Si la célèbre Madame Bovary de Flaubert est bien connue du lecteur, son mari, Charles, l’est un peu moins. Qui est donc ce personnage dont la « conversation est plate comme un trottoir de rue » ? Charles Bovary, personnage le plus humain du roman ne serait-il pas le héros sacrificiel de la tragédie flaubertienne ?
Charles Bovary n’a en effet rien du héros romanesque que la belle Emma rêve d’épouser un jour. Élève médiocre, médecin peu qualifié et toutefois mari dévoué, il ne parvient à combler une femme submergée par ses fantasmes.
Il est vrai que l’histoire ne commence pas vraiment bien pour celui qui est censé être l’homme du roman. Le récit s’ouvre sur le petit Charles, élève de cinquième et nouveau au collège. Ce que le lecteur apprend d’abord de lui, c’est qu’il est un « gars de la campagne », qu’il a « l’air raisonnable et fort embarrassé ». Le pauvre garçon n’a, en somme, rien d’extraordinaire.
Peu après, survient la mésaventure de la « casquette ». Ne sachant pas que l’habitude des élèves est de la jeter sous le banc en entrant dans la classe, le garçon la garde sur ses genoux puis la laisse tomber, ce qui provoque le rire général. Rien ne s’arrange ensuite lorsque « le nouveau » tente de se présenter à son professeur. Impossible pour lui de prononcer autre chose que « Charbovari » ce qui déclenche une nouvelle fois la moquerie générale. La poursuite de ses études, s’il reste un élève sérieux, ne le rend pas plus brillant. Charles a suivi des cours de médecine certes, mais « n’y comprit rien : il avait beau écouter, il ne saisissait pas ». Ainsi, à peine le personnage de Charles est-il introduit que celui-ci est raillé de tous et ne parvient déjà pas à se faire entendre…
Après l’échec d’un premier mariage où il ne parvenait à se faire entendre par sa femme, Charles épousa Emma Berteaux dont il tomba éperdument amoureux. Dévoué, sincère et inquiet, il ne souhaite que son bonheur. Or entre le jeune homme qui se veut simple médecin de campagne et la jeune femme qui s’attend à vivre ce qu’elle a pu rencontrer dans ses lectures romanesques la désillusion est rapide. Charles se révèle être un piètre mari aux yeux d’Emma : il emmène sa femme au bal mais s’endort sur un fauteuil tandis que les couples dansent et tourbillonnent autour d’Emma. Il insiste pour qu’elle pratique l’équitation, mais celui-ci ne la précipite qu’un peu plus dans les bras de son futur amant. Il l’encourage ensuite à suivre des cours de piano, alors que celle-ci ne cherche qu’un prétexte pour s’éloigner un peu plus du cercle familial et retrouver Léon, le nouvel homme pour qui elle s’est éprise d’amour.
Cet échec, Flaubert nous l’annonçait dès les premières pages du roman avec l’épisode humiliant de la casquette. Quelques chapitres plus loin se retrouve en effet l’évocation détaillée de la pièce montée d’Emma et Charles, aussi surchargée et aussi peu raffinée que l’était le couvre-chef du garçon. Ainsi, au chapeau « ovoïde et renflée de baleines », qui « commençait par trois boudins circulaires » et auquel pendant « un petit croisillon de fils d’or en manière de gland », répond une pâtisserie non moins grotesque. Lorsque la casquette déclenchait les rires, le gâteau lui « fit pousser des cris » car « c’était un carré de carton bleu figurant un temple avec portiques,colonnades et statuettes de stuc tout autour, dans ces niches constellées d’étoiles en papier doré »… La description se poursuit encore sur une vingtaine de lignes mais son introduction en dix long : ce gâteau est fait de tout, sauf de finesse. La pièce montée présageait un mariage à son image, une union ratée.
Néanmoins, alors qu’Emma multiplie infidélités, dépenses et caprices, Charles lui reste fidèle et bon. Madame Bovary est entourée d’hommes mais rares sont ceux qui lui viennent en aident. Par Homais, l’apothicaire, elle obtient l’arsenic qui lui donne la mort ; par Lheureux, le marchand d’étoffes, elle s’endette lourdement. Rodolphe et Léon enfin, s’ils semblent d’abord à la hauteur des personnages romanesques qu’elle a pu rencontrer dans ses ouvrages, ils n’auront aucun scrupule à se jouer d’elle. Ni l’un ni l’autre ne la soutiendra au moment où la saisie de ses meubles a été annoncée. Emma n’a alors plus qu’à se donner la mort. Charles devant son malaise lui pardonne et la soutient.
Son amour est alors tout ce qui lui reste. Si Charles ne sait pas gérer les situations de crise (lire l’échec lamentable de l’opération du pied-bot du pauvre Hippolyte), en réalité, il a ni véritablement échoué, ni vraiment réussi. Flaubert écrivait dès le début que « sa figure prit une sorte d’expression dolente qui la rendit presque intéressante ». Charles a ainsi presque réussi à devenir un bon médecin ; il a presque été un bon père et il a presque été un bon mari. Il n’était - à l’évidence - pas possible de répondre aux attentes fantasmées de cette Madame Bovary qui ne souhaite rien d’autre qu’être l’incarnation de l’héroïne romantique et romanesque. La bonté, l’honnêteté et l’amour dont Charles fait preuve envers sa femme et sa fille du début à la fin du roman ne peut que rallier un lecteur qui, finalement, compatit. Charles Bovary mourra ainsi en tenant dans ses mains « une longue mèche de cheveux noirs. »
>Gustave Flaubert, Madame Bovary, Livre de Poche
Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller, Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag
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