Paris dans tous ses siècles

« Paris dans tous ses siècles » de Charles Dantzig, Grasset

Les lampadaires en cou de dinosaure semblaient inspecter les voitures allant de front sur l’autoroute par deux, puis par quatre, puis par huit, vers
PARIS
annoncé par de vastes panneaux noirs à lettres orange, avec le nombre de minutes restant avant d’y accéder. Paris ! Paris ! ricanaient les mouettes au-dessus des fonceurs peu à peu ralentis. L’une, d’un œil topaze, visa l’entrée de la ville, au-delà du fossé du boulevard périphérique et, les ailes en triangle, plongea. Encore une fois elle trouva que, par quelque côté que l’on y pénètre, l’arrivée dans cette capitale était mesquine et décevante, mais enfin bah, et loopings aaah ! aaah ! aaah ! aaahaaahaaah ! La banalité servirait-elle à rebuter les entrants ? Ou à ménager leur cœur, au contraire, eux qui un kilomètre plus loin découvriront la plus harmonieuse architecture de la terre ? La mouette frôla des écritures peintes sur les parois des tunnels, en couleurs comme pour contredire le béton qu’elles tapissaient mais aussi grosses que leurs piliers, penchées en avant à la façon des voitures rapides ou tirées en arrière comme les cheveux sous le vent de cette passagère de moto,
ALFE COKUR TAPALOY XARE REPS ! SEMORSHEAT STEPO MOK ZEKIR TAAH ! BRE ? QEZEN NOKOZ,
ignora son reflet dans les parois en verre des sièges sociaux d’entreprise côté banlieue, puis d’un coup, sans un panneau qui ait annoncé l’entrée dans
Torre Eiffel… torre Eiffel… por aca. Pop pop pop pop POP ! Vas-y, vert, vert. Vert ok. Can you tell me next métro ?
PARIS,
coupa le boulevard périphérique. Travaux, travaux, travaux, avenue, Idéal Hôtel, Mangue rouge Thaï bar, Franprix, boulanger-pâtissier, BCO Bazar, MF Chicken, Bel Chou’s chaussures homme, Bio C Kool, CIC, Hairfix, Nicolas, Darty, Duvernois, Celio, pharmacie, Crédit agricole, pharmacie, Cabinet JP Immobilier, boulangerie-pâtisserie, pharmacie, quelques immeubles d’habitation en pierre, de plus en plus amples quoique minces si on comparait à Londres, bas si on comparait à Manhattan et denses si on comparait à Berlin, l’élégance en France est basse, voyez Versaaahaaahaaailles, dit une mouette qui en arrivait, ajoutant : « Ultra chicos ultraaah ! aaah ! aaah ! aaahaaahaaah ! – Ou plutôt quel orgueil, n’est-ce paaah ! aaah ! aaah ! aaahaaahaaah ! », répondit la première prête à se poser sur la tour Eiffel. Tête baissée, épaules levées, ailes claquant, elle jetait son cri au-dessus des touristes aux jambes nues. Que mes ailes soient des hachoirs ! Comme elle ralentissait, elle perçut un tic-tac d’horloge. Il émanait d’un trottoir, régulier, vif, comment dire ? pimpant. Un chien ! Le petit œil jaune robotique parut pris d’inquiétude et, boomerang, elle reprit de l’altitude en direction de la banlieue à côté de sa sœur versaillaise, « je te prierais de ne pas ranger Versailles dans la banlieuaaah ! aaah ! aaah ! aaahaaahaaah ! » Le duo circonflexe s’éloigna, laissant Paris à Guillaume. Et il parlait, ce ravissant teckel à poils ras, tout en trottinant joyeux de vivre à Paris et sans laisse, et il parlait ! »

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