Virginie Despentes a convaincu les jurés du Renaudot avec son livre coup de poing qui raconte une étrange course poursuite entre Paris et Barcelone, dont on sent dès le début qu’elle ne finira pas bien.
Noir et rythmé comme du rock, moderne et sans pitié, ce nouveau livre est l’un des rendez-vous marquants de cette rentrée littéraire. Une lecture qui laisse KO face à ce constat de relations à angles aigus et de jeunesse perdue.
Amateurs de guimauve et jolis sentiments, passez votre chemin. Virginie Despentes décline depuis Baise moi son style à la mitraillette qui tire sur tous les faux ornements de la vie et les confortables arrangements avec le réel. Elle n’y déroge pas avec Apocalypse bébé, qui comme le titre l’indique n’annonce pas une gentille bluette avec happy end. Oui, Apocalypse Bébé est un coup de poing, qui affiche la couleur dès le début avec une héroïne, Lucie Toledo, qui officie sans conviction dans une agence de détectives et se retrouve embrigadée dans la recherche d'une jeune fille fugueuse, Valentine, dont elle a perdu la trace, alors qu’elle était chargée de sa protection.
Une jeune fille dont le père est un romancier sur le déclin, la mère disparue, enfuie sur un coup de tête pour vivre une passion destructrice et une belle-mère qui veut « faire semblant que tout va bien », tout en sachant que tout n’est qu’illusion. Au milieu : une sorte de théâtre au néon dont on comprend vite qu’il va davantage ressembler à une tragédie à la Antigone qu’à un vaudeville à la On purge bébé. Au fur et à mesure que la recherche se met en place, le livre nous entraîne dans une sorte de road-trip sans concession, où la narratrice s’associe avec une autre détective en perte de vitesse surnommée La Hyène, aussi redoutable que désespérée.
Car chez Virginie Despentes, les protagonistes sont tous dans une vie sans issue. « La Hyène , c’est du tragique pur, quand tu t’approches de près, tu sais vraiment ce que c’est que la solitude, la tristesse et l’inaptitude », déclare un des personnages pour décrire cette Hyène irréelle. Un portrait qui résonne sans pitié dans cette course poursuite sans enjeu où, les hommes sont des incapables ou des profiteurs, les filles hétéros « ont l’habitude d’être traitées comme des chiennes » , les lesbiennes sont sans illusion, et où les jeunes filles en fleurs taillent des pipes sur les bancs publics. Ici, le sexe est une violence ou une pulsion, jamais un plaisir.
Alors, sexe, drogue et no future ? Il y a comme une soumission à un désespoir qui est devenu la norme. Et pourtant Apocalypse bébé est aussi un livre avec du rythme. Une sorte de tempo un peu sourd et sombre qui chaloupe, trépide, claque, puis repart avec puissance. Malgré le no hope, malgré l’instrumentalisation de chacun, malgré l’absence de sens, Virginie Despentes donne à la solitude des lettres qui brillent. C’est rock, c’est intense, c’est fort. Alors, on est pris par le livre, même si on ne sait pas toujours pourquoi. A un moment, la Hyène dit à l’héroïne : « Putain, ça doit pas être facile, d’être toi ». Virginie Despentes sait mieux que quiconque exprimer la solitude qui s’enfonce, la vie qui s’enlise. Mais elle sait aussi suggérer le vrombissement des rues et le rythme des non-émotions.
Chez Bret Easton Elis, le roi du destroy à l’américaine, la vacuité des êtres flotte sur un océan de luxe et de marques, la douce ivresse de l’argent. Chez Virginie Despentes, au contraire, le sordide envahit toute la société, les héroïnes ne font pas semblant, elles ont le désespoir ordinaire, avec des chambres d’hôtel sordides, et des drogues pour abrutir : « les enfants se défoncent… pour écraser l’intelligence ». Bref, l’univers que décrit Virginie Despentes est un moins que zéro avec beaucoup moins de zéros sur le compte en banque. C’est donc encore plus fort, car plus réel.
Et, dans ce monde-là, les femmes sont des guerrières sans armure. Certaines acceptent le combat et avancent sans trop savoir où elles vont, affirmant que leur no future est aussi un acte de bravoure. Quant à celles qui n’arrivent pas à trouver leur place dans ce combat vital que leur reste-t-il ? Réponse dans cette chronique d’une apocalypse annoncée. Avec la musique des mots en prime.
Virginie Despentes, Apocalypse bébé, Grasset
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