Suivons l'itinéraire remarquable d'une aventurière qui est un des plus grands passeurs de la sagesse orientale. Alexandra David Néel incarne à la fois l'image d'une aventurière qui ne recule devant rien et l'esprit d'une chercheuse dont l'oeuvre souhaite avant tout traduire l'âme de tout un versant du monde.
Décrite souvent comme cette petite fille sauvage peu aimée par ses parents, ayant soif de liberté et se dépouillant des contraintes liées à sa condition sociale, Alexandra David Néel, est dès l'enfance le fruit d'influences déterminantes en matière littéraire. Un des grands amis de son père, Victor Hugo venait souvent leur rendre visite. Passionnée par les récits de Jules Verne, elle pense très vite à voyager.
Née à Saint Mandé en 1868, elle meurt encore en France près de 101 ans plus tard dans les Alpes de Haute Provence. Entre ces deux dates , elle a exploré l'Orient et permis de nourrir les études sur toute une partie du monde encore bien inconnue.
Animée d'une grande vivacité, elle suit jeune des études musicales et lyriques obtenant, un certain succès sur la scène de différents théâtres. Elle entreprend des études en auditeur libre à la Sorbonne, aux Langues Orientales et au Collège de France. Rapidement, elle fréquente diverses sociétés secrètes dont la franc- maçonnerie.
Très tôt, Alexandra David Néel est attirée par le voyage. Sa première fugue remonte alors qu'elle a tout juste cinq ans Ellle s'aventure près de chez elle à Saint Mandé dans le Bois de Vincennes. Puis, ce sera la Suisse et plus tard l'Espagne avant d'aller se confronter à l'Orient. A 17 ans, elle accomplit donc son premier vrai voyage. "Par un matin brumeux, en robe à frou-frou et bottines délicates, elle quitte Bruxelles, prenant un train en direction de la Suisse". Ce goût pour l'étranger et l'inconnu émane de tous ses écrits. Elle décrit avec émerveillement ses nuits passées dans la jungle quand tant d'autres auraient été effrayés de tant de bruits étranges. "J'adore les nuits passées, parmi la jungle, sous la tente. Mieux que dans le plus rustique des logis, on s'y sent plongé dans la nature , un avec les choses environnantes. Quel délice d'être seul blotti dans une couchette étroite touchant au mur de toile qui frissonne sous le vent, écoutant les cris des oiseaux nocturnes, le frôlement d'êtres invisibles, tout proches; une nuit un serpent avait rampé lentement dans l'herbe sèche près des pieds de mon lit de camp, puis s'était éloigné".
Grâce à l'héritage de sa marraine qu'elle vient tout juste de toucher, Alexandra David Néel part en 1890 pendant plus d'une année, découvrir l'Inde. Fascinée par la magie du pays, elle est envoûtée par la musique et totalement séduite par les sommets de l'Himalaya. Elle consacre une très grande partie de sa vie à l'étude de la philosophie bouddhiste et durant ce premier voyage pose les bases de sa réflexion. Elle livrera deux textes: "Le Boudhisme du Bouddha" et "Les Enseignements Secrets des Bouddhistes Tibétains". A travers ses différents écrits l'aventurière a toujours cherché à renseigner les lecteurs sur les particularités essentielles des théories bouddhiques et des méthodes de culture mentale qui en découlent.
Pour son voyage en Inde, l'exploratrice est chargée de mission par le Ministère de l'Instruction Publique. Elle cherche à approfondir sa connaissance de l'hindouïsme et du sanskrit. Dès ce premier grand voyage, elle marque son style: le voyage érudit. Elle apprend les idiomes rencontre des sages et des chercheurs et commence la méditation. En tant que femme, elle doit d'autant plus s'affirmer et être précise par rapport à ses sources. Afin d'assister aux cérémonies interdites, elle n'hésite pas à changer d'aspect en se travestissant. Afin d'approcher et de révéler les principes du bouddhisme tibétain, elle escalade les Himalayas. Elle fait le récit de ces aventures à travers ses textes recueillis dans "Au coeur des Himalayas". Elle se plaît à décrire les Orientaux comme des êtres aimant discourir et discuter et souligne encore dans "Au coeur des Himalayas" : "Les sujets religieux et philosophiques qui, chez nous, n'intéressent qu'une fraction infime de la population, passionnent un grand nombre d'entre eux."
Pour raconter chacun de ses périples, elle nourrit ses textes de descriptions précises utiles pour le chercheur et reflétant aussi un regard sensible par rapport aux êtres, aux choses et à elle même. Les souvenirs se mêlent aux sensations et à aucun moment le texte n'est âpre ou impersonnel. L'aventurière livre totalement dans ses récits son goût pour l'aventure. Arrivée au Népal, elle note: "Le pays paraît plein de choses intéressantes et neuves à connaître pour l'Occident. Je vais être admise à voir ce que les Européens ne voient pas, à aller où ils ne vont pas (...) Si j'étais un personnage d'une pièce de Maeterlinck je dirais "il va m'arriver quelque chose." Dans "l'Inde où j'ai vécu", elle souligne que "l'aventure est l'unique raison d'être de ma vie". Ses textes tour à tour désinvoltes, spontanés ou bien plus réfléchis ont toujours le souci du ton, consciente de vivre des instants inouïs. Dans ses livres, elle souhaite avant tout faire "passer la vie" qui anime les pays visités, les peuples rencontrés. Elle note: "Il y a plus encore, il y a que j'ai dépassé les barrières que le dilletantisme élève entre les philosophies hindoues et l'Européen qui les étudie. Je n'ai pas cherché une récréation grammaticale mais de la vie, je l'ai trouvée et je croirais être une piètre personnalité si je ne la faisais pas passer dans les livres que j'écris. Ces livres ne passeront pas inaperçus".
Le
fidèle compagnon de ses voyages est le jeune Aphur Yongden, qu'elle
rencontre en 1914 dans un monastère bouddhiste alors qu'il n'a tout
juste que 15 ans. Il devient son fils adoptif et la suit dans tous ses
périples. La particularité de cette femme écrivain exploratrice est
d'avoir vécu plusieurs années auprès des communautés des pays qu'elle
découvre. L'Inde, la Corée, le Japon, puis la Chine. Avec Aphur Yongden,
Ils forment un duo assez étonnant surtout, lorsqu'ils choisissent de
traverser la Chine d'Est en Ouest en compagnie du fameux lama tibétain.
Ils traversent ainsi les déserts de Gobi, la Mongolie puis une halte de
trois ans dans la monastère de Kumbum au Tibet où elle traduit le texte
Prâjnâparamitâ.
Des livres mais aussi quantité de lettres nourrissent l'oeuvre de la grande voyageuse qui très rapidement se love dans l'Asie comme dans un coquillage qu'elle aurait toujours connue. Lorsqu'elle arrive à Bénarès en 1913, elle emménage à la Société Théosophique. Pendant neuf mois, l'aventurière se mêle aux mystiques et aux hommes vêtus de robe jaune qui errent avec le vent et possèdent les pouvoirs des Dieux. Après ces mois passés, elle ne sera jamais plus la même, ayant suivi un scrupuleux emploi du temps. Se levant avec le soleil, elle contemple et médite. Elle s'applique à réaliser un idéal "d'ascétisme". Elle aime l'Asie et l'Asie aime cette femme qui voue toute une partie de sa vie à l'étude et à la traduction de textes sacrés. Elle dit s'être lancée peut être trop peu armée dans une carrière d'orientaliste mais aimer tant ces civilisations qu'elle souhaite partager à travers ses livres ses découvertes et les enseignements qu'elle a reçus. En ceci on comprend qu'elle soit l'auteur du "Bouddhisme du Bouddha"qu'elle définit "comme le produit d'une collaboration poursuivie pendant un très grand nombre d'années, avec mon très regretté fils adoptif le lama Yongden,(...) dont l'assistance m'a été infiniment précieuse pour recueillir, sur place, les documents concernant le Bouddhisme tibétain". Tendre à supprimer la souffrance, élever les êtres pour aspirer à la recherche du bonheur, tels sont les grands principes qu'elle développe, inscrivant son texte comme le reflet de sa propre méditation sur ces peuples qui "ont créé un monde mental qui les enchante", parmi les solitudes majestueuses. Elle utilise l'écriture autant comme un témoignage qu'un moyen de laisser aller son imaginaire et faire rêver les impressions recueillies. Les mots permettent alors de redécouvrir les images dont elle s'est nourrie et revivre l'aventure. L'exercice littéraire se rapproche alors de cet état de "samadhi" que l'exploratrice arrive à atteindre. Fermer les yeux sur l'extérieur et les ouvrir à l'intérieur pour donner sens et force à ses récits.
En 1899, l'aventurière écrit un traité anarchiste préfacé par le géographe Elisée Reclus. Elle rencontre ce dernier, militant et penseur de l'anarchisme français,à Bruxelles, alors qu'elle vient d'avoir dix huit ans. Si ce dernier a 56 ans, une amitié indéfectible se tisse pourtant entre eux. Il jouera un rôle important pour elle en l'influençant sur différents sujets politiques mais en lui donnant aussi des clés importantes pour appréhender la géographie. Ils échangent de nombreuses lettres, particulièrement pendant le voyage d'Alexandra à Hanoï. Libre penseur, Elisée Reclus a certainement appuyé l'exploratrice dans sa soif d'indépendance et l'a menée à s'intéresser aux idées féministes. Pendant un temps, Alexandra David Néel est collaboratrice du journal féministe "La Fronde". Ceci ne l'empêche en aucun cas de se marier en 1904 avec Philippe Néel qui, malgré la séparation en 1911, restera son plus fidèle ami. Leur correspondance est absolument passionnante. Son aide financière pour les différents périples d'Alexandra fut loin d'être négligeable.
En Août 1911, elle part à nouveau mais cette fois ci pour un grand voyage en Inde. Elle promet à son époux de le retrouver au bout de dix huit mois. Elle n'en fera rien. Ce n'est qu'en Mai 1925, quatorze ans plus tard qu'elle fait un retour temporaire. Afin de motiver son voyage, elle écrit encore à son mari ceci: " … Il y a une place très honorable à prendre dans l'orientalisme français, une place plus en vue et plus intéressante que celles de nos spécialistes… Vois l'immense succès de Bergson, excuse ma témérité, mais je crois avoir beaucoup plus à dire que lui. Pour cela il faut de l'énergie, du travail, une documentation qui ne laisse pas prise à la critique. Il faut que, lorsque je serai critiquée par les savants de cabinet, le public puisse penser : oui, ces gens-là sont d'éminents érudits, mais elle a vécu parmi les choses dont elle parle, elle les a touchées et vues vivre... ".
Assoiffée de découvertes, elle ne tient pas en place .Le 12 Mars 1917, elle écrit ceci à son mari:
"A vrai dire, j'ai le "mal du pays" pour un pays qui n'est pas le mien. Les steppes, les solitudes, les neiges éternelles et le grand ciel clair de "là-haut" me hantent ! Les heures difficiles, la faim, le froid, le vent qui me tailladait la figure, me laissait les lèvres tuméfiées, énormes, sanglantes. Les camps dans la neige, dormant dans la boue glacée, tout cela importait peu, ces misères passaient vite et l'on restait perpétuellement immergé dans le silence où seul le vent chantait, dans les solitudes presque vides même de vie végétale, les chaos de roches fantastiques, les pics vertigineux et les horizons de lumière aveuglante. Pays qui semble appartenir à un autre monde, pays de titans ou de dieux ? Je reste ensorcelée.J'ai été voir là-haut, près des glaciers himalayens, des paysages que peu d'yeux humains ont contemplés, c'était dangereux peut-être et comme dans les fables antiques, les déités se vengent. Mais de quoi se vengent-elles ? de mon audace d'avoir troublé leurs demeures ou de mon abandon après avoir conquis une place auprès d'eux ? Je n'en sais rien, pour le moment je ne sais que ma nostalgie."
Non pas la solitude mais les solitudes qui renvoient aux principes de la méditation. S' ils souhaitent faire le récit le plus précis possible, les textes ouvrent également les champs de la spiritualité. Jamais point de suffisance. Seule la possibilité donnée au lecteur d'aller plus loin.
Le voyage au Tibet est un voyage au centre innatteignable. En 1924, elle réalise l'exploit d'entrer dans Lhassa, cité interdite qu'elle est la première Européenne à avoir pénétrée. Dans "Voyage d'une Parisienne à Lhassa", Alexandra David Néel raconte sa vie rude et dangereuse sous l'apparence d'un moine et d'une mendiante tibétaine. A ce récit se greffe toute une réflexion sur le principe de la quête spirituelle et sa fascination sur la civilisation qu'elle découvre
Pour atteindre Lhassa et rencontrer le 13ème Dalaï Lama, elle usera de tous les moyens incluant celui de changer d'apparence, en se déguisant. Sa feinte fonctionnera jusqu'au jour où on remarquera qu'elle a l'habitude de se laver chaque matin. Néanmoins, le gouverneur de Lhassa mis au courant lui permet de continuer son périple. Femme d'un incomparable sang-froid, elle note dans "Au Coeur des Himalayas": "Le sang-froid est la meilleure sauvegarde en toutes occasions et, heureusement pour moi, les bonnes fées m'en ont abondamment douée."
En 1928, de retour en France depuis quelques années, l'aventurière achète une maison à Digne-les Bains qu'elle transforme peu à peu en "forteresse de la méditation".Cette maison est aujourd'hui un musée où l'on peut découvrir l'intimité d'une femme d'exception qui a aimé plus que tout le voyage. Là, elle écrit ses livres et prépare ses conférences. Elle finit ses jours en France tout en demandant à 101 ans qu'on lui renouvelle son passeport! Jusqu'au bout, elle sera portée par la curiosité, moteur de son existence. Son oeuvre, très personnelle se lit aussi bien comme un récit, le constat de données apparentes qu'un exercice de recherche spirituelle.
Alexandra David-Néel, Le Boudhisme du Bouddha, Pocket
Alexandra David-Néel, Au coeur des Himalayas, Payot
Alexandra David-Néel, L'Inde où j'ai vécu, Pocket.
Alexandra David-Néel, Journal (Tomes 1 et 2)
Alexandra David-Néel, Le lama aux cinq sagesses, Pocket.
Alexandra David-Néel, Mystiques et Magiciens du Tibet, Pocket.
Alexandra David-Néel, Voyage d'une Parisienne à Lhassa, Pocket
Jacques Brosse, Alexandra David Néel, Albin Michel.
Jean Chalon, Le lumineux destin d'Alexandra David Néel, Perrin.
Conférer le site www.alexandra-david-neel.org.
A voir:
Musée Alexandra David Néel, Digne Les Bains
27; Avenue Maréchal Juin
04000 Digne Les Bains
http://www.alexandra-david-neel.org/index_stat.htm
Ouvert toute l'année et tous les jours.
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