A Madame de Grignan.
A Marseille <mercredi> [25 janvier 1673],
Je vous écris après la visite de Madame l'Intendante et une harangue très belle. J'attends un présent, et le présent attend ma pistole. Je suis charmée de la beauté singulière de cette ville. Hier le temps fut divin, et l'endroit d'où je découvris la mer, les bastides, les montagnes et la ville, est une chose étonnante. Mais surtout je suis ravie de Mme de Montfuron : elle est aimable, et on l'aime sans balancer. La foule des chevaliers qui vinrent hier soir voir M. de Grignan ; des noms connus, des Saint-Hérem ; des aventuriers, des épées, des chapeaux du bel air, des gens faits à peindre, une idée de guerre, de roman, d'embarquement, d'aventures, de chaînes, de fers, d'esclaves, de servitude, de captivité : moi, qui aime les romans, tout cela me ravit et j'en suis transportée.
Monsieur de Marseille vint hier au soir. Nous dînons chez lui ; c'est l'affaire des deux doigts de la main. Dites-le à Volonne. Il fait un temps de diantre, j'en suis triste ; nous ne verrons ni la mer, ni galères, ni port. Je demande pardon à Aix, mais Marseille est bien joli, et plus peuplé que Paris : il y a cent mille âmes. De vous dire combien il y en a de belles, c'est ce que je n'ai pas le temps de compter. L'air en gros y est un peu scélérat, et parmi tout cela, je voudrais être avec vous. Je n'aime aucun lieu sans vous, et moins la Provence qu'un autre ; c'est un vol que je regrettera. Remerciez Dieu d'avoir plus de courage que moi, mais ne vous moquez pas de mes faiblesses ni de mes chaînes.