Où vivent les personnages de nos romans préférés ? Les lieux romanesques exercent sur l’auteur de Café, etc… et du Figurant un pouvoir d’attraction quasi magique. Dans Carnet d'adresses (L'Arbalète-Gallimard), il les traque jusqu’au vertige dans Paris et Neuilly et livre un dictionnaire amoureux qui incite à la flânerie.
C’est une ballade littéraire au pouvoir addictif. Didier Blonde joue avec passion sur le pouvoir d’évocation des lieux romanesques. Pour ce rêveur solitaire, les adresses des héros de romans débouchent sur une « seconde réalité ». Ils appartient à « un univers parallèle ». Puissants viatiques, ils lui ouvrent une autre dimension, poétique, du réel. Comme Proust, avant lui, rêvait à Parme, « ce nom mauve et doux ».
Balzac et Modiano occupent une place de choix dans son Panthéon. « L’auteur me fait signe, c’est là qu’il me donne rendez-vous ». Dans les pas de leurs personnages, l’auteur des Voleurs de visages, de Gaz à tous les étages et de L’inconnue de la Seine entame sa quête. Il cherche des « passes ». Il suit des « voies de traverses », traque les « passages clandestins » ouverts tout droit sur l’imaginaire.
« L’adresse (…) est un piège dans lequel je tombe, un coup de force (en douce) devant lequel cèdent tous mes préjugés, qui introduit un personnage par effraction dans mon univers en brisant la vitre de la fiction. ». Tel Alice au pied du terrier qui marque la frontière du Pays des Merveilles, l’auteur du dictionnaire amoureux des lieux de roman cède aussitôt au vertige de la fiction.
Son « Carnet d’adresses » secret, indiscret, est une enquête teintée d’un mystère modianesque. Il se lit comme un roman policier. La plume alerte, facétieuse, minutieuse, de Didier Blonde exalte le pouvoir ensorcelant de la toponymie littéraire entre histoire littéraire et poésie. Sa prose classique et fluide fait de cette promenade érudite un délicieux vagabondage érudit.
C’est une « cartographie de l’inconscient de Paris » qui se dessine ainsi au fil des références. Le détective qui fait de sa bibliothèque son terrain de jeu, plaide pour « une signalisation de l’invisible ». Il recommanderait volontiers à Anne Hidalgo (ou un.e autre) de nommer plus de rues comme d’Artagnan ou Monte Cristo.
Sa promenade baroque et onirique dans les pas de ses personnages favoris tient aussi du roman d’amour. L’auteur entame dès l’enfance sa recherche enfiévrée. Avec Fantômas et Arsène Lupin. Qui résisterait en effet à l’attrait de ces personnages plein de mystère, de panache et de bravoure ?
En pleine domination de l’auto-fiction, du roman-reportage et de la littérature du réel, ces puissantes figures romanesques ne manquent-elles d’ailleurs pas un peu au paysage ? Pâle, blanche, éteinte, rachitique, l’écriture qu’elle suscite reste collée le nez au quotidien. N’attendons-nous pas au contraire qu’elle nous en arrache comme Didier Blonde sait si bien le faire ?
Ce dictionnaire grisant a effet les propriétés de la fiction. À la seule évocation des souvenirs puissants qu’elle lui procure, Didier Blonde nous entraîne dans sa rêverie littéraire.
Prise au jeu, je découvre ainsi que je suis voisine de Bel-Ami. Georges Duroy habite rue Boursault « dans un immeuble sur cour dont les fenêtres donnent sur la tranchée du chemin de Saint-Lazare, juste en face de celles où, au même moment, Mallarmé recevait, rue de Rome, le mardi soir ». Les fameux « Mardis de Rome » dont je me souvenais, naturellement…
Dans Café, etc… déjà, Didier Blonde rêve d’écrire Le Paris-Rome, roman. « Roman immobile, où il ne se passerait rien, que la vie, en morceaux. Une sorte de journal de bord de l’inaperçu et de l’insaisissable ». Il a parfaitement raison. « Paris-Rome ». Cette brasserie d’angle, à deux pas de chez moi (et de chez Bel-Ami) porte un nom qui ouvre sur le rêve, c’est vrai. Pourquoi ne pas appeler ce roman « Paris-Rome, aller-simple » d’ailleurs ?
Car l’ imaginaire, c’est là que l’enquêteur improvisé se sent le mieux. Et son lecteur avec lui.
>>Carnet d’adresses, Didier Blonde, L’Arbalète, Gallimard. 242 pages, 19 euros.
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