HISTRION

Début du roman de Christelle Rousseau " HISTRION "

 

Christelle ROUSSEAU

 

 

 

 

HISTRION

 

 

 

 

 

Éditions Il Est Midi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Je ne me sens coupable de rien. Je me sens mal pour ceux qui se sentent coupables. »

 

Ted Bundy

 

PROLOGUE

 

Ici, le vent soufflait régulièrement. En fait, pour les gens de la région, cela faisait partie de leur vie quotidienne. Le tout était de savoir de quel côté il venait. Soit, il provenait de la mer, le fameux « marin » ou l’Autan. C’était le vent qui rendait fou, celui qui fatiguait, qui électrisait, irritait. Il provoquait chez les personnes sensibles, des céphalées et des crises d’angoisse. Ou alors, il arrivait de l’ouest. C’était le Cers, plus frais, plus agréable, plus sec.

Les maisons en pierres se serraient les unes contre les autres. Parfois, les façades étaient décrépies. D’autres au contraire, arboraient des couleurs typiques du sud, du bleu, du rose pastel, mais pour être honnête, dans la plupart des cas, elles étaient vieilles et abîmées. Quelques-unes étaient même abandonnées, oubliées, devenues le repaire des pigeons, des chats errants voire des rats.

Carcassonne avait une histoire ancienne que la cité médiévale posée sur les hauteurs rappelait chaque jour. Comme dans la plupart des villes du Sud, les habitants vivaient de façon dolente, au gré du temps, du soleil et de l’été, la seule période où la Bastide, aussi nommée la ville basse, semblait reprendre vie. Parfois, on pouvait croire qu’il n’existait que deux saisons, l’hiver et la saison touristique.

Aujourd’hui, Carcassonne était une localité à moitié endormie, aux prises avec une vague de froid sans pareil, qui d’après les prévisions paraissait s’être installée pour un bon moment. De mémoire d’anciens, c’était du jamais vu.

 

 

*

 

Lui, personne ne le savait, mais cette ville était son royaume. Il se considérait comme un être parfait. Aucun des tueurs dont les noms avaient fait la une de la presse française ou étrangère ne lui arrivait à cheville. Pour l’instant, nul n’était au courant de ses projets, mais bientôt, il passerait à la vitesse supérieure. Il ne camouflerait plus ses meurtres en accidents, il s’était assez entraîné. À partir de maintenant, la ville allait entendre parler de lui.

 

 

1.

 

Carine soupira avec une sorte de soulagement lorsque les lumières éclairèrent progressivement la salle. Enfin, le calvaire se terminait. Jamais elle n’avait trouvé un film aussi long, ennuyeux et surtout insipide. Pourtant, elle y était allée confiante. L’adaptation de l’un des maîtres de l’horreur aurait dû être quelque chose d’incroyable, surtout avec les effets spéciaux d’aujourd’hui, mais pour le coup, c’était loupé.

Elle avait décroché de l’histoire plusieurs fois et s’était même surprise à somnoler par intermittence. Ça lui apprendra. Les critiques à la sortie du film ne l’avaient pas épargné, bien au contraire, crachant de plus sur le jeu peu crédible des acteurs et la relecture que la réalisatrice avait faite du livre. Mais la jeune femme voulait se faire sa propre opinion et pour être honnête, elle aurait préféré se casser une jambe.

En jetant un coup d’œil autour d’elle, elle constata que la salle était quasiment vide. Réprimant un bâillement, Carine s’aperçut que les rares spectateurs se trouvaient dans un état identique au sien. Une chose était maintenant certaine, elle tiendrait compte des avis qu’elle lisait dans la presse. Après s’être levée tranquillement, elle enfila son manteau puis fit quelques mouvements circulaires de la nuque, afin de l’assouplir un peu.

 

La salle de projection était surchauffée ; au moment où Carine se retrouva à l’extérieur, le froid la saisit et la fit frissonner. Décidément, on parlait de réchauffement clima­tique, mais pour le moment cela ressemblait plus à une nouvelle ère polaire. Elle était la dernière à quitter l’endroit comme souvent d’ailleurs. Elle se faisait en général très discrète et avait horreur d’attirer l’attention sur elle. Célibataire, sans enfant, elle s’obligeait à sortir, à avoir un minimum de vie sociale, mais honnêtement, cela lui coûtait énormément. À chaque fois, elle avait l’impression que tout le monde savait que la solitude était sa meilleure amie. De toute manière, elle ne se sentait pas attrayante et restait persuadée qu’elle ne plaisait à personne. Elle ne ressemblait pas aux filles que l’on voyait à la télé ou sur les réseaux sociaux. Tous les gars fantasmaient sur elles, leur laissaient des compliments en commentaire sous leurs photos si parfaites. Plutôt bien en chair, Carine s’était peu à peu convaincue qu’elle finirait seule. Elle avait arrêté d’essayer. Elle ne croyait plus en l’amour.

En traînant des pieds, la jeune femme rejoignit sa voiture. À quelques mètres, elle actionna l’ouverture à distance puis s’engouffra à l’intérieur du véhicule. Carine ne démarra pas tout de suite. Elle regarda avec une certaine envie les couples ou les familles qui circulaient sur le parking de la zone commerciale. Elle aperçut l’enseigne du fast-food se trouvant à côté du cinéma. Ce n’était pas forcément l’heure de dîner, mais qui lui en ferait la remarque ? Personne. Après tout, ces endroits proposaient un service continu, alors pourquoi s’en priver ?

Elle ressortit de la voiture et se dirigea vers l’entrée du restaurant, la tête baissée. La jeune femme appréciait le fait que maintenant, les commandes se passaient via une borne, ça lui évitait d’apercevoir le regard du caissier sur sa silhouette pendant qu’elle énonçait ce qu’elle désirait. Les données enregistrées, elle s’installa dans un coin de la salle et se mit à compulser sa page Facebook. Comme d’habitude, personne n’avait réagi à ses publications ou les photos qu’elle partageait, alors elle changea pour Instagram. Elle se focalisa sur les potins de la télé-réalité. Un jeune homme portant un tee-shirt aux couleurs de l’enseigne lui apporta son plateau chargé d’une boisson grand format, de plusieurs sandwichs et de deux desserts. C’était sa façon à elle de se réconforter quand son moral se trouvait au plus bas. Elle murmura un « merci » tout juste perceptible sans lever les yeux. À quoi bon ? Elle risquait de voir une expression sur le visage du gamin qui la blesserait sans aucun doute. Et pour le coup, ce n’était vraiment pas la journée. Le regard toujours rivé sur l’écran, elle déballa machinalement son premier sandwich d’une main, pendant que de l’autre, elle faisait défiler les photos. De temps en temps, elle s’arrêtait pour lire les commentaires, en laisser un, sachant qu’il ne serait sans doute pas remarqué. Elle avala son repas tranquille­ment sans vraiment y prêter attention.

 

Sur le chemin du retour, la nuit était tombée. Il était 18 h 30 et pourtant elle se serait crue en pleine nuit. Le froid s’était accentué. Sur la route, les voitures étaient plutôt rares. Le mauvais temps avait apparemment dissuadé les gens de sortir. Quelques enseignes brillaient encore. Carine se dit que peut-être, elle irait faire les magasins puis se ravisa. Elle pourrait porter un sac de patates que personne ne ferait la différence. Elle arriva enfin dans la Bastide, tourna quelques minutes dans les rues étroites afin de trouver une place et se dépêcha de rentrer chez elle. Elle louait un appartement qui occupait tout le premier étage d’un petit immeuble qui en comptait trois. Elle y pénétra non sans un certain soulagement. La jeune femme actionna l’interrupteur et la lumière se fit aussitôt. Carine se sentait bien dans son logement. C’était comme un cocon joliment aménagé. Après tout, la décoration d’intérieur était son métier. Des aquarelles originales habillaient les murs. Les couleurs chaudes et terreuses étaient révélatrices d’un style campagnard tout en restant chic, à la française. Les meubles simples, mais de bonne qualité agençaient agréablement les pièces, s’inspiraient des anciennes fermes françaises. La table, les chaises, les commodes étaient fabriquées en bois massif tout en demeurant élégants. Les tons des peintures murales mélangeaient harmonieusement le rouge, le jaune, l’or ainsi que des matériaux naturels comme la pierre et la brique. Ces matières constituaient d’ailleurs en majorité le bar qui trônait dans un coin du salon.

La première chose que l’on remarquait en entrant dans la pièce était l’immense vaisselier. Derrière les vitres, Carine avait joliment disposé les éléments d’un service en porcelaine déniché dans un vide grenier pour un prix dérisoire. Lorsque les visiteurs pénétraient pour la première fois chez la jeune femme, ils ressentaient immédiatement un sentiment de bien-être, l’impression d’être dans un cocon sophistiqué, mais confortable.

Après s’être débarrassée de ses chaussures et de son manteau, elle se dirigea vers la cuisine. Elle avait envie d’un chocolat chaud et de biscuits. Elle apporta ensuite le plateau dans le salon et alluma la télé. Elle n’avait pas sommeil et elle ne travaillait pas le lendemain.

 

Prise par l’histoire de la comédie romantique qu’elle regardait, elle sursauta au moment où l’on frappa à la porte. Elle jeta un coup d’œil à la pendule accrochée au mur. 23 h 30. Qui pouvait bien la déranger à une heure pareille ? Tout en bougonnant, la jeune femme se leva et alla ouvrir après avoir pris soin de mettre la chaîne de sécurité. Dans l’entrebâillement, elle découvrit alors un homme, les cheveux parsemés de neige. Elle le reconnut immédiate­ment. Elle le croisait souvent dans le centre-ville, au Monoprix par exemple. La première fois qu’elle l’avait vu, elle avait succombé sur-le-champ à son charme. Mais elle n’avait jamais rien espéré. Il ne l’avait sans doute jamais remarquée. Surprise, elle resta quelques secondes sans rien dire, un peu hébétée par l’apparition. Elle respira un grand coup afin de tenter de calmer son cœur qui battait la chamade. Elle sentait le rouge lui monter aux joues. Encore une fois, elle se ridiculisait.

— Oui ? Bonsoir.

Sur le seuil, l’homme arborait un sourire digne d’une pub pour une marque de dentifrice.

— Bonsoir. Je suis désolé de vous importuner, mais je suis dans une drôle de situation.

Il entreprit de lui raconter qu’il était sorti de chez lui, persuadé d’avoir entendu du bruit dans l’escalier de son immeuble. Il avait à peine descendu quelques marches afin de vérifier, que la porte de son appartement avait claqué et que bien sûr, ses clés et son portable étaient restés à l’intérieur.

— Je ne devrais pas vous dire cela, mais je vous ai vu plusieurs fois entrer dans cet immeuble et j’ai supposé que vous habitiez ici. J’ai donc tenté ma chance lorsque j’ai aperçu de la lumière aux fenêtres.

Carine sourit. Il l’avait remarquée ! Et surtout, il s’était souvenu d’elle ! La jeune femme jeta un rapide coup d’œil à sa tenue. Comme d’habitude, elle était négligée, mais bon, c’était trop tard.

— Attendez une minute, je vous ouvre.

Elle referma la porte histoire d’ôter la chaîne de sécurité et laissa l’homme entrer afin qu’il appelât le service de dépannage de son assurance.

— Heureusement que j’ai toutes les cartes dans mon portefeuille et qu’il ne me quitte jamais.

Elle lui désigna le téléphone dans la cuisine afin qu’il soit tranquille. Il réapparut quelques minutes plus tard.

— C’est bon, ils vont m’envoyer quelqu’un. Je vous remercie pour le coup de fil.

— Vous habitez loin ?

— Non. Je suis votre voisin d’immeuble.

Carine fut surprise.

— Oh ! Réellement ? Dans ce cas, attendez ici, ça vous évitera de rester dans le froid. Je vais préparer du café. Ça vous tente ?

— Oui, avec plaisir.

Il s’assit lourdement sur le canapé et s’intéressa sur ce qu’il passait à l’écran. Une série basée sur la police scientifique de Las Vegas venait de débuter.

— Sympa le programme ! Lança-t-il à l’adresse de Carine.

— Vous connaissez ? Demanda-t-elle en apportant deux tasses fumantes.

— Oui. J’avoue que je suis accro. J’ai même toutes les saisons. On pourrait se faire un marathon « Les Experts » un week-end.

— Ça pourrait se faire.

Intérieurement, elle sautait de joie, mais elle garda un visage neutre. La jeune femme ne voulait pas passer pour la fille en manque de tendresse. Ça faisait vraiment pitié.

— Il est chouette votre appartement.

Il parcourait la pièce du regard.

— Merci. En fait, je suis décoratrice. Je me sens bien dans cet endroit.

Il posa la tasse sur la table basse. L’individu paraissait gêné et ne pas avoir beaucoup de conversation. Carine devina alors que sa proposition de week-end était juste une forme de politesse. Il était évident qu’il se forçait à discuter. À l’extérieur, le froid semblait s’être renforcé. La neige s’accumulait sur le rebord de la fenêtre et formait un amas glacé.

— Ils vous ont dit dans combien de temps le serrurier devait arriver ? Questionna-t-elle afin de briser le silence.

— Environ une heure. Vous savez, à cette heure-ci on ne peut pas espérer un miracle non plus. Mais au fait, vous vivez seule ?

La demande semblait incongrue, mais elle expliqua ce sentiment de façon logique. Elle ne s’y attendait absolu­ment pas.

Carine eut un nouveau sursaut d’optimisme. S’il lui posait cette question, c’était que tout compte fait, il s’intéressait peut-être vraiment à elle. S’il voulait avoir une conversation banale, il lui aurait parlé de la météo ou d’un sujet quelconque. Pourtant, elle s’entendit répondre :

— Non. J’habite avec ma meilleure amie.

L’homme esquissa un sourire charmeur, irrésistible. Il se leva, fit le tour du salon en admirant les objets agencés sur les meubles. Carine ne percevait aucun bruit provenant de l’extérieur. L’horloge lui indiquait qu’à peine vingt minutes étaient passées. Le serrurier se faisait désirer.

L’individu pivota vers la jeune femme.

— Vous mentez, Carine. Déclara-t-il le plus sérieu­sement du monde.

— Pourquoi dites-vous cela ? De quel droit ?

Elle voulut se lever, mais curieusement, ses jambes refusaient d’obéir.

— Vous mentez, c’est tout. Je sais beaucoup de choses sur vous. Mais je dois faire mon mea culpa. J’ai éga­lement menti.

Sur ces mots, il sortit de la poche intérieure de son blouson un trousseau de clés ainsi que son portable.

— Je ne me suis pas enfermé dehors. Je me doutais, que naïve comme tu es, tu allais tout gober.

— Pourquoi ? Murmura-t-elle, consciente des sanglots commençant à poindre dans sa voix.

L’homme esquissa un sourire froid, savourant la détresse naissante de Carine.

— Parce que, ma chère, la confiance est une arme puissante. Les gens sont si prévisibles lorsqu’ils se croient en sécurité. Et toi, il est évident que tu es bien trop facile à manipuler.

Carine tenta de masquer sa terreur derrière une façade de détermination.

— Qui es-tu réellement ? Pourquoi fais-tu ça ?

L’homme rit, un ricanement dénué de toute empathie. Il s’approcha lentement, les clés et le portable toujours à la main.

— Oh, Carine, tu n’as même pas idée. Mon vrai visage t’affolerait bien plus que celui que tu as cru voir jusqu’à maintenant.

Les mains de Carine tremblaient alors qu’elle se demandait comment elle avait pu être si aveugle. Son esprit s’embrouillait entre la peur et la confusion. Elle cherchait désespérément une issue, mais les pièces du puzzle ne sem­blaient pas s’emboîter.

— Tu ne survivras pas à ça. Souffla-t-il, s’approchant davantage.

— Mais pourquoi ? Répéta-t-elle.

Elle était prisonnière de sa propre crédulité, confrontée à un homme dont les intentions meurtrières étaient désormais évidentes.

Il ne répondit pas. Il baissa les yeux vers elle et s’assit juste à côté d’elle.

— Sérieusement ? Je t’ai vu dans la rue, me fixer avec ton regard de merlan frit. Tes tentatives minables pour que je te remarque m’ont bien fait rire. Mais ma pauvre fille, qu’est-ce que tu croyais ? Que j’allais tomber sous ton charme ? Tu ne ressembles à rien. Tu ne brilles pas par ton intelligence, faut bien le dire. Je me doute que tu te demandes comment je peux être au courant. Tout simplement parce que cela fait un moment que je t’observe.

 

Carine se décomposa sur place. C’était tellement vrai. Elle le savait, mais l’entendre d’une tierce personne, c’était encore plus douloureux, surtout lorsqu’on avait le béguin pour l’homme en question. Elle n’arrivait pas à réagir. Elle resta plantée sur son coin de canapé, la bouche ouverte. Il se leva et se posta juste devant le couloir menant à l’entrée. Carine se sentait perdue, presque trahie. Peut-être que si elle insistait, il partirait. Mais elle n’eut pas le temps de connaître la réponse. Il l’attrapa violemment par les cheveux. Elle s’efforça de se dégager, mais une grosse mèche s’arracha de sa tête. Carine lâcha un cri de douleur. L’individu la secoua comme pour lui intimer de se taire. Elle comprit alors que cela ne servirait à rien de tenter de l’amadouer. Elle flancha. La jeune femme savait qu’il était inutile de hurler. Son voisin du dessus ne s’intéressait qu’à lui et il n’était pas du genre à lui venir en aide, surtout s’il ne pouvait pas la baiser après.

— Ne pleure pas ! Lui ordonna-t-il à l’oreille.

— D’accord. Renifla-t-elle.

L’inconnu, puisqu’il ne lui avait pas dit comment il s’appelait, la traîna jusqu’à la fenêtre. À l’extérieur, la neige tombait de plus en plus fort. Décidément, cet hiver était particulièrement froid, rigoureux même.

— Tu vois cette jolie neige ? Eh bien, regarde bien. C’est la dernière fois que tu l’admires.

Carine lâcha un cri strident. Immédiatement, l’autre la balança sans ménagement. Elle vola littéralement à travers le salon. Elle atterrit devant la porte de la salle de bains. Il arriva à sa hauteur, plaqua sa chaussure contre le dos de la jeune femme si fort qu’il lui coupa la respiration, pendant quelques secondes. Il s’accroupit, posa les mains de chaque côté de son cou et serra…

Il n’avait pas l’intention de la tuer. Du moins pas de cette façon et pas maintenant.

 

 

2.

 

Maxime Grangé posa le dernier carton de livres sur le sol en soufflant. Il se laissa tomber sur le canapé planté au beau milieu de la salle et s’épousseta les mains. Il était éreinté, sale et courbaturé. Mais tout était enfin là. Les meubles avaient à peu près trouvé leur place, hormis le divan. Il avait demandé aux déménageurs de le laisser au milieu de la pièce, le temps qu’il réfléchisse.

Il attrapa une bouteille de bière plongée dans une glacière et un sandwich jambon-fromage. Il avait bien mérité une petite pause. Il était heureux d’emménager dans cette maison qu’il venait d’acheter. Ça allait le changer de son pavillon parisien, au loyer exorbitant. Une demeure spacieuse à Carcassonne était la meilleure idée qu’il avait pu avoir. Sa nouvelle affectation à la DPJ de Carcassonne était un véritable soulagement. Sa dernière enquête au sein de la Crim parisienne s’était terminée dans un bain de sang. Il savait que son nom résonnait comme une ombre du passé dans les couloirs silencieux du 36. Son ultime investigation, entrelacée de complexités et de noirceur, s’était transformée en un dénouement tragique, laissant derrière elle une scène de crime macabre. Les détails précis étaient murmurés avec prudence, comme si évoquer cette affaire pouvait invoquer les vieux fantômes.

 

Après avoir englouti son déjeuner, il retourna à la pile de cartons qui attendaient d’être déballés. L’un après l’autre, il sortit les ouvrages de criminologie, de psycho-criminalité, ainsi que ceux consacrés à certains tueurs en série. Il s’attaqua ensuite aux bouquins de psychologie. Il n’avait pas vraiment besoin de tous ces ouvrages, cependant, ils lui rappelaient de bons souvenirs. De temps en temps, il aimait bien s’y replonger. Enfin, il installa ceux de droit, reliques de ses années de fac.

Son téléphone, connecté à une enceinte, diffusait de la musique, permettant ainsi à son esprit de se dissocier un peu de la réalité. Son cerveau réclamait du repos. Son regard se posa sur le cliché d’une femme brune, les cheveux volants au vent, un sourire éclatant destiné au photographe… À lui. Un week-end inoubliable au bord de mer, avant l’horreur. Deux jours plus tard, il rentrait chez lui après avoir passé quarante-huit heures d’affilée sur une enquête particulièrement compliquée concernant un tueur en série singulièrement retors, voire sadique.

Lorsqu’il rentra chez lui après une journée éreintante, Maxime n’avait qu’une hâte, embrasser son épouse Caroline. Mariés depuis bientôt trois ans, ils filaient le parfait amour. Caroline avait fait le choix d’exercer sa profession de traductrice depuis leur domicile afin d’éviter à Maxime de se préoccuper de tout le côté logistique de la maison. Cependant, ce soir-là, dès qu’il arriva près de chez lui, il comprit que quelque chose clochait. Une agitation extrême régnait dans le quartier d’ordinaire plutôt calme. Son instinct de flic reprit immédiatement le dessus lorsqu’il aperçut tous ses voisins agglutinés derrière la rubalise jaune. Les gyrophares rouge et bleu illuminaient les alentours. Tout ce remue-ménage venait de sa maison. Il se mit à courir comme un fou vers son domicile. Montrant sa carte au planton, il passa sous le ruban en plastique et continua sa course. Il fut stoppé par ses collègues qui se mirent à plusieurs pour le retenir. Il ne put cependant pas échapper au spectacle d’horreur qui se présenta à lui. Le corps de son épouse pendait, éventré, les entrailles exposées, se balançant doucement, attaché par un pied au balcon du premier étage de leur pavillon, exhibé cruellement à la vue de tous. L’autre jambe retombait de manière grotesque sur le côté, formant un angle de 90°.

Son hurlement supplanta tous les bruits environnants.

Après ce drame, il sombra dans un trou noir sans fond, un abîme qui dura plusieurs semaines. Il fut d’office mis en congé par sa hiérarchie. Connaissant le caractère « sanguin » de Maxime, elle se doutait qu’il n’hésiterait pas à franchir la ligne rouge dès qu’il aurait attrapé le taré qu’il traquait depuis plus de deux mois. Il avait accepté sans broncher, incapable de la moindre réaction. Il se laissa alors couler jusqu’au jour où il apprit que le salaud qui avait bouleversé son existence avait été tué au cours de son arrestation. Ses collègues n’avaient pas réfléchi. Comme le gars était armé, les flics avaient tiré au premier geste suspect. Ainsi, pas de bavure et Maxime, leur supérieur était en quelque sorte vengé.

Cet acte fut le déclic pour Maxime qui entama le long processus de guérison. Lorsqu’il fut prêt à reprendre du service, après avoir été déclaré apte suite à une évaluation psychologique, sa hiérarchie lui signifia qu’elle ne voyait pas d’inconvénient à condition qu’il accepte un changement d’affectation. On lui proposa la tête d’une équipe de la DPJ, dans le nouveau commissariat de Carcassonne. Il valida l’offre. Plus rien ne le retenait dans la capitale.

Carcassonne lui paraissait une opportunité à ne pas rater, d’autant plus que les bâtiments de la police nationale étaient flambant neufs. L’idée de continuer à faire ce qu’il aimait le plus dans la vie était ce qui le faisait se lever le matin. Coincer des salauds dans le genre du tueur de sa femme était devenu maintenant sa raison de vivre.

 

 

( … )

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