C – Soutenances, appartenances et divergences:
Peu à peu, l’homme découvre la contingence de son apparition spécielle et la liberté infinie y associée : où l’aventure anthropique reste à inventer -librement, dangereusement. Semblablement, le sujet individuel se confronte au caractère fortuit de son advenue singulière : surplus (inutile à l’humanité comme à la nature), voulu (de plus en plus fréquemment) et imprévu (en sa singularité). Mais aussi, situé, limité et mortel. Seul en sa conscience, libre en son ‘essence’ -et disposant d’outils puissants. En pareilles circonstances, qu’ils soient référés à la thèse couplant hasard, sélection et expression aléatoire des gènes, qu’ils soient centrés sur l’absence d’Essence substantielle ou encore étroitement associés à un Déterminisme global, les divers paradigmes génétiques laissent s’engouffrer en l’homme un vide susceptible de le démonter -soit en éléments manipulables, soit en virtualité (déroulement processuel d’un pool initial de codons). En outre, la référence stricte à un plan moléculaire indépassable mais modifiable en sa programmation témoigne de l’éviction de l’autre -de l’autre comme présence et horizon. L’autre comme semblable, altérité irréductible, singularité irremplaçable et répondant libre… Où donc l’enchaînement réactionnel de molécules offertes à la maîtrise fait miroiter une économie de la relation humaine toujours incertaine ou de l’investissement personnel nécessairement laborieux. En conséquence et dans la sphère humaine, dès l’instant où le savoir-faire génétique quitte ses applications médicales, il introduit une rupture anthropologique en redéfinissant l’homme tel un ‘objet’ déterminé (malléable en son programme offert) soumis à évaluation dans une société en perte d’humanisme. Par ailleurs, en sa quête d’une Cause ultime comme en son pré-requis implicite (d’un organisme compris tel une Fin dans la cellule originelle), le Tout-génétique s’inscrit dans la dimension métaphysique : cherchant la quintessence intime, le nœud identitaire ou la Cause (Première et Dernière) de l’intégration organistique et de l’émergence personale -et la trouvant dans la matière brute offerte aux réactions physico-chimiques. Cependant, cet ‘au-delà’ en-deçà réduit sa condition de possibilité ‘épistémologique’ en simples signaux -la condition de possibilité de toute science recouvrant la nécessité que préexiste et ex-i-ste un être généré, conscient, motivé, prospectif et interpellé par le sens (que par ailleurs il construit).
Pourtant, contre ce spécimen ‘processuel’, c’est un individu de soutenance entitaire et identitaire qui se propose à l’observation (et à l’humanité). Un individu oscillant entre l’expansion dispersive ou dissipative et la concentration compacifiante ou forclusive : d’expression duale, d’étance unique, de substance moniste, de singularité moitié donnée moitié construite et d’existenciation aussi incessible qu’inéchangeable. Où la personne émerge d’un fonds bio-informatif soumis à une réalisation biologico-existentielle des potentiels (expression différentielle, partielle et quelquefois éliminatrice d’autres potentialités). Sa densité recouvre une construction pluridimensionnelle et polyfactorielle : selon une adaptation créatrice singulière circonscrite par l’espèce, selon un échappement individuel limité par la collectivité. Individuation en individualisation où se déclinent détours et traverses, interprétations et dénégations, décisions et options, renoncements insignifiés et révoltes sursignifiées, constructions de sens et ajouts de valeurs. Reprise à soi contre ou tout contre l’autre qui informe originellement le ‘soi’ de sa réalité substantielle délimitée (de son existence), de son ouverture nécessairement contrôlée et de sa béance en attente de ‘contenu’ (sensations, vécus, appartenances et projets aptes à faire corps -à faire intimité, identité ou sens). Où donc l’homme se réalise dans l’articulation pour exister dans le mouvement de soutenance : pour exister aux limites, dans une position quasi tangentielle ou dans l’entre-deux. Exister entre l’animal qu’il est sans l’être et l’humain qu’il construit sans connaître (mais qui co-naît cependant avec tout homme).
Par suite, notre point commun tient à un code ADN s’avérant ‘incomplet’ en ses déterminations : point commun d’un substrat permettant (à l’espèce, à tous ses membres) le ‘nous’ d’une communauté, le ‘moi’ d’une appartenance intime ou d’enracinements personnels et le ‘je’ d’une mise à distance, voire d’une externalisation. L’espèce est en cela l’universel de l’individu, un fonds de possibles potentiels communs. Et l’individu en est son singulier ; une déclinaison unique de possibilités réelles. Ou encore, l’espèce est un ‘nous’ exprimé par des singularités conscientes de leurs appartenances (spécielles) et fortes de leur soutenance identitaire –une soutenance résumée, portée et extériorisée (vers l’autre, pour lui ou contre lui) en ‘je’. Mais que les techniques complètent ce code mal fini en codification globale, qu’elles le rendent ‘parfait’ en son déterminisme, et viendra la compacité (ou l’explosion) : fin d’espèce, fin d’individualités unitaires conscientes, fin d’humanité -retour au processus. Aporie d’une explosion confusionnelle des limites, catégories et appartenances. Cela quand le ‘soi’ individué, le ‘moi’ investi et le ‘sujet’ personal furent chèrement gagnés –à partir d’un magma primitif où se heurtaient et interféraient des structures temporairement stabilisées. Sur fond de chaos et d’indifférenciation. Mais aussi, dans les méandres de l’histoire anthropique, au cœur d’organisations sociales insignifiant l’individu au profit d’un tout presque organique ou au sein de communautés fondées sur des maillons inessentiels.
Nous pressentons une transmutation de l’individu où le ‘soi’, s’indéfinissant ou s’accommodant d’un métissage jugé inessentiel, serait amené à se reconnaître essentiellement comme concept construit. Se reconnaître comme composition ouverte et extensive : représentations, désirs, options (existentielles, mais aussi physico-organiques), projets et puissances (...)