Il y a 78 ans Primo Levi était libéré du camp d'Auschwitz par l'Armée Rouge. Il fera partie des 7500 survivants et sera seulement l'un des 88 à revoir sa patrie, en l'occurrence l'Italie. Ce chimiste de formation déporté à 24 ans est devenu écrivain pour la "nécessité de témoigner". Son livre Si c'est un homme (Pocket) est probablement l'œuvre littéraire la plus puissante pour révéler l'innommable. Lisons-en un extrait, en ce 27 Janvier, Journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité. qui nous rappelle à notre devoir de mémoire.
« J’ai eu la chance de n’être déporté à Auschwitz qu’en 1944, alors que le gouvernement allemand, en raison de la pénurie croissante de main d’œuvre, avait déjà décidé d’allonger la moyenne de vie des prisonniers à éliminer… ». C’est ainsi que commence " Si c'est un homme" (Pocket), le livre que Primo Levi écrivit pour tenter de nommer l'indicible. Déporté à 24 ans au camp d'Auschwitz, à Monowitz, il fit partie des 7500 survivants libérés par l'Armée Rouge, le 27 janvier 1945 il y a 75 ans exactement. Jusqu’à sa mort en 1987, ce chimiste de formation a cherché le sens d'un deuil indécent. Il s'est battu contre le déni et l'oubli et a voué sa vie à apporter son témoignage par différents textes dont Si c'est un homme reste l'œuvre la plus puissante.
Lorsque Primo Levi commence la rédaction de Si c'est un homme, il ne sait pas s'il peut écrire; comment mettre des mots sur le non-humain? Comment prendre la mesure du souvenir, alors que la mémoire est impossible ? Comment vivre "après", alors que tant sont morts? Comment ne pas tomber dans une littérature de sentiments alors que justement parler d'Auschwitz c'est parler de l'expulsion de soi-même ? De la négation de toute émotion dans la quasi-mort du corps, mais aussi de l'esprit, du coeur. Le chimiste écrit et décrit presque froidement ce qu'il a vu, entendu, vécu. Il se veut au plus juste, sans aucune interprétation, ni subjectivité.
Comme l'écrit Roland Barthes "L'image ne peut tout, le texte oui". Les photos et films issus des camps ne donnent pas la mesure de la réalité. Primo Levi adopte un un style simple, qui ne prend pas le tour du récit subjectif et réussit à donner forme à un texte universel, presque "scientifique". Il emprunte aussi à L'Enfer de Dante, la représentation de cet envers du monde dont nul ne peut réchapper, même si il y survit. C'est ce qui fait de Si c'est un homme une œuvre unique, probablement la plus juste qui ait été écrite sur les camps nazis, la plus puissante dans sa force contenue.
Primo Levi l'a souvent exprimé durant sa vie "d'après" : comment oser écrire? Et pourtant animé par la nécessité de témoigner, le "survivant" s'est battu pour que cette voix puisse être entendue. Le lecteur saisit comme un composant chimique serait saisi par une "précipitation" qui ne souffre aucun commentaire. Il est important de le lire, pour tenter d'approcher l'entendement de l'absolue horreur des camps nazis. On ne sort pas indemne de cette lecture. Elle appelle au respect et au recueillement, pas à la discussion.
Ecoutons la voix de Primo Levi. Il parle dans un poème placé en exergue de son récit, comme une adresse au lecteur, un appel à la nécessité de la mémoire. Ces mots sans apprêts, sonnent comme un hymne de douleur et honorent aujourd'hui le souvenir de celui qui l'a écrit, et au travers lui, de tous ceux qui ont disparu dans les camps.
Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c' est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui pour un non.
Considérez si c'est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu'à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N'oubliez pas que cela fut,
Non, ne l'oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s'écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.
Turin, janvier 1947, Primo Levi
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