Je ne veux plus rien savoir de cette histoire, je ne veux plus jamais
l’entendre. Il baisse les yeux lorsqu’il le lui dit et puis il a ce
mouvement de tête, toujours là, comme ça, comme s’il avait honte ou
qu’il était blessé mais elle n’arrive pas à s’en empêcher. Elle veut
toujours lui raconter l’histoire du petit oiseau au cimetière en
caoutchouc. Un conte que l’on raconterait aux enfants avant d’aller
dormir. Il fait cette tête de garçon fâché comme si son histoire n’avait
aucun sens. Elle commence à parler fort et à rire, il y a ce spasme qui
la secoue, un claquement sec, la chute d’un corps et elle dit tu ne
peux rien contre ce qui s’est passé.
Il plie sa serviette de table, il passe les doigts sur les plis, une
fois, deux fois, trois fois tandis qu’elle raconte le matin où elle a
voulu sortir dans le jardin, il avait plu toute la nuit, il est très
nerveux, quatre fois, cinq fois, si elle continue de parler, elle pense
que tout ira bien, le temps restera immobile, les jours se suivront,
diction, répétition et là c’est vrai que tout pourra aller, six fois,
sept fois, elle est sortie du cellier, le ciel était gris et froid, elle
a fait demi-tour pour enfiler ses bottes, elle a enfoncé son pied droit
dans la chaussure, a forcé, forcé et en parlant comme si elle chantait,
l’épouse a expliqué que la cruauté est un puits sans fond parce que
durant de longues minutes, elle a continué de forcer sans chercher à
comprendre, huit fois, neuf fois avant de saisir qu’il y avait une chose
tout au fond, quelque chose de monstrueux qui changeait de forme sous
la pression du pied, une sorte de tissu qui s’ouvrait en corolle
spongieuse. Un printemps dégueulasse sous les orteils.
Le ciel est bas en couleur chrysanthème et lorsqu’elle a compris qu’il y
avait là un oiseau mort, décomposé au fond de sa botte, elle a voulu
hurler, il y a un cadavre sous mes pieds. Dans le jardin, les fleurs
étaient rouges sanguines, elle s’en souvient très bien. Il continue de
passer ses doigts sur les plis de la serviette. Elle a retiré son pied
mais c’était trop tard, hein, trop tard parce que voilà, ça lui fera
toujours penser à son mariage, le moment où il lui avait passé la bague
au doigt, ce qu’elle avait ressenti lorsqu’il lui avait glissé l’anneau,
elle avait eu la même sensation. Un dégoût et la corolle spongieuse.
Elle commence à pleurer en disant qu’elle a passé son pied à l’eau de
javel, à s’en brûler la peau. Mais son mari à cet instant déplie sa
serviette et prononce espèce de pute, il répète, pute, je vais te
laisser. Un de ces jours, j’en finis avec toi et avec moi, un de ces
jours, j’en finis avec nous. Tu me rends fou, je ne sais plus quoi faire
avec toi.
La pièce est vide, la serviette à terre, le mot pute claque encore dans
l’air, il n’y a plus qu’elle dans la cuisine. Elle voulait simplement
raconter l’histoire de l’oiseau mort au cimetière en caoutchouc.
C’est tout,
Juste cette histoire d’oiseau décomposé sous son pied. Et la corolle qui lentement depuis se déplie au centre de son ventre.
Elle regarde le cadavre de la serviette pliée, martyrisée, petite flamme de l’enfer, tu me fais du mal à te voir jetée à terre.
L’épouse la ramasse et fait un nœud à la serviette devenue mouchoir pour se souvenir à l’infinitif que le petit oiseau est mort.