Pour avancer, il fallait suivre le néon. Les premiers mots pour dire cette sensation de fracassé, ce poids dans les chaussures, le corps qui marche seul, mû par l’inertie des pentes, après avoir rempli les tâches répétitives du travail. On n’a pas le droit de se parler, encore moins l’envie ; on ne voit plus le soleil. Que le néon. Où qu’on aille, du matin au soir, cet éclairage sans lumière, ce halo sans tunnel, cette source sans issue, le néon est partout au-dessus de nos têtes. Et dans le crâne cette permanente question : Est-ce que j’en fais encore partie ?
Cette même question que l’on se pose en G. A. V., en garde à vue. Faire partie de la société, vivre ensemble, faire corps, aujourd’hui, ça veut dire quoi ? Au plafond du commissariat : le néon. Et si c’était le même ? Le même néon aux ombres nettes, aux découpes franches, dans chaque zone où l’on façonne les parias. Sous lui, c’est l’antichambre de la prison. Sous lui, c’est le rappel à la loi. Sous lui encore, c’est une bravade virile et vaine. Sous lui aussi, le lieu de travail. Enfin, pour les mêmes personnes dans ce pays, toujours les mêmes, sous lui, c’est le risque d’y rester. La G. A. V. comme miroir grossissant de nos réalités.
Voilà où m’aura mené ce néon. Un roman choral, c’est sûr, une fresque en creux de notre société, je l’espère, une dernière sommation, je le crains. Mettre en lumière dans un même texte les violences policières et les suicides en uniforme, deux faces d’une même pièce. Percer les sévices au travail comme les fureurs de l’intime. Éclairer les enfermements, ceux du dehors comme du dedans. Écrire le vieux monde qui tremble, encore, et le nouveau qui saigne, déjà. Pour espérer sortir un jour de notre voie de garage, avant la nuit, ultime urgence : briller plus tendres que les néons.”