C'est un succès que l'on aurait bien du mal à démentir : le roman dit "historique" séduit toujours les lecteurs. Nous nous sommes entretenus avec François Langlade, auteur de La Pertinax ou des Vies sauvées d'Alexandre Vielski, afin de décrypter le plébiscite dont jouit le roman historique. Voyage à remonter le temps et ses émotions, avec un écrivain conteur d'histoires, qui s'inspire de l'Histoire, pour lui redonner vie...
-François Langlade : Oui et non. Tous mes romans publiés s'inscrivent dans un cadre historique. Cela ne veut pas dire qu'ils sont des romans historiques, ce sont des textes littéraires, mais dont la trame, le récit, se développent dans un cadre historique. Pour une simple raison: tout d'abord, tout est historique, que ce soit contemporain ou plus ancien. Mais c'est surtout parce que je cherche toujours un cadre fort. Ce n'est pas un hasard si mes livres se déroulent à Paris sous la Révolution Française (Monsieur Etienne), l'URSS de 1947-1948 (Les Vies sauvées d'Alexandre Vielski) ou l'Angleterre victorienne (Le Manuscrit de Glyndebourne). Le cadre historique a ainsi une influence considérable sur la destinée de mes personnages.
-F. Langlade : Oui. Je n'ai rien contre les romans historiques, mais je n'écrit pas de romans sur les grands personnages historiques, tous mes personnages sont des figures de fiction, des personnages romanesques, j'essaye de voir ce qui est éternel dans la nature de chacun. Et comment les sentiments, les choix, finalement les destins peuvent être emportés par de grands moments historiques. Une question m'a beaucoup préoccupé, celle de savoir comment chacun, aujourd'hui même, réagirait, ménerait sa vie ou ferait des choix importants dans des périodes extrêmement troubles, que ce soit des révolutions, des périodes de Terreur ou l'époque napoléonienne. Je m'efforce de révéler à quel point la structure sociale ou le cadre social peut avoir une importance considérable, mais aussi à quel point les sentiments, la nature humaine, la partie charnelle de mes personnages, sont éternels, et peuvent être aussi bien contemporains qu'historiques.
-F. Langlade : Des thèmes reviennent en effet d'un livre à l'autre, consciemment ou inconsciemment. C'est peut-être le propre de l'écrivain d'écrire toujours le même livre, mais c'est vrai qu'il y toujours cette aspiration, qui est d'ailleurs toujours plus forte chez les personnages féminins que chez les personnages masculins. Un psychanalyste devrait pouvoir vous en dire plus, mais dans mes romans, les femmes vont toujours au bout de leur destin, dans une recherche de liberté si elles ne l'ont pas déjà acquise. Les hommes ont tendance à être plus fluctuents, beaucoup plus modelés par les évènements forts de l'Histoire. Dans Les vies sauvées..., c'est le caractère fort d'une femme qui fait réagir le héros masculin, et l'entraîne vers un choix important, qui mettra la vie ceux qui l'entourent et la sienne en danger.
-F. Langlade : Chez Flaubert, les personnages sont quand même libres. De plus la prépondérance du caractère joue énormément. Dans mes livres, le caractère, surtout en ce qui concerne les hommes, est souvent mis en défaut, les personnages deviennent marionnettes, comme dans la tragédie grecque. Mes personnages sont des marionnettes entre les doigts des dieux de l'Olympe, et sous la force du destin - ou du hasard, chacun aura sa croyance - ils sont ballotés, et au milieu du tumulte, ils devront faire des choix. Ce que j'essaye de montrer, c'est qu'ils ne sont ni totalement héros, ni totalement salauds. Ce sont des gens assez normaux, avec forces, faiblesses, peurs et hésitations. Ce ne sont donc pas des caractères entiers, ce sont des individus perdus dans les tréfonds de la nature humaine. Il y a très clairement une part de rédemption dans l'attitude de mes personnages, qui les pousse à aller au bout de leur histoire, sans savoir vraiment s'ils maîtrisent celle-ci ou s'il en sont les jouets.
-F. Langlade: Absolument. C'est d'ailleurs une phrase citée dans Le Manuscrit de Glyndebourne, et qui de plus théâtral que Rétif de la Bretonne? C'est un personnage extraordinaire, qui a souffert d'une certaine renommée sombre du Marquis de Sade, mais a surtout été tué par la fin de son siècle. Car le XVIIIème siècle n'est pas mort en 1800, mais en 1789. Il s'est soudainement retrouvé en porte-à-faux complet pendant la Révolution Française, où tout le libertinage du XVIIIème a tout à coup disparu pour ouvrir la voie aux Serments des Horaces, à David, au côté antique de la tragédie... Il n'est alors plus de son temps, mais continue à écrire des milliers de pages. C'est le grand drame de Rétif: il n'a jamais écrit un chef d'oeuvre, il en a écrit de multiples, ce qui nuit à sa reconnaissance littéraire. Il est également un personnage de théâtre, parce qu'il a de multiples aventures, il est l'oeil des nuits de Paris et surtout parce qu'il est menteur, une sorte de caricature de ce qu'est l'être humain, avec ses ambitions, ses erreurs. J'ai vu jouer Jean-Louis Barrault dans le rôle de Rétif au Théâtre du Rond-Point il y a quelques années, et j'en ai sûrement gardé un puissant souvenir de jeunesse. Entre Sara Galloway, Pauline et Rétif, la scène, le théâtre est un point commun. Il est moins présent dans Les Vies sauvées d'Alexander Vielski.
-F. Langlade : Oui, parce qu'il est extrêmement cabot. Il veut plaire, et il a déjà des accents céliniens. Le personnage fictif qui l'accompagne, Etienne, son neveu (inspiré d'un individu réel, ndlr) est là pour l'aider à plaire. C'est l'unique objectif de Rétif, surtout à cette période: il est misérable et il faut qu'il se nourrisse, il est son propre imprimeur et éditeur, ce qui extraordinaire, et il veut écrire un roman total. Un livre qui, finalement, rendrait compte de tous les secrets de l'âme humaine. Par sa nature et par ce qu'il fait en tant qu'écrivain, il est un archétype de l'écrivain de la fin du XVIIIème. Il n'aurait pas pu vivre dans un autre siècle.
-F. Langlade : Tout est prétexte à littérature. Le Printemps arabe, l'affaire DSK... Tout est romanesque. Je ne suis pas du tout enfermé dans le cadre historique, et je n'imagine pas la littérature ou l'Histoire s'arrêter à une date précise. Je ne crois pas à ce concept de "fin de l'Histoire", mais plutôt à un trop-plein d'informations qui complique la compréhension de l'Histoire. L'Histoire est continue, elle se fait tous les jours, et tout est sujet à l'écriture d'un roman. Je n'ai jamais connu le problème de la page blanche: pour commencer un roman, je me situe dans un cadre, délimité dans l'espace et le temps, avant d'y faire surgir mes personnages. Demain, je peux choisir d'implanter mon prochain roman au coeur du Soudan, trente ans auparavant.
-F. Langlade: Oui. Pour Les Vies sauvées d'Alexander Vielski, ce qui a vraiment suscité mon désir d'écrire sur ce sujet a été la découverte de cet individu, le professeur Maïranovski. En apprenant l'existence de ce chimiste qui travaillait dans les sous-sols de la Loubianka et qui faisait des tests de poisons sur des cobayes humains vivants, prisonniers militaires ou politiques, avant de s'en prendre aux populations juives conformément à la politique antisémite de Staline, trois années après la découverte de la Shoah, j'ai été profondément choqué, et cela a constitué un point de départ. Le roman m'est apparu comme la manière la plus appropriée pour évoquer ces faits.
-F. Langlade : Je suis très avancé dans l'écriture de mon prochain livre. Il se déroule en juin 1940, en France. Encore une fois, j'ai eu besoin d'une situation forte. Son influence sur les personnages que je vais mettre en scène m'intéresse beaucoup. Les périodes de terreur, de peur, de mort révèlent ce dont est capable l'être humain, sur un plan positif ou négatif, en exacerbant les sentiments et les sensations. On vit "tout et terriblement", comme l'écrivait Guillaume Apollinaire. J'aurais plus de mal à écrire sur un quotidien plus banal, trop ordinaire.
François Langlade, Le Manuscrit de Glyndebourne, France Empire
François Langlade, Monsieur Etienne, Jean-Claude Lattès
François Langlade, La Pertinax, Jean-Claude Lattès
François Langlade, Les vies sauvées d'Alexander Vielski, Robert Laffont
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