Philippine Cruse a créé les éditions Herodios il y a un an en pleine pandémie. L'ancienne collaboratrice de Bernard de Fallois a pris son envol comme l'oiseau emblème de sa maison. En quelques livres, elle a su imposer son style et a réussi à prouver qu'il fallait désormais compter avec elle dans le paysage de l'édition francophone. Rencontre avec une éditrice qui fourmille d'idées, portée par l'amour des livres et des auteurs.
Philippine Cruse a eu plusieurs vies, mais toutes ont un point commun : les livres. Docteur ès Lettres, elle a été libraire pour comprendre le métier de l'intérieur, chroniqueuse, animatrice d'un festival littéraire (Le Festival du Cap-Ferret), chargée de communication et assistante de Bernard de Fallois qui lui a enseigné le métier d'éditeur. A ses côtés, elle a accompagné la formidable aventure Joël Dicker. Un an avant la mort de son mentor, elle lui avait fait part de son intention de créer sa propre structure et il l'y avait encouragée. Ce feu vert a été un des plus beaux cadeaux que l'édietur emblématique lui a offert.
Ainsi, au printemps 2020, Philippine Cruse lance-t-elle le premier livre des éditions Herodios, Les riverains de Corinne Atlas. Sans le savoir, ce livre qui évoque la vie et le point de vue des voisins lors des attentats du 13 novembre était visionnaire. Lors du confinement, nous nous sommes retrouvés enfermés en miroir avec nos voisins. La menace avait changé de visage, mais l'importance des relations aux autres était restée centrale. Philippine Cruse avait tenu à conserver la date de lancement du livre. Même lorsque les librairies ont fermé, elle ne regretta pas cette décision : comment ne pas rappeler l'importance des livres, "fenêtres sur la liberté" ? Ont suivi les carnets posthumes du génial designer Ettore Sottsass, Ecrit la nuit.
Coup de théâtre: après un roman et un carnet, une pépite atypique et incroyable : La cuisine du 6e étage de Nathalie George. Succès immédiat. Ce livre nous apprend à enchanter le quotidien à partir de peu de choses, à trouver le luxe dans l'essentielle simplicité, à retrouver le goût des bonnes choses. Récit de vie autant que livre de cuisine, avec sa maquette osée, nimbée d'un rouge framboise tellement gourmand. La cuisine du 6e étage est un ovni comme seule Philippine peut en imaginer : raffiné, intelligent, singulier.
A suivi Le tango du dessinateur de Serguei, célèbre dessinateur du Monde. Un beau livre qui rassemble un conte fantastique autour de la sélection de ses dessins favoris, atypique encore.
Jusqu'à une nouvelle pépite, Etrange est le chagrin, un texte inédit signé de l'ancien prix Nobel V.S. Naipaul écrit quelques mois avant sa mort en 2018. Un poignant récit sur le sentiment de chagrin et de deuil que l'écrivain éprouva profondément en trois occasions de sa vie. Une fois encore, le livre résonne avec l'époque, touchée par les morts de la Covid 19.
A chaque nouveau livre, Philippine cherche un nouvel assemblage, une expression unique : "Ne jamais se répéter" pourrait être sa devise. Rencontre avec une éditrice-chef d'orchestre, célèbre pour sa collection de chapeaux qui jongle en toute élégance avec les pages, les adresses, les contraintes et les imprévus.
-Philippine Cruse : J'ai imaginé une maison imprévisible, dans laquelle on puisse se promener sans jamais se lasser. J'ai le goût de la curiosité. Chaque nouveau livre est pour moi l'occasion d'une ré-invention. C'est cette liberté de "l'étonnez-moi" qui était ma première intention. Je ne voulais pas me sentir enfermée dans un style unique, une ligne uniforme. Quand on définit son univers, on a le droit à toutes les fantaisies. C'est pourquoi je me suis autorisée toutes les tessitures : des romans, des essais, des beaux-livres, des livres pratiques, des enquêtes... Pourquoi se limiter ? Et pourquoi se laisser enfermer dans une case ? Je crois que les lecteurs suivent car eux-aussi aiment être appelés par une émotion, une surprise.
-P.C. : La Suisse représente mes racines car j'y suis née. Vivre entre Lausanne et Paris m'oblige à me décentrer en permanence et à prendre du recul. Je trouve en Suisse une distance et une ouverture sur le monde qui m'est très salutaire. Cela me fait raisonner de manière plus large et sortir des chapelles. La Suisse valorise beaucoup la littérature.
-P.C. : J'ai essayé de ne pas me poser la question. Je suis heureuse d'avoir de bonnes relations avec les différents prestataires, imprimeries, distributeurs etc. J'ai sûrement de la chance d'avoir créé Herodios aujourd'hui et non pas il y a vingt ans. Il y a de nombreuses femmes à la tête de maisons d'édition qui ont montré leur professionnalisme. Les femmes sont désormais prises au sérieux. Je bénéficie de ce courant.
De l'autre côté si je me demande ce que cela change d'être une femme éditrice, je pense me dis que mon rapport avec les auteurs de la maison sont peut-être plus empathiques. Je tiens beaucoup à ce que les relations soient agréables, que notre travail soit aussi entouré de courtoisie et de partage. Peut-être que le fait d'être une femme m'aide à construire ces relations presque familiales. Bernard de Fallois disait qu'une maison d'édition était comme une famille. Je le pense aussi.
-P.C. : Ce n'est pas juste une question de coup de coeur. Je me demande toujours : ce livre est-il essentiel ? Apporte-t-il quelque chose, quelque chose de singulier ? Bernard de Fallois m'a appris cette exigence. Un livre n'est pas que pour soi. Mais il doit aussi l'être. C'est tout le paradoxe. Je ne choisirais jamais un livre qui ne me parlerait pas. Mais le fait de me plaire n'est pas la condition suffisante. Ensuite, je réfléchis au programme, je recherche une sorte d'équilibre entre les différents titres afin qu'ils "respirent" entre eux. En cela, composer une année de programmation est un peu comme une mise en musique. Et puis il y a les rencontres. Derrière chaque livre, il y a un auteur, un monde. Nous devons nous sentir en connivence car nous allons cheminer ensemble.
-P.C. : Je travaille avec ma soeur Alexia Cruse qui est la directrice artistique d'Herodios. Elle ose utiliser des couleurs fortes, des mises en relief originales qui ne sont pas habituelles dans le monde des livres. Ce que nous avons établi c'est une charte sophistiquée avec des couvertures à rabats, une belle qualité de papier, une sentation autant tactile que visuelle. Nous essayons de donner de la personnalité à nos couvertures. Selon moi, le livre-papier doit être un objet que l'on a plaisir à manipuler, regarder autant qu'à lire. J'aime penser que tous les ouvrages Herodios peuvent avoir leur place dans un environnement et que les lecteurs ont plaisir à les conserver.
-P.C. : Continuer ! Nos prochains rendez-vous sont la sortie d'un livre de Barbara Radice, un journal puzzle avec des photos et une plongée dans son univers après la mort d'Ettore Sottsass. Ce sera un peu le vis à vis d' Ecrit la nuit.
Et dans un genre différent, j'attends beaucoup de Vertige du coqueliquot du journaliste Nicolas Espitalier : un ensemble de chroniques très poétiques sur le temps. Une écriture qui transporte vers un champ de fleurs éphémère, la rencontre avec la beauté de l'instant fugitif...
Les livres nous permettent de retenir un peu de ce temps qui passe. Nos mémoires, nos émerveillements se saisissent dans les mots qui les reflètent à l'infini. Les écrivains sont tous un peu les magiciens de cette réverbération et moi j'essaie modestement d'être le passeur de leurs émotions.
> Aller sur le site Herodios pour retrouver tout le catalogue
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