Mais ce que je préfère, même si je poursuis parfois quelques espèces animales pour les photographier, sans y parvenir d’ailleurs, ce sont les parterres de jonquilles et de narcisses dans les pâturages de la Margeride au printemps. Puis les bruyères et les genêts qui enivrent les narines l’été.
Les fleurs, ça sent bon, et pour les photographier c’est facile. Ça ne s’enfuit pas lorsque vous les approchez. Vous vous approchez délicatement, vous prenez la position. Vous réglez votre objectif et tac. Ni une ni deux. C’est beau. Ça sent plus mais c’est beau. Quand je regarde mes photos, l’odeur me revient comme si j’y étais. Je les regarde surtout en hiver mes photos. Ben oui, en hiver plus de fleurs à observer dehors. La neige recouvre tout en moins de deux et pendant six à sept mois avec ça.
Les jonquilles, les narcisses, j’en cueillais auparavant. Avec Rafael, mon frère. On se faisait un peu de blé. Ça payait nos carambars et nos roudoudous. Rafael préférait les roudoudous. Moi je ne les aimais pas trop, ils étaient trop durs et trop longs à lécher. Ça me faisait des crampes dans la langue les roudoudous. Et dans les mandibules. Pis moi j’aime bien croquer les bonbons. Les roudoudous tu ne peux pas les croquer à cause du coquillage en plastoc au-dessous. Ça te niquait les dents comme dans la chanson de Renaud. C’est vrai. Ils étaient trop durs. On n’en voit plus tellement des roudoudous. Peut-être qu’ils ont disparus. Il faut dire que je ne traîne plus vraiment dans les boulangeries ou les petites épiceries où on les trouvait. Les petites épiceries il n’y en a plus beaucoup. Elles ont fermé. Celle du village où j’habitais n’a pas trouvé de repreneur pour remplacer la vieille dame qui la tenait ouverte sept jours sur sept, même le dimanche. Elle était seule depuis longtemps, probable que sa petite boutique servait à lui éviter le vague à l’âme et lui garantissait une vie sociale. C’était ça les petits commerces. La vieille est morte après avoir travaillé sans jamais s’arrêter et personne n’a repris le magasin. Une supérette est venue s’installer. Je crois que les touristes aiment bien les libres-services, ça les rassure.
(...)
J’aime cette glèbe pour les sous-bois emplis de myrtilles, au mois d’août, que l’on cueille avec un peigne. Pour en faire des confitures et des sorbets. Puis un peu plus tard dans la saison, on trouve des cèpes si on est chanceux. Les coins à cèpes sont sauvagement gardés par les connaisseurs. Ils ne les dévoilent pas à n’importe quel touriste. C’est comme ça. J’aime aussi les forêts de bruyères qui descendent jusque sur les talus, dont les violets se déclinent en camaïeux suivant l’avancement de la saison.
Les coulemelles s’épanouissent dans les clairières et dans les prés à vaches près des bouses. Jeunes, elles ressemblent à une baguette de tambour. Ou une verge. Je caressais leur revêtement pelucheux crème et ocre avant de les ramasser. Je faisais coulisser l’anneau le long de la tige. Le mamelon brun au centre du chapeau me donnait une petite érection après que je l’aie associé à un autre mamelon qui m’était interdit. Je n’avais pas l’âge. Maintenant si. Mais ma verge ne se dresse plus à regarder les champignons. Il était amusant de constater qu’une verge vieillissante se transformât en mamelon rebondi.
Nous les cuisinions, les coulemelles, avec un peu d’ail et des œufs brouillés. Aujourd’hui encore je les déguste de cette manière simple. J’y ajoute une goutte de vin blanc. C’est divin. Le fondant du champignon mêlé à l’acidité délicate du vin et l’âpreté de l’ail. C’est comme mêler la rancœur à l’extase, l’amertume à la joie.
Les gens lettrés appellent la coulemelle « lépiote excoriée ». Pour moi c’est une coulemelle. J’aime la simplicité. Sans être simple d’esprit. Aujourd’hui, je sais que je ne suis pas simple d’esprit, bien que je l’eusse longtemps cru à cause de mes difficultés en lecture.
Coulemelle rime avec ombrelle. Faire rimer les mots m’emplissait d’une joie incommensurable, bien que je ne sache pas encore bien les lire - les mots.
Je sais que je suis dyslexique. C’est ennuyeux. Ça aussi.
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