Mémoire de fille (Gallimard), le nouveau livre autobiographique d'Annie Ernaux retrace ses souvenirs de jeune fille, à cheval entre l'adolescence et l'âge adulte, et tout particulièrement l’été 1958 qui marque son premier émoi charnel. Un éveil à elle-même qui n'a cessé d'hanter son esprit depuis et sur lequel elle revient avec une mémoire de cristal. Un récit comme une (en)quête de soi.
La première relation sexuelle est importante pour toutes les filles. En général, cet acte reste aux yeux de la gente féminine, quelque chose de sacré, d'inédit, qu'il faut faire au bon moment, avec la bonne personne et dans de bonnes conditions. Il symbolise grossièrement la perte de l'innocence, brusquement arrachée, percée. A la jeune fille de prendre ses précautions pour que tout se passe bien lors du moment fatidique. Mais si parfois cela se déroule sans anicroche quelconque, il n'en est pas de même pour tout le monde. Annie Ernaux semble faire partie de ces filles qui ont été comme marquées au fer rouge par ce souvenir en particulier, indélébile. C'est dans "Mémoire de fille" au détour de cette fameuse année 1958 que la romancière se dévoile un peu plus. Ce moment où tout bascule pour elle.
L’essentiel de l'oeuvre d'Annie Ernaux est autobiographique. Celle qui a obtenu le prestigieux prix Renaudot pour son ouvrage « La Place » (Editions Gallimard) en 1984, n'a cessé de chercher dans les détours de son histoire les reflets de l'universel. S’ensuivront plusieurs prix littéraires comme le Prix Marguerite Duras et le Prix François Mauriac en 2008 et 2009 pour « Les Années »(Editions Gallimard), et surtout le Prix de la langue française, également en 2008, pour récompenser l’ensemble de son oeuvre. Le style d’Annie Ernaux se veut objectif dans la subjectivité de ce qu’elle écrit. L’écrivaine revendique ce détachement d’elle-même et de son individualité, et cette volonté de faire du « Je » narratif un « nous », « vous ». Appréciée et reconnue par les écoles et les universités, les critiques à son égard sont pourtant parfois mitigées dans la presse littéraire. Mémoire de fille ressemble bien à son auteure : sensible et intense.
«J’ai voulu l’oublier cette fille. L’oublier vraiment, c’est-à-dire ne plus avoir envie d’écrire sur elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n’y suis jamais parvenue.» Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux replonge dans l’été 1958, celui de sa première nuit avec un homme dans une colonie de vacances. Nuit dont l'onde de choc s’est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années. S’appuyantsur des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu’elle a été dans un va-et-vient implacable entre hier et aujourd’hui.
Comme dans une grande partie de l'oeuvre d'Annie Ernaux, Mémoire de fille interroge la mémoire et ses mécanismes, ce qui reste ancré en nous pour toujours. Elle observe comment un évènement traumatisant peut être gravé à vie dans les souvenirs. Annie Ernaux explique qu’elle a toujours voulu rédiger ce livre sur « la fille de 58 » comme elle l’appelle, et qu’il découle d’une longue période de travail, aussi bien au niveau de l’écriture, qu’au niveau de la mémoire, quarante-cinq ans après les faits. Un travail d'exutoire, mais aussi d emiroir sur le chemin parcoiru depuis.
Dans Mémoire de fille, il est aussi question de la honte, celle qui l’a submergée après que ce jeune homme ait pris sa virginité et soit parti. Elle relate aussi la façon dont les autres de la colonie l’ont traitée et de quelle manière elle a été la cible des moqueries de ses camarades, laissant en elle un souvenir impérissable. Sociologie du moi, plus que journal intime de jeune fille en fleurs, le récit cherche à comprendre le secret de cette "fille".
Mémoire de Fille, n'est pas seulement un livre de souvenirs construits à l'aide de correspondances écrites et de dates sorties pêle-mêle du fin fond de la mémoire... A travers le destin d'Annie Ernaux, on distingue parfaitement un modèle de la société d'antan, l'avant mai 68. D'une certaine manière, elle a fait partie des précurseurs, de ceux qui ont vécu, déclenché le mouvement révolutionnaire avant l'heure. Elle dresse le portrait d'une fille qui se sent étouffée, qui a besoin de changement, de nouvelles expériences, y compris en terme de sexualité. C'est aussi le début du féminisme avec lequel elle se battra, paradoxalement, contre l'image de femme-objet qu'elle a eue en enchaînant les aventures.
Annie Ernaux réussit une fois de plus à nous toucher et nous interroger. Liberté et désir sont-ils contradictoires? Qu'est-ce que grandir et devenir uen femme? A l'heure où les acquis féministes semblent remis en cause dans beaucoup de pays, le souvenir de ces années qui enfermaient la femme dans écrin de fer, semble rappler combien le destin de chacun repose avec fragilité sur la place que la société lui réserve. A méditer aussi. Pour les femmes bien-sûr. Mais aussi les hommes.
> Annie Eranux , Mémoire de fille, Editions Gallimard, 160 pages
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