Quel est l`auteur qui vous a donné envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
Il y a des auteurs qui coupent les ailes ! Aragon encore –la poésie dans l`âme-, Proust, Vargas Llosa, Stefan Zweig.
Ce sont des écritures magiques, inscrites dans le sang de l`auteur et
qui sont tellement créatrices qu`elles créent aussi des complexes… Cela
dit, le plus important est de se jeter à l`eau.
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
J`ai lu enfant Don Quichotte de Cervantès, Une saison en enfer de Rimbaud, Les filles du feuDe Nerval et Fortune carrée de Joseph Kessel.J`ai
alors découvert une vérité, celle que la littérature est un pays sans
frontières, que tout le monde peut visiter. On y entre avec bonheur, on
en sort transformé. C`est aussi l`apprentissage du monde –l`Autre,
l`ailleurs, le double en soi, les parts maudites de l`homme, les
valeurs. J`ai été ému et le suis encore quand je vois des jeunes lire,
dans les bidonvilles de Calcutta, les townships d`Afrique du Sud, les
villes perdues d`Afghanistan. Ils s`évadent de leur ghetto, matériel et
mental, et réinventent le monde, le dessinent au regard ce qu`ils
lisent. C`est magique ! Cela représente des millions de destins
juxtaposés, et pourtant tous différents. Et je me dis alors qu`apprendre
à lire et écrire, pour ceux qui le peuvent, est une grande chance, une
belle fenêtre sur la vie, l`un des beaux cadeaux de la vie.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Les livres n`ont de valeur que pour ce qu`ils
apportent à leur lecteur. C`est à chacun de juger, de trouver son compte
de bonheurs, de valeurs, d`imagination, de sensations. Certains ont
sûrement une réputation surfaite mais ont sans doute contribué à
arracher un lecteur de la misère, du néant, de la solitude. La Voie Royale de Malraux a une aura qui ne correspond pas à sa valeur –on est loin de La Condition Humaine, des Conquérants ou de Les Chênes qu`on abat.
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
La Danse de Gengis Cohn de Romain Gary. C`est écrit avec un humour dévastateur et de l`audace à la pelle. Je relis aussi le Grand troupeau de Giono. Une merveille !
Le barbaresque est un véritable roman d`aventure. Quelles furent vos inspirations littéraires pour le rythme et la forme de ce récit ?
J`ai été fasciné par Don Quichotte, que j`ai lu à dix ans puis relu dans d`autres traductions. Le barbaresque est un roman sur le jeune Cervantès avant
qu`il n`écrive son chef d`oeuvre. A 28 ans, il est capturé sur une
galère en Méditerranée par les pirates barbaresques puis emmené à Alger.
Mais c`est l`introspection qui m`a guidé, le fait d`être dans la peau
d`un captif –Cervantès a été détenu cinq ans à Alger. Vargas Llosa m`a inspiré, ainsi que la Bible, pour survivre après trois ans d`écriture…
Le principal élément romanesque introduit dans
ce roman biographique est le personnage de Zohra. Que sait-on exactement
sur les amours de Cervantès pendant sa captivité à Alger ?
Autant on sait beaucoup de choses sur les pirates d`Alger et sur la vie de Cervantès,
autant on dispose de peu de preuves sur ses amours en Barbarie. Mais
c`est le travail du romancier que d`imaginer ! Plusieurs éléments
troublants peuvent laisser penser que Cervantès a eu une relation amoureuse à Alger. D`abord le fait que le futur auteur de Don Quichotte,
lorsqu`il a été libéré et lorsqu`il est rentré en Espagne, s`est
empressé de demander au roi Philippe II une mission à Oran. Pourquoi
avoir voulu revenir sur la Côte des Barbaresques, même si Oran était aux
mains des Espagnols? D`autre part, dans son roman fabuleux, Cervantès imagine Don Quichotte
recevant un ancien captif. Les biographes estiment que ces deux
chapitres relatent la vraie histoire de l`auteur. Or par qui le captif
est-il suivi dans l`auberge ? Par une prénommée Zohra, une Mahométane
qu`il a épousée. Enfin, Zohra, fille de Hadji Mourad, représentant du
Sultan Ottoman au royaume des Barbaresques d`Alger, a réellement existé,
ainsi que son père. le reste, il faut l`inventer !
Concernant les pirates, votre objectif était-il
de les représenter le plus fidèlement possible à la réalité ou de
garder une certaine part de romance ?
Bien sûr, il s`agit de romancer. Les pirates ont
infesté la Méditerranée pendant des siècles. Selon Braudel, ils ont fait
reculer l`activité économique de 5 à 10 km sur les rives nord de la
Méditerranée aux XVIe et XVIIe siècles, car les riverains avaient peur
des razzias, surtout en termes d`êtres humains. A partir de la réalité,
le romancier peut, doit broder, il tricote autour de la réalité, pénètre
dans les domaines du rêve et du possible, et la frontière entre les
deux est souvent très floue. Cela dit, je me suis aperçu en écrivant de
deux réalités : la soif de liberté et le fait que les pirates
d‘aujourd`hui n`ont rien inventé.
La Méditerranée du XVIème siècle est le théâtre
d`affrontements mais aussi d`échanges entre chrétiens et musulmans.
Impossible de ne pas faire de parallèle avec le monde d`aujourd`hui et
les relations entre Islam et occident. Aviez-vous la volonté d`ancrer ce
récit dans une problématique contemporaine ?
Oui, bien sûr. J`ai beaucoup écrit sur les routes
de la Soie, lieux d`échange pendant des siècles non seulement de
marchandises mais aussi d`idées. Entre les caravansérails, les marchands
transportaient de la soie, des tissus de Damas ou de Mossoul, de l`or,
des lapis-lazuli mais aussi véhiculaient les idées, les valeurs. Les
religions du Livre ont pu dialoguer sur cette matrice. L`Islam a connu
des périodes fastes et de concorde avec les autres civilisations sur ces
sentes, parfois improbables. La Méditerranée a été un lieu d`échanges,
de guerres, de rapprochements incessants et continue de fasciner, de
rapprocher ou d`éloigner, par une sorte d`attraction-répulsion. Il se
trouve que le livre a été publié au moment des révoltes arabes et j`ai
trouvé maints points communs entre ces deux périodes de l`histoire, dont
une incroyable soif de liberté, la tutelle des raïs, chancelante
aujourd`hui, le désir d`entente entre les peuples, des plaidoyers pour
un Islam des Lumières et un sens de la tolérance.
Alger est un personnage à part entière du
livre. C`était alors une ville à la fois très vivante et très importante
dans le bassin méditerranéen. Malgré sa captivité, le séjour de Cervantès dans
cette ville n`est-il pas pour lui une chance d`approfondir sa
connaissance d`une culture étrangère ainsi que de se confronter à sa
propre imagination ?
C`est vrai. Cervantès s`est
imaginé un monde pour mieux échapper à ses pirates, même s`il vivait
dans une prison dorée, à ciel ouvert ! Les royaumes barbaresques
pratiquaient alors une certaine tolérance et les chrétiens disposaient
de lieux de culte, d`estaminets et même de bordels. Cervantès a appris le franco, le dialecte parlé par Les captifs
et certains pirates, mélange de langues méditerranéennes. Il a
découvert l`islam et séjourné avec différentes communautés –Bédouins,
juifs, renégats, janissaires turcs. Il a découvert aussi l`univers des
intrigues, les querelles de pouvoir, les coups de poignard florentins,
les manœuvres entre les les milices pirates et les Turcs. La ruse et
l`amour vont l`aider. Ce fut, au-delà de la captivité, une merveilleuse
école, l`occasion de découvrir d`autres mondes.
Face à la captivité, l`imagination est-elle la seule arme dont on dispose ?
Oui, je crois, ainsi que le désir de liberté, qui
représente la même chose. L`homme invente son destin. Il sait dessiner
sa cage, il sait aussi sculpter la clé pour sortir de sa geôle. J`ai vu
beaucoup de misères dans le monde et suis toujours surpris de ce vœu de
liberté, de ce souhait de se grandir, d`esquisser son propre destin.
Cela passe par la dignité, même dans les bidonvilles, dans les townships
d`Afrique du Sud, les slums de Calcutta, par le respect de soi et des
autres. L`imagination est l`une des portes pour sortir des ghettos.
Vous avez écrit de nombreux Romans, essais, carnets de Voyages
mais vous avez aussi réalisé de nombreux films pour la télévision et
récemment pour le cinéma. Comment se fait le choix du support pour vos
récits et enquêtes ?
Cela dépend du pays et du thème, mais l`enquête
repose principalement sur l`écriture, et le film n`est souvent que le
prolongement du reportage ou du document. J`ai écrit Le faucon afghan
et tourné le film L`opium des talibans pour dénoncer les trafics des
fondamentalistes afghans, et surtout leur hypocrisie. le récit J`Aurai de l`Or
porte sur les méfaits de la mondialisation sur la plus grande forêt
tropicale du monde, l`Amazonie, le poumon de la planète. Écrire un
livre, un reportage ou tourner un documentaire : la matière est souvent
la même.
Oscar Wilde écrivait
que "Tout portrait qu`on peint avec âme est un portrait, non du modèle,
mais de l`artiste." Vous partagez de nombreux points communs avec Cervantès.
Comme lui, vous avez beaucoup voyagé et avez été quelque fois capturé.
Peut-on voir dans ce roman les prémices d`une future autobiographie ?
Je crois que tout écrivain met une part de
lui-même dans les livres qu`il écrit, qui ce soit un roman ou un
document, et aussi éloigné que soit le sujet de son propre parcours.
L`autobiographie cependant est parfois une descente dans les oubliettes
du nombril. « Mon moi est haïssable » écrivait Pascal –une phrase à
prendre dans la dimension de l`hyper-centration, qui est souvent le
propre de l`homme. Reste que de nombreuses autobiographies sont des
merveilles ! Et il n`y pas de recette, simplement des alchimies.
Beaucoup d`auteurs ont bien plus de choses à dire que moi ! le voyage
est une rencontre avec l`autre, un mouvement perpétuel d`amitiés et de
découvertes. L`humanité est faite d`un mariage de destins, ceux d`hommes
et de femmes qui naissent et qui meurent dans l`amour et,
malheureusement, parfois la haine. le roman permet, souvent, de célébrer
les retrouvailles de l`homme avec ce qu`il a de meilleur et de dénoncer
ce qu`il a de pire. Dans l`espace temps qui est imparti à l`être humain
entre la naissance et le dernier souffle, l`apport du roman peut être
utile, même s`il est toujours à renouveler.
Un très beau roman d'aventures et de mer. L'écrivain-voyageur et grand reporter Olivier Weber a réussi son pari, écrire un livre sur la paix et la guerre, et le mystère Cervantès.
Olivier Weber et ses lectures
Quel est le livre qui vous a donné envie d`écrire?
Les Poètes d`Aragon et les poèmes d`Éluard. Ce sont d`incroyables musiques qui vous prennent par le cœur et vous bercent longtemps. Et puis il y a eu des romans d`aventure, ceux de Jack London, Henry de Monfreid, Malraux, Conrad et l`audacieux Don Quichotte de Cervantès.
Quel est l`auteur qui vous a donné envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
Il y a des auteurs qui coupent les ailes ! Aragon encore –la poésie dans l`âme-, Proust, Vargas Llosa, Stefan Zweig. Ce sont des écritures magiques, inscrites dans le sang de l`auteur et qui sont tellement créatrices qu`elles créent aussi des complexes… Cela dit, le plus important est de se jeter à l`eau.
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
J`ai lu enfant Don Quichotte de Cervantès, Une saison en enfer de Rimbaud, Les filles du feu De Nerval et Fortune carrée de Joseph Kessel.J`ai alors découvert une vérité, celle que la littérature est un pays sans frontières, que tout le monde peut visiter. On y entre avec bonheur, on en sort transformé. C`est aussi l`apprentissage du monde –l`Autre, l`ailleurs, le double en soi, les parts maudites de l`homme, les valeurs. J`ai été ému et le suis encore quand je vois des jeunes lire, dans les bidonvilles de Calcutta, les townships d`Afrique du Sud, les villes perdues d`Afghanistan. Ils s`évadent de leur ghetto, matériel et mental, et réinventent le monde, le dessinent au regard ce qu`ils lisent. C`est magique ! Cela représente des millions de destins juxtaposés, et pourtant tous différents. Et je me dis alors qu`apprendre à lire et écrire, pour ceux qui le peuvent, est une grande chance, une belle fenêtre sur la vie, l`un des beaux cadeaux de la vie.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Pardon de me répéter, mais je crois bien que ce sont deux livres d`Aragon, Elsa et Les Poètes. Et puis, j`avoue, Zweig, avec 24 Heures de la Vie d`une Femme, ou Amok, ou encore Le Joueur d`échecs. Soit ça rend fou, soit ça rend serein, parfois les deux.
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
Guerre et Paix que je n`ai lu que par petites touches et que je n`ai pas eu le courage de finir.
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Tristram Shandy de Laurence Sterne. Un roman du XVIIIe siècle. Audacieux, déjanté, terriblement moderne. On se demande comment l`auteur a pu être à l`époque aussi inventif. Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry et Le Quator d`Alexandrie de Lawrence Durell. Et puis la poésie persane, belle, envoûtante, terriblement moderne, sage et rebelle d`Omar Khayyam, Hafiz et Rûmi.
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Les livres n`ont de valeur que pour ce qu`ils apportent à leur lecteur. C`est à chacun de juger, de trouver son compte de bonheurs, de valeurs, d`imagination, de sensations. Certains ont sûrement une réputation surfaite mais ont sans doute contribué à arracher un lecteur de la misère, du néant, de la solitude. La Voie Royale de Malraux a une aura qui ne correspond pas à sa valeur –on est loin de La Condition Humaine, des Conquérants ou de Les Chênes qu`on abat.
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
« Voyager, c`est s`attacher puis s`arracher » de Nicolas Bouvier dans L`usage du monde.
Et en ce moment que lisez-vous ?
La Danse de Gengis Cohn de Romain Gary. C`est écrit avec un humour dévastateur et de l`audace à la pelle. Je relis aussi le Grand troupeau de Giono. Une merveille !
L`entretien d`Olivier Weber avec Babelio : Le barbaresque
Le barbaresque est un véritable roman d`aventure. Quelles furent vos inspirations littéraires pour le rythme et la forme de ce récit ?
J`ai été fasciné par Don Quichotte, que j`ai lu à dix ans puis relu dans d`autres traductions. Le barbaresque est un roman sur le jeune Cervantès avant qu`il n`écrive son chef d`oeuvre. A 28 ans, il est capturé sur une galère en Méditerranée par les pirates barbaresques puis emmené à Alger. Mais c`est l`introspection qui m`a guidé, le fait d`être dans la peau d`un captif –Cervantès a été détenu cinq ans à Alger. Vargas Llosa m`a inspiré, ainsi que la Bible, pour survivre après trois ans d`écriture…
Le principal élément romanesque introduit dans ce roman biographique est le personnage de Zohra. Que sait-on exactement sur les amours de Cervantès pendant sa captivité à Alger ?
Autant on sait beaucoup de choses sur les pirates d`Alger et sur la vie de Cervantès, autant on dispose de peu de preuves sur ses amours en Barbarie. Mais c`est le travail du romancier que d`imaginer ! Plusieurs éléments troublants peuvent laisser penser que Cervantès a eu une relation amoureuse à Alger. D`abord le fait que le futur auteur de Don Quichotte, lorsqu`il a été libéré et lorsqu`il est rentré en Espagne, s`est empressé de demander au roi Philippe II une mission à Oran. Pourquoi avoir voulu revenir sur la Côte des Barbaresques, même si Oran était aux mains des Espagnols? D`autre part, dans son roman fabuleux, Cervantès imagine Don Quichotte recevant un ancien captif. Les biographes estiment que ces deux chapitres relatent la vraie histoire de l`auteur. Or par qui le captif est-il suivi dans l`auberge ? Par une prénommée Zohra, une Mahométane qu`il a épousée. Enfin, Zohra, fille de Hadji Mourad, représentant du Sultan Ottoman au royaume des Barbaresques d`Alger, a réellement existé, ainsi que son père. le reste, il faut l`inventer !
Concernant les pirates, votre objectif était-il de les représenter le plus fidèlement possible à la réalité ou de garder une certaine part de romance ?
Bien sûr, il s`agit de romancer. Les pirates ont infesté la Méditerranée pendant des siècles. Selon Braudel, ils ont fait reculer l`activité économique de 5 à 10 km sur les rives nord de la Méditerranée aux XVIe et XVIIe siècles, car les riverains avaient peur des razzias, surtout en termes d`êtres humains. A partir de la réalité, le romancier peut, doit broder, il tricote autour de la réalité, pénètre dans les domaines du rêve et du possible, et la frontière entre les deux est souvent très floue. Cela dit, je me suis aperçu en écrivant de deux réalités : la soif de liberté et le fait que les pirates d‘aujourd`hui n`ont rien inventé.
La Méditerranée du XVIème siècle est le théâtre d`affrontements mais aussi d`échanges entre chrétiens et musulmans. Impossible de ne pas faire de parallèle avec le monde d`aujourd`hui et les relations entre Islam et occident. Aviez-vous la volonté d`ancrer ce récit dans une problématique contemporaine ?
Oui, bien sûr. J`ai beaucoup écrit sur les routes de la Soie, lieux d`échange pendant des siècles non seulement de marchandises mais aussi d`idées. Entre les caravansérails, les marchands transportaient de la soie, des tissus de Damas ou de Mossoul, de l`or, des lapis-lazuli mais aussi véhiculaient les idées, les valeurs. Les religions du Livre ont pu dialoguer sur cette matrice. L`Islam a connu des périodes fastes et de concorde avec les autres civilisations sur ces sentes, parfois improbables. La Méditerranée a été un lieu d`échanges, de guerres, de rapprochements incessants et continue de fasciner, de rapprocher ou d`éloigner, par une sorte d`attraction-répulsion. Il se trouve que le livre a été publié au moment des révoltes arabes et j`ai trouvé maints points communs entre ces deux périodes de l`histoire, dont une incroyable soif de liberté, la tutelle des raïs, chancelante aujourd`hui, le désir d`entente entre les peuples, des plaidoyers pour un Islam des Lumières et un sens de la tolérance.
Alger est un personnage à part entière du livre. C`était alors une ville à la fois très vivante et très importante dans le bassin méditerranéen. Malgré sa captivité, le séjour de Cervantès dans cette ville n`est-il pas pour lui une chance d`approfondir sa connaissance d`une culture étrangère ainsi que de se confronter à sa propre imagination ?
C`est vrai. Cervantès s`est imaginé un monde pour mieux échapper à ses pirates, même s`il vivait dans une prison dorée, à ciel ouvert ! Les royaumes barbaresques pratiquaient alors une certaine tolérance et les chrétiens disposaient de lieux de culte, d`estaminets et même de bordels. Cervantès a appris le franco, le dialecte parlé par Les captifs et certains pirates, mélange de langues méditerranéennes. Il a découvert l`islam et séjourné avec différentes communautés –Bédouins, juifs, renégats, janissaires turcs. Il a découvert aussi l`univers des intrigues, les querelles de pouvoir, les coups de poignard florentins, les manœuvres entre les les milices pirates et les Turcs. La ruse et l`amour vont l`aider. Ce fut, au-delà de la captivité, une merveilleuse école, l`occasion de découvrir d`autres mondes.
Face à la captivité, l`imagination est-elle la seule arme dont on dispose ?
Oui, je crois, ainsi que le désir de liberté, qui représente la même chose. L`homme invente son destin. Il sait dessiner sa cage, il sait aussi sculpter la clé pour sortir de sa geôle. J`ai vu beaucoup de misères dans le monde et suis toujours surpris de ce vœu de liberté, de ce souhait de se grandir, d`esquisser son propre destin. Cela passe par la dignité, même dans les bidonvilles, dans les townships d`Afrique du Sud, les slums de Calcutta, par le respect de soi et des autres. L`imagination est l`une des portes pour sortir des ghettos.
Vous avez écrit de nombreux Romans, essais, carnets de Voyages mais vous avez aussi réalisé de nombreux films pour la télévision et récemment pour le cinéma. Comment se fait le choix du support pour vos récits et enquêtes ?
Cela dépend du pays et du thème, mais l`enquête repose principalement sur l`écriture, et le film n`est souvent que le prolongement du reportage ou du document. J`ai écrit Le faucon afghan et tourné le film L`opium des talibans pour dénoncer les trafics des fondamentalistes afghans, et surtout leur hypocrisie. le récit J`Aurai de l`Or porte sur les méfaits de la mondialisation sur la plus grande forêt tropicale du monde, l`Amazonie, le poumon de la planète. Écrire un livre, un reportage ou tourner un documentaire : la matière est souvent la même.
Oscar Wilde écrivait que "Tout portrait qu`on peint avec âme est un portrait, non du modèle, mais de l`artiste." Vous partagez de nombreux points communs avec Cervantès. Comme lui, vous avez beaucoup voyagé et avez été quelque fois capturé. Peut-on voir dans ce roman les prémices d`une future autobiographie ?
Je crois que tout écrivain met une part de lui-même dans les livres qu`il écrit, qui ce soit un roman ou un document, et aussi éloigné que soit le sujet de son propre parcours. L`autobiographie cependant est parfois une descente dans les oubliettes du nombril. « Mon moi est haïssable » écrivait Pascal –une phrase à prendre dans la dimension de l`hyper-centration, qui est souvent le propre de l`homme. Reste que de nombreuses autobiographies sont des merveilles ! Et il n`y pas de recette, simplement des alchimies. Beaucoup d`auteurs ont bien plus de choses à dire que moi ! le voyage est une rencontre avec l`autre, un mouvement perpétuel d`amitiés et de découvertes. L`humanité est faite d`un mariage de destins, ceux d`hommes et de femmes qui naissent et qui meurent dans l`amour et, malheureusement, parfois la haine. le roman permet, souvent, de célébrer les retrouvailles de l`homme avec ce qu`il a de meilleur et de dénoncer ce qu`il a de pire. Dans l`espace temps qui est imparti à l`être humain entre la naissance et le dernier souffle, l`apport du roman peut être utile, même s`il est toujours à renouveler.
Découvrez le Barbaresque aux éditions Flammarion.