Récit de vacances dans le havre de paix dune demeure familiale restée, pour toute la famille, lincontournable lieu de rendez-vous de lété, La Faute de goût est un voyage quasi exotique dans un espace hors du temps où tout ne serait que calme, luxe et volupté, au bord de la piscine fraîchement plantée dans lindivision du domaine. Sur les pas de Mathilde, qui arrive pour quelques jours de débrayage estival, on entre sans effraction chez ces bourgeois bon chic, bon genre, soucieux des conventions et des codes dune société où lart de vivre repose sur une véritable règle du jeu, respectueuse des usages implicites qui font loi. Sous le regard dentomologiste de la narratrice, les vies minuscules de chacun mises côte à côte prennent un relief particulier, se fondent en un corps social, incarnant les us et coutumes de la bourgeoisie traditionnelle. Mathilde, elle, contemple tout cela sans jugement et sans condamnation, capte latmosphère de la maison, et rend sensible lesprit des lieux qui est en vérité un esprit de classe. Distillant un parfum dambiance anachronique, entre garden-party et confidences inoffensives à lombre des grands marronniers, la narratrice ouvre les portes du temple familial, invite le lecteur à sa table, lui fait partager sa chambre avec vue sur la piscine, dont laccès est strictement réglementé en fonction des plages horaires et des publics. Si règne en apparence une incorruptible harmonie, si lesprit de famille tient lieu desprit dentreprise et réciproquement, si la magnanimité bienveillante des maîtres de maison décloisonne un instant les frontières qui les séparent de loffice et de la cuisine, il nen demeure pas moins que les clivages de classes régissent puissamment cette société attachée à ses privilèges avec la morgue et larrogance de ceux qui, fiers de leurs prérogatives, tiennent leur rang comme on défend une citadelle. Lordre des choses, le respect des règles et de la place de chacun, une distribution des rôles jamais remise en cause, tel est le prix de la paix dans ce monde déclinant. Pourtant, imperceptiblement, le doute sinsinue. Mathilde prend conscience que ces batailles ne sont pas vraiment les siennes, mais ne sy oppose pas franchement. Une attente diffuse naît ; la tension, lamertume des uns et les insinuations des autres laissent à penser que lorage va éclater. Or rien ne vient, pas de monstre caché, aucune tentative réelle de rébellion, le séjour de Mathilde sachève comme dans un Festen dégoupillé et nous dévoile le portrait dune génération grandie dans lidée du progrès et prise de court par la crise, dune génération quaucun feu ne soutient, quaucune révolte ne consume et qui pose sur le monde un regard lucide et désabusé. En quatorze chapitres, subtils et délicats, Caroline Lunoir déploie une suite de tableaux, qui comme autant de lentilles doptique additionnées, révèlent avec une précision croissante le cours apparemment immuable dune vie feutrée, protégée du vacarme du monde et rythmée par les rituels conviviaux, conditionnée par les logiques de la reproduction sociale, imperméable à la faillite et dont la réussite est le signe distinctif.