Sa saga raconte la quête de Jimmy Corrigan, personnage qui part à la recherche de son père. Malheureux, isolé et bousculé par la vie, Jimmy entraîne le lecteur tout au long de ces 380 pages à travers un récit émouvant, méticuleux, foisonnant et captivant, dont la lecture ne s'épuise pas si facilement. Ce récit "de fiction semi-autobiographique", comme Ware s'en explique dans la post-face, ne fascine pas seulement par la narration de ce destin où la réalité la plus banale côtoie des fantasmes traversés par les grandes figures de la mythologie populaire américaine. C'est aussi cet incroyable traitement graphique qui retient l'attention du lecteur et donne à sa bande dessinée une place unique.
Pour apprécier pleinement tout le talent de Chris Ware, il faut sans tarder se plonger dans la matière première de son œuvre, à savoir cette collection de "comics" où, à côté de Jimmy Corrigan, il anime aussi les aventures de petits personnages comme Quimby the mouse. Chaque numéro offre une présentation et un format différents, enchaînant les styles graphiques et les modes de narration avec une liberté et une maîtrise comme on en a rarement vues jusqu'alors. La dimension titanesque de l'entreprise ne laisse pas d'étonner : Chris Ware s'occupe de tout, tout seul. Rédaction de textes marqués par un humour distancié, élaboration de figures à découper, fausses réclames "rétro", jeux sur la typographie… Ses pages sont souvent composées de multiples petites cases, rehaussées de superbes couleurs en aplat soigneusement délimitées par le trait précis de Chris Ware. Et il ne s'agit pas d'une simple performance graphique : derrière ce travail, le propos de l'auteur reste passionnant, et le destin du pauvre Jimmy lancé à travers l'Amérique d'aujourd'hui captive de bout en bout. À n'en pas douter, la bande dessinée la plus originale parue depuis bien longtemps. --Philippe Actère