C'est le scandale de janvier, le livre dont tout le monde parle. La familia grande (Seuil) écrit par Camille Kouchner dénonce les agissements incestueux de son beau-père, le célèbre politologue Olivier Duhamel à l'encontre de son frère jumeau. Comme dans Le Consentement (Grasset) de Vanessa Springora, La familia grande dénonce surtout le silence de l'entourage et les zones d'ombre d'une famille aux apparences trompeuses.
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C’est un texte écrit en adresse au violeur présumé, au nom de la victime. Un cri. Une colère. Un réquisitoire subjectif qui revient sur une admiration blessée et un silence imposé. Camille Kouchner (fille de l’ancien ministre Bernard Kouchner et de la professeure de droit Evelyne Pisier, disparue en 2017) revient dans La familia grande (Seuil) sur un terrible secret de famille : la relation incestueuse qu'aurait subie le frère jumeau de l'auteure (appelé Victor dans le livre) dans les années 80, alors qu’il avait 13-14 ans, avec son beau-père, le célèbre politologue Olivier Duhamel.
Ici, il n'est pas question de littérature, mais de témoignage. La famille de l'auteure n'aurait pas été célèbre, ce livre n'aurait peut-être pas eu les honneurs d'une publication dans une grande maison d'édition. Cependant, c'est aussi parce que le contexte est emblématique, que les faits évoqués prennent toute leur ampleur. Comme si la notoriété et la respectabilité apparente des protagonistes conféraient un prisme grossissant à un drame hélas ordinaire. Selon le proverbe, il n' y a pas de grand homme pour son valet de chambre. En matière d'abus et d'inceste, les rois sont nus et la souffrance des victimes, universelle. Camille Kouchner laisse parler, voire hurler l'enfant blessé en elle. Elle brise le silence et c'est avec courage qu'elle ose s'attaquer à la figure du commandeur qu'est son beau-père. Elle parle pour son frère et pour tous ceux qui ont été détruits par les non-dits familiaux.
Chez les Pisier-Duhamel, le Tout Paris intellectuel se presse pour admirer ce couple emblématique. Elle, belle et lumineuse, première agrégée de droit, professeure, ancienne amante de Fidel Castro, ex-femme de Bernard Kouchner et sœur de l’actrice Marie-France Pisier. Lui, politologue, député européen ayant son rond de serviette à la table de tous les «puissants». Etre enfant de ce couple-là, c'est appartenir au cortège des admirateurs et jamais des contradicteurs. Comment s'attaquer aux monstres sacrés ? Comme l'écrit Camille Kouchner : «Je n’oublie pas le couple que vous formiez. Sartre et Beauvoir ? Il n’y a que la familia grande pour y croire. A l’unisson, vous avez forcé nos leçons : Foucault et la peine. Ne jamais dénoncer, ne jamais condamner dans cette société où l’on n’attend que punition. Savoir évoluer, se faire souple et espérer la réhabilitation. Se méfier du droit.» Derrière les belles images, les fêlures. La grand-mère maternelle se suicide, Evelyne Pisier noit ses mélancolies dans l'alcool et Olivier Duhamel rejoint son beau-fils le soir dans son lit.
Le frère jumeau de l'auteure lui confie ce terrible secret en se demandant ce qu'il doit penser de ces agissements. L'admiration que tous deux porte à leur beau-père les conduit à douter de sa faute. Le frère demande à sa soeur de ne révéler à personne sa confidence. On comprend que les dieux de cette mythologie moderne tournent autour d'un groupe d'amis, la familia grande, qui se retrouvent en vacances ou à Paris et sont tous unis par un théâtre des apparences que nul n'a intérêt à abîmer. L'aveuglement des pairs et des courtisans. Alors, le silence. Et presque l'oubli.
Mais rien ne peut effacer cette mémoire-là. Camille Kouchner écrit que vingt ans après les faits, elle convainc son frère de parler à leur mère. Evelyne Pisier semble anéantie. Après deux jours de réflexion, elle revient en déniant la gravité des agissements de son mari, qui lui a confirmé entre temps la véracité du propos. Et puis était-ce tellement grave ?
C'est peut-être ce qui est le plus troublant dans ce texte : la trahison de la mère. La mère qui n’a rien vu et qui le jour où elle a su, n’a rien fait. « Souviens-toi, maman : nous étions tes enfants. » écrit l'auteure, consternée. Quel pire cri de détresse ? L'inceste apparaît dans son système : le prédateur, la mère et le cortège des amis. Au milieu : les dommages collatéraux des non-dits et des souffrances non reconnues. Nous comprenons que la narratrice est une victime elle-aussi, par le poids de son secret partagé, sa culpabilité de complice de l'impunité. Et puis, il y a la tante, l'actrice Marie-France Pisier. Le livre lui est dédié. Elle avait été dans la confidence et avait poussé sa soeur à quitter son mari coupable. Le choix du déni adopté par Evelyne Pisier a scellé la brouille entre les deux soeurs. Deux regards qui ne pouvaient plus s'accorder. Cet abandon a participé au mal être de l'actrice qui s'est suicidée en 2011.
Camille Kouchner est avocate aujourd'hui. Elle sait que les faits cités sont prescrits. Alors pourquoi un livre? Ecrit avec l'accord de son frère qui ne voulait pas prendre la parole directement, le récit ne veut pas seulement dénoncer celui qui ne s'est jamais excusé. Il veut montrer combien inceste et secret marchent de concert, mais qu'il est toujours possible de faire tomber les masques d'une famille, fût-elle trop parfaite. Que parler est la seule manière de se libérer. Même si cette parole ne provient pas du principal intéressé. Portée de manière décentrée par la première confidente, la jumelle en miroir, ce texte possède la force d'un double point de vue, à la fois acteur et spectateur. Sera-t-il salvateur pour l'auteure ? «Toi qui as agressé mon frère pendant des mois, tu le vois, le problème ? Quasiment devant moi, en t'en foutant complètement, faisant de moi la complice de tes dérangements. Tu les vois, les angoisses qui nous hantent depuis ?». Depuis ces révélations, Olivier Duhamel a démissionné de toutes ses fonctions et s'est mis en retrait. Désormais le silence a changé de camp.
>Camille Kouchner, La familia grande, Le Seuil, 208 pages, 18 euros
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«Le parquet de Paris a ouvert ce jour une enquête des chefs de viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité sur un mineur de 15 ans et viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité», a déclaré dans un communiqué le procureur de la République, Rémy Heitz, le 5 janvier 2020. Cette enquête a été confiée à la brigade de protection des mineurs (BPM) de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ). En l'absence de jugement, Olivier Duhamel est toujours présumé innocent.
>Visionner un reportage concernant le livre de Camille Kouchner diffusé sur RMC
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