Au fil de ses livres, Gaëlle Josse pénètre à l'intérieur des êtres et donne à voir les vacillements de leur âme. Dans « A quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? » (Noir sur Blanc), elle partage sous forme de microfictions, quelques instantanés de nuit, qui saisissent un moment, un geste, une émotion... et les transforme en parcelles d'éternité. Un texte de « contre-jour », dont l'auteure a le secret.
Entre chien et loup. La nuit tombe, recouvrant de son grand linceul sombre, les vies des uns et des autres. Les lumières s'allument et scintillent, pendant que les ténèbres se font de plus en plus profondes. Gaëlle Josse déploie son regard sur ces fragiles instants. L'auteure de La nuit des pères, Ce matin-là , L'ombre de nos nuits ou Nos vies désaccordées possède ce talent inimitable pour saisir un moment, un geste et les transformer en parcelles d'éternité.
Avec son stylo, elle saisit les états d'être, à l'instar de la photographe Vivian Maier avec son Rolleiflex, à laquelle l'auteure avait consacrée une biographie : Une femme en contre-jour. Il était déjà question de ces passages entre le jour et l'ombre. De ces vies attrapées, ici ou là.
Dans « A quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? », Gaëlle Josse pénètre les âmes en regardant les vies. En de courts récits, elle raconte la vie de femmes, d'hommes, de couples, d'enfants : une nuit d'insomnie qui divague, sur fond de rancœurs familiales ; la vacuité d'une chambre d'hôtel; l'attente d'une femme pour celui qui doit venir dîner et qui fera défaut ; le regard qui observe par la fenêtre les lumières d'un ancien appartement pour y guetter les traces d'un passé lointain... autant de signes fugitifs qui laissent apparaître les reflets des vacillements.
Gaëlle Josse est venue à l'écriture par la poésie. Dans ce livre, elle nourrit ses microfictions d'une musique poétique. Tout en saisissant les émotions que sa pratique de psychologue connaît bien. Le beau résonne toujours avec profondeur. Il ne s'agit pas ici de faire joli, mais de sonner juste. Et de toucher à la part universelle qui résonne si bien en chacun de nous.
La nuit, tous les lecteurs se retrouvent, dans l'encre des mots de Gaëlle Josse.
« La nuit entre dans la ville, la ville entre dans la nuit. Grise, mauve, bleue, noire. Les fenêtres s’allument, les contours s’estompent, les lumières de la rue, les néons des boutiques, des restaurants, des cafés insistent encore, mêlés aux faisceaux des phares des voitures, aux feux de circulation. Les lumières des appartements, des maisons disparaissent peu à peu, renoncent. Avalées. Dissoutes. L’heure de rendre les armes, ou de résister un peu, encore. Quelques éclats demeurent au milieu des heures profondes, en veille. Parfois une silhouette immobile se détache sur le rectangle éclairé. À quoi songent-ils, tous ceux que le sommeil fuit ? À quelle part de leur histoire, de leur mémoire, à quels absents parlent-ils en silence ? Qu’attendent-ils ?
C’est l’heure des aveux, des regrets, des impatiences, des souvenirs, de l’attente. Ce sont les heures où le cœur tremble, où les corps se souviennent, peau à peau avec la nuit. On ne triche plus. Ce sont les heures sentinelles de nos histoires, de nos petites victoires, de nos défaites. Ils ne sont plus que cela, une présence à la fenêtre, un dos, une nuque, un profil, une main qui écarte un rideau ou un doigt qui trace des initiales sur la buée d’une vitre. Une vie derrière la fenêtre, les lamelles du store écartées du bout des doigts.
Nos nuits éveillées parlent d’étreintes, d’une silhouette évanouie, d’un geste retrouvé, de solitudes accrochées à notre cou, de voix murmurées, de la couleur d’un mur sur une île saturée de lumière, d’une phrase recopiée de carnet en carnet, de l’attente d’un appel, d’un mot qui n’a pas été dit, d’un prénom qui nous hante encore. Où es-tu, maintenant ?
Face à la longue plaine qui peu à peu dévore, engloutit, demeure un point minuscule à la fenêtre, vigie immobile au milieu de la ville, incorporée à l’immensité de la nuit des hommes. Que racontent ces silhouettes silencieuses à la grande nuit bleue ? »
> « A quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? » de Gaëlle Josse, Editions Noir sur Blanc- Notabilia, 224 pages, 17 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur le lien
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