J’ai aussi relu, il y a peu, le texte de Lévinas qui contient cette phrase que le Père aimait nous citer : « L’homme se tient dans le monde comme venu vers lui à partir d’un domaine privé, d’un chez-soi, où il peut à tout moment se retirer. Il n’y vient pas d’un espace intersidéral où il se posséderait déjà et à partir duquel il aurait, à tout moment, à recommencer un périlleux atterrissage. Mais il ne s’y trouve pas brutalement jeté et délaissé. Simultanément dehors et dedans, il va au-dehors à partir d’une intimité. » J’en fais ici l’expérience : le monde où se trouve l’homme se constitue par une habitation, un « recueillement », compris comme une dissipation de la frontière entre l’esprit et la matière, sans que les deux se confondent pour autant. Cette demeure, que mon corps et mon âme habitent à égalité, est le point de départ de ma présence au monde, et, au-delà, le point de départ du monde lui-même, non comme réalité ontologique irréductible à la subjectivité humaine, mais comme promesse d’unité intérieure et extérieure, charnelle et spirituelle. Cette demeure, l’homme n’en est pas le créateur, il ne peut en être le créateur, car lui-même est, depuis la nuit des temps, quoique non originairement, en puissance de dispersion. Cette demeure, ces conditions d’habitation doivent venir d’ailleurs, l’homme doit les recevoir d’un autre, d’un père, d’un père qui soit le père des choses, le père des êtres, et leur architecture intentionnelle prend la forme d’un désir – et donc d’un mouvement, et donc d’un temps, et donc d’un espace. Cet espace se mesure non par la largeur, la longueur ou la hauteur, mais par la profondeur. À vrai dire, il se mesure, mais seulement jusqu’à un. C’est le plérôme, une récapitulation de tous les êtres. Le Royaume. Oui, notre Royaume.