japonais Haruki Murakami, qui a traduit son roman. Un sacré hommage !

Une fable noire post-catastrophe climatique

La dystopie est à la mode. Il faut dire que l’utopie, en vogue au siècle précédent, a déçu. Marcel Theroux, le fils du célèbre écrivain-voyageur Paul Theroux, livre un roman d’anticipation sombre et inquiétant qui n’a pas laissé Haruki Murakami indifférent. Au point que le romancier Japonais a lui-même traduit l’ouvrage dans sa langue. L’auteur de L’éléphant à ressort signe également la préface de ce roman haletant.

« L’histoire avance implacablement et, quand on arrive au bout, on a un poids sur l’estomac. Par-dessus tout, c’est vraiment originale », lit-on dans la postface. Le personnage principal de cette fable noire est une jeune femme livrée à elle-même dans un village de pionniers du Grand Nord abandonné en pleine. Courageuse et rebelle, un « éclat de solitude » fiché en elle à jamais, cette figure survivaliste suscite un fort degré d’empathie. Le sujet a, certes, un air de déjà-vu mais le rythme de l’action jamais ne se dément dans ce roman efficace.

Une jeune femme audacieuse et sans illusion

Toujours armée et aux aguets, Makepeace traverse sans broncher entre steppes et taïga, aventures entrecoupées de longs séjours dans des camps d’internement et de travaux forcés. Héroïne de dystopie oblige, la jeune femme ne s’est jamais embarrassée d’illusions. « Exactement comme quand je piste du gibier, je ne cours pas après ce que j’espère trouver mais seulement après ce qui est là ». Et sa vision de l’homme ne peut guère s’améliorer au gré des rencontres dans ce genre de terrain hostile. Ses parents, des pionniers chargés d’implanter une ville dans le Grand Nord pour échapper à la dégradation du climat, s’en sont chargés pour elle. À la manière tordue et cynique familière des utopistes bon teint.

« (…) tous croyaient que dans l’espace et le silence figé du Grand Nord, ils rejoueraient la paisible musique de la vie telle qu’elle devait être – austère, rude, façonnée par les saisons et la traversée des épreuves – et renoueraient contact avec leurs semblables (…) Nous faisions pousser des tomates dans l’Arctique et parlions d’y planter des orangers ».

Un roman qui tire son inspiration de Tchernobyl

Car les luttes de pouvoir et la face sombre de l’humanité ressurgissent aux premières difficultés. La philosophie de Makepeace s’est donc forgée à la rude. Tuer ou être tuée. La cruauté son quotidien.

« Peu à peu, avec le temps, il devenait clair que les colons avaient moins de choses en commun qu’ils le croyaient. (…) Et on a beau essayer de prendre un nouveau départ, très vite les gens retombent dans leurs vieux réflexes. Pour beaucoup, la vie est une affaire d’habitude. On peut mettre tout le monde à égalité sur la ligne de départ, ça n’empêchera pas certains d’avoir plus de choses à l’arrivée et de chercher à les protéger, ni d’autres d’en avoir moins et de crier au scandale ».

Le regard du documentariste Marcel Theroux s’est décillé, et définitivement noirci, dans la zone d’exclusion de Tchernobyl. Progrès ? Vous avez dit progrès ? Ni la politique, ni la technologie n’ont tenu leurs promesses à l’ère Poutine et ante-Biden. L’espoir n’est pas de mise dans ce monde post apocalyptique.

Humanité, point final 

La figure de Makepeace s’inspire d’une vieille femme qui a décidé, contre les autorités, de vivre dans la zone dévastée par la catastrophe nucléaire. Le romancier l’a rencontrée lors d’un reportage. Selon Haruki Murakami, l’auteur d’Au Nord du monde a admiré « l’audace et l’indépendance de sa nature, le pragmatisme de sa démarche et son absence totale d’auto-apitoiement ».

Plus radicalement, Galina représente à ses yeux un symbole du « point final de l’existence humaine sur cette planète ». Incarnation qu’elle est d’une « vie sauvage revigorée par l’absence humaine, une femme sans descendance, ayant passé l’âge de procréer, cultivant son potager sur une terre contaminée ».

Une trace d’espoir dans un monde glacial ?

La nostalgie et les réflexions de Makepeace sur la sagesse perdue des cultures ancestrales laisse une trace d’espoir dans la neige, la glace et le vent. Exemple : « (…) le temps rétablit l’équilibre des choses, la simplicité perdure et l’excentrique, avec sa modernité, reste en rade. Le meilleur moyen de savoir quelle sera la durée de vie d’une chose est de se demander depuis combien de temps elle existe ».

« (…) l’excentrique, avec sa modernité, reste en rade »

C’est toute la force de cette fable finalement que de pousser le paradoxe de la hideur à l’extrême. Pour faire rêver à une autre manière de vivre ? Provocateur, méditatif, Marcel Theroux cet utopiste qui s’ignore ?

>Au Nord du monde, de Marcel Théroux. Zulma, 397 pages, 20 euros.

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