Alors qu'Adieu l'Europe, film de Maria Schrader avec Josef Hader, Barbara Sukowa et Aenne Schwarz revient sur les derniers jours de Stefan Zweig, la fascination que l'écrivain viennois suscite chez les lecteurs ne se tarit pas. Au point qu'il est l'auteur étranger le plus lu en France. Pourquoi une telle passion? Nous avons trouvé 10 raisons qui l'expliquent. Si vous en connaissez d'autres, n'hésitez pas à compléter la liste...
Chaque fois que le nom de Stefan Zweig apparaît, le succès est assuré. Une réédition ? Tout de suite en tête des ventes. Une pièce de théâtre (on ne compte plus les adaptations de 24 heures de la vie d'une femme ou Lettre d'une inconnue) ? Le public plébiscite. Un livre inspiré de la vie de l'écrivain autrichien ? Les lecteurs se précipitent, témoin l'émouvant Les derniers jours de Stefan Zweig de Laurent Seksik qui a dépassé les 100 000 exemplaires l'année de sa sortie en 2011. Un film sur lui ou à partir d'une de ces oeuvres? La fascination se poursuit et les spectateurs accourent. Tel est le cas du dernier en date, Adieu l'Europe, film de Maria Schrader avec Josef Hader, Barbara Sukowa et Aenne Schwarz, qui revient sur la dernière séquence de la vie de Stefan Zweig. L'interprétation de Josef Hader est très convaincante, le film réaliste juste ce qu'il faut, laissant planer le doute sur le mystère Zweig. Car il existe un mystère Zweig. Comment expliquer que celui qui a su si bien parler de l'ombre au point d'être rattrapé par sa propre obscurité a toujours, y compris de son vivant, attiré la lumière? Abonné à la reconnaissance du public, il a connu la gloire très tôt. Ses amitiés aussi furent le reflet de son éclectisme rassembleur : de Sigmund Freud, à Romain Rolland, en passant par Joseph Roth, Emile Verhaeren ou Georges Bernanos... Symbole d'un siècle moribond, d'un temps qui s'en va idéalisé et d'un siècle qui s'en vient désenchanté, Stefan Zweig s'en est allé porté par les ailes de son suicide, figeant à jamais la plénitude de sa mémoire. Tentons de comprendre les 10 raisons qui expliquent une postérité si heureuse.
Stefan Zweig est un écrivain qui aimait les femmes. Pas seulement pour sa vie amoureuse. Il avait compris l'importance croissante des femmes dans la société, leur inextricable malaise à n'être "rien", et leur incroyable puissance à affronter leurs rêves. Mieux que ses contemporains, il a su les comprendre et se mettre à leur place. Lettre d'une inconnue, 24 heures de la vie d'une femme ou encore La confusion des sentiments, ou encore Ivresse de la métamorphose sont autant de partitions autour de la femme. La gent féminine le lui rend bien. Les lectrices sont séduites. Elles plébiscitent une oeuvre qui leur parle aussi d'elles.
Stefan Zweig a consacrél'empathie et le lyrisme en littérature. On dirait qu'il ne résiste pas à ses personnages, reflet de ses propres émotions. L'écrivain assume cette fusion émotionnelle, au point de gommer tout le reste. Y compris lorsqu'il s'essaie à la biographie, il ne peut s'empêcher de jouer de la "subjectivité lyrique". Une posture qui s'est accrue tout au long du XXè siècle mais qui n'était pas légion à la fin du XIXè siècle et au début du XXè. Au contraire, le romancier se devait de s'effacer dans un rôle de conteur d'histoires sans complaisance. En ce sens Thomas Mann, dont va sortir une nouvelle traduction de La Montagne magique est à l'opposé de l'écrivain autrichien. Zweig-Mann : deux faces d'une littérature dont le curseur est à l'opposé : émotion sensible contre démonstration érudite. Zweig a choisi de plonger dans le torrent des émotions et y a trouvé un infini palpitant.
Pas de happy end avec Zweig. Mais une noirceur toujours parée d'élégance. Le tragique avec tenue. La mélancolie est belle et l'échec n'est jamais coupable. Les héros de Zweig épousent un destin qui les dépasse. Il leur est rassurant de savoir que le malheur est une acceptation plus douce que la lutte pour un bonheur impossible. Cette posture parle à tous ceux (et celles) qui succombent avec panache à cette sensation de l'"impossibilité de vivre". Comme l'écrira Stefan Zweig : «Seuls les moments de crise comptent dans l'histoire d'une vie.» La société moderne qui a placé au sommet de sa consommation, l'ingestion d'antidépresseurs et d'anxiolytiques ne peut qu'apprécier une telle valorisation du désespoir.
Post-romantique? Passsionné ? Désespéré ? Amoureux transi ?Stefan Zweig est un peu tout cela et c'est ainsi que dans ses livres, il ose les passions dévorantes. Les feux de l'amour avant l'heure à la sauce Sécession viennoise ? Certains de ses détracteurs le lui reprochent. Ce serait méconnaître la complexité de Zweig que de le réduire à une écriture sentimentale. Oui, il ose parler d'histoires d'amour et de romances tragiques, mais il sait aussi composer ce "je ne sais quoi" qui fait que ses héros laissent une trace à jamais indélébile dans la mémoire. Difficile à expliquer. Peut-être parce que la plupart de ses histoires d'amour finissent mal en général. Comme le dit la chanson. Et comme le pensent désormais la plupart de nos contemporains. Zweig est sentimental certes, mais pas idéaliste. Il a osé affirmer la non pérennité de la relation amoureuse, comme principe. Tout en assumant de se brûler aux flammes de la passion.
Faisant siennes les théories de son compatriote Sigmund Freud , Zweig a compris combien l'être humain est complexe et paradoxal. Il a observé que ses actes sont souvent portés par une part qui lui échappe, ce qui va à l'encontre de l'idéologie de la conscience souveraine. Zweig a trouvé que les ressorts profonds sont souvent inavouables, mais qu'ils influent sur le destin de chacun, à son insu parfois. Le romancier s'est fait un plaisir de placer les projecteurs vers les sous-terrains de l'âme. A notre époque du "Tout au désir", cette vision d'une psychologie portée par ses courants contraires fait figure de miroir d'une étonnante modernité.
Les formats de récits de Stefan Zweig se rapprochent le plus souvent de celui de la nouvelle. Des textes souvent courts et fluides, adaptés à une lecture moderne. La "longue" littérature exige une concentration qui fait défaut parfois aux hommes et femmes pressés d'aujourd'hui. Une qualité pour la société moderne, qui a même accordé le prix Nobel de littérature à une spécialiste de la nouvelle, Alice Munroe. Pourtant, c'est cette qualité qui lui a été reprochée par ses détracteurs qui jugent ses textes trop "légers". Des récits-esquisses, qui suggèrent plus qu'ils ne démontrent. C'est ainsi que comme dans des pantoufles le lecteur se glisse dedans, en projetant son propre imaginaire. Version light et intense.
Contrairement à ses contemporains comme Thomas Mann, Rainer Rilke, Joseph Roth ou Robert Musil qui trouvaient que le style de Zweig manquait d'élégance, les lecteurs d'aujourd'hui apprécient ce ton presque parlé, qui favorise un lien direct. Le lecteur a l'impression que le texte lui est raconté au fil de la confidence. Stefan Zweig ne cherche pas l'effet de manche. Au contraire, ses mots se lisent comme ils se disent. Rien d'étonnant à ce que plusieurs de ses livres aient fait l'objet d'adaptations théâtrales ou cinématographiques. La phrase se donne sans effort et le souvenir persiste sans crier gare. Signe que le style ne manque pas d'efficacité.
Entre le monde d'hier et le monde qui se transforme, Stefan Zweig a mieux que quiconque pris la mesure de la bascule des civilisations. Le sens du non-retour et de la perte. Juif "par hasard" - « Ma mère et mon père étaient juifs par le hasard de leur naissance. » écrira-t-il, Stefan Zweig était avant tout un humaniste pacifiste et universaliste. Très tôt, il a compris, non seulement la barbarie du nazisme, mais son signal de destruction profonde de toutes valeurs du monde. Comment continuer à croire en l'Homme après "cela" ? Zweig convoque la nostalgie d'un âge d'or et une méfiance vis à vis de tous les prophètes du renouveau. En ce sens il a été visionnaire des effets délétères de la pensée totalitaire. Et aujourd'hui encore, sa vision montre combien il est important de défendre l'héritage des Lumières.
Dans Le Monde d'hier. Souvenirs d'un Européen, Stefan Zweig écrit : « Né en 1881 dans un grand et puissant empire [...], il m'a fallu le quitter comme un criminel. Mon œuvre littéraire, dans sa langue originale, a été réduite en cendres. Étranger partout, l'Europe est perdue pour moi... J'ai été le témoin de la plus effroyable défaite de la raison [...]. Cette pestilence des pestilences, le nationalisme, a empoisonné la fleur de notre culture européenne. » Fragilisé par la Première guerre mondiale, il est détruit par la Seconde et ne cessera d'évoquer cet « âge d'or » d'une Europe, dont il n'a pu supporter la désintégration. Une Europe fondée sur la suprématie de sa culture. Alors que notre époque est en proie à une crise de civilisation au moins aussi grande que celle qui a agité les années 30, que l'Union Européenne traverse une crise grave, la nostalgie de Stefan Zweig pour un âge d'or d'harmonie des peuples en Europe, résonne avec une sonorité particulière. Une Europe par delà les identités particulières de chacun.
Légende : Lettre d'adieu de Stephan Zweig, Petrópolis, 22 février 1942
La tragédie appliquée à lui-même. Réfugié au Brésil, après un exil commencé dès 1934 par l'Angleterre, Stefan Zweig ne survivra pas à son errance. Son suicide rend sa mémoire éternelle, figée dans un éclat. Le 22 février 1942, à 60 ans avec sa jeune secrétaire Lotte devenue sa compagne, un mois après la conférence de Wannsee organisant la «solution finale», Stefan Zweig met fin à ses jours. Après avoir terminé la rédaction du Joueur d'échecs qui sera publié à titre posthume et en laissant une lettre d'adieu explicite. L'écrivain mort, sa légende a commencé.
>Visionner la bande annonce du film "Adieu l'Europe" de Maria Schrader avec Josef Hader, Barbara Sukowa, Aenne Schwarz, qui revient sur les derniers jours de Stefan Zweig.
L'oeuvre de Stefan Zweig étant tombée dans le domaine public en 2013, il existe de nombreuses éditions de ses textes.
>Signalons deux sommes qui regroupent la plupart d'entre eux :
-Romans, nouvelles et récits, par Stefan Zweig, Gallimard, coll. «la Pléiade», 2 tomes, sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre, 3000 p.
-La confusion des sentiments et autres récits, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1280 p.
>A paraître le 19 octobre 2016, une remarquable monographie illustrée signée Laurent Seksik (l'auteur de Les derniers jours de Stefan Zweig) : Stefan Zweig, le monde d’hier (Flammarion)
>Quelques titres de l'auteur parmi les plus connus :
-Rêves oubliés,
-Une jeunesse gâchée,
-Lettre d'une inconnue,
-La confusion des sentiments,
-24 heures de la vie d'une femme,
-Amok,
- Le monde d’hier. Souvenirs d’un européen.
-Le joueur d'échecs
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