La langue charnelle et lumineuse de Maryline Desbiolles exalte les vestiges d’un monde à la Giono submergé par la modernité. Une sensualité et une facture classique qui n’ont rien perdu de leur puissance pour évoquer vingt ans après Anchise, couronné par le prix Femina en 1999, le trajet du neveu d’Anchise et son initiation émerveillée au monde.
Il y a du réalisme magique dans le roman de Maryline Desbiolles qui exalte, comme toujours, l’âme de la Provence. Le neveu d’Anchise est un hommage à une nature en perdition. Pour preuve, le mas d’Anchise est rasé pour laisser place à une déchetterie. Les éternelles fiançailles romantiques de l’Entre-deux-guerres laissent la place au mélange (ou plutôt au non-mélange) des genres. Tout change.
L’univers d’Anchise prend ainsi un air d’Arcadie, comme dans un tableau de Poussin aux couleurs tranchantes qui flamboient dans la clarté de l’air. Une harmonie perdue, ou rêvée, avec la nature. D’une vie en accord avec le paysage qui entoure ce veuf éternel, amoureux de ses abeilles. Tout bourdonne, bruit et luit autour de lui. La beauté du monde le console de son amour de jeunesse perdu. Il se laisse envoûter par ce cadre enchanteur en passe de sombrer avec la modernité. « (…) tout un monde coloré et sonore auquel Eugène Anchise était promis, tout un monde bavard passé à la trappe ». Grignoté par la ville et les impératifs de confort de ses habitants qui se mue à l’envi en touriste globalisé. Réduit au silence et à la pollution sonore.
Lire un roman de Maryline Desbiolles, c’est retrouver la saveur de cet univers à la Giono. Un monde panique où les figures puissantes de la mythologie grecque ressurgissent çà et là. Un monde saturé d’images, qu’anime un insondable désir de vivre. Une vision sensuelle, éblouie du monde, dont les dernières étincelles s’envolent en tourbillon avant de s’évanouir pour de bon dans l’air souillé. Part de rêve à laquelle chacun tente désespérément de s’accrocher en temps de peste et de pollution invisible.
« Adel est un buisson, il n’est plus le gardien de la déchetterie mais gardien de chèvres, je ne serais pas surpris de le voir sortir de sa poche une flûte de Pan ».
« Il s’arrête brusquement, se retourne vers moi. Une branche de lentisque s’est prise dans ses cheveux drus. Elle lui fait une couronne. Je devine la sueur qui perle sur ses tempes, ses lèvres humides, son odeur de pain chaud, la branche de lentisque lui fait une couronne ? Adel est un buisson, il n’est plus le gardien de la déchetterie mais gardien de chèvres, je ne serais pas surpris de le voir sortir de sa poche une flûte de Pan ».
Le neveu d’Anchise est un esthète égaré dans un monde de grossièreté. Un des Esseintes ressurgi au début du vingt-et-un-nième siècle. Il médite sur la corruption du monde et la contamination des âmes, gangrène. Angélique ce regard d’adolescent ? Jeune. Aubin regarde sa part d’innocence s’envoler en fumée avec les déchets qui ont pris possession de la colline rêvée.
La musique (Chet Baker), comme pour nous la littérature, lui offre une voie de rédemption. « Je suis déjà touché, comme un fruit abîmé, un fruit tombé. Même Abel, même mes pensées vers Adel sont déjà flétries, mais je veux leur garder une autre chance pour d’autres mots, d’autres images, je souffle à mort dans ma trompette pour faire place nette, dégager une chance de silence. Un silence éclatant. Un grand blanc. »
L’auteure de La Seiche, récompensée par le Femina pour Anchise restitue en phrasé velouté l’étoffe, le soyeux, la plénitude des sentiments. Reste, après cet inventaire avant fin d’un monde une question essentielle : « Et s’il y avait dans le vieux monde voué aux orties de quoi nous revivifier ? ».
>Le neveu d’Anchise, de Maryline Desbiolles. Seuil, 135 pages, 16 euros.
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